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Cour administrative d'appel de Paris, 4e chambre, du 19 novembre 1998, 96PA01499 97PA02864, inédit au recueil Lebon

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Rapporteur : Mme de SALINS

Commissaire du gouvernement : M. LAMBERT


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


(4ème Chambre B)
VU I) la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour le 23 mai 1996 sous le n 96PA01499, présentés pour la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE, représentée par son maire en exercice, par Me A..., avocat (du bureau Francis Lefebvre) ; la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 88-2450 en date du 15 décembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de la commune tendant à ce que le cabinet d'architectes X..., Y... et Z... ainsi que le groupement d'entreprises Aqua-Gérif soient condamnés conjointement et solidairement à réparer les désordres affectant la piscine ouverte par la commune et à lui verser une somme de 30.000 F à titre de dommages et intérêts ;
2 ) de reconnaître que l'ensemble des désordres est de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ;
3 ) de condamner conjointement et solidairement le cabinet d'architectes X..., Y... et Z... ainsi que le groupement d'entreprises Aqua-Gérif sur le fondement des articles 1792 et 2270 du code civil à la réparation des entiers dommages consécutifs à ces désordres, au remboursement des frais de l'expertise du 9 novembre 1990, au paiement de la somme de 177.000 F à titre de dommages et intérêts et au paiement de la somme de 10.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU II) la requête, enregistrée au greffe de la cour le 17 octobre 1997 sous le n 97PA02864, présentée pour la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE, représentée par son maire en exercice, par Me A..., avocat (du bureau Francis Lefebvre) ; la commune demande à la cour, sur le fondement de l'article R.128 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de désigner un expert avec la mission : de se rendre à la piscine municipale pour visiter l'immeuble, de décrire les désordres et défectuosités de toute nature qui l'affectent, de rechercher les désordres actuels qui constituent une aggravation de ceux précédemment constatés ou constituant la conséquence de cette aggravation ; de rechercher toutes les causes de ces désordres en fournissant un avis technique à la cour lui permettant d'imputer la responsabilité de chaque dommage à telle ou telle des parties éventuelles en totalité ou en partie ; de rechercher les travaux, opérations et fournitures susceptibles de mettre fin auxdits désordres, en évaluant et chiffrant leur coût ; de rechercher, en chiffrant le montant, les divers préjudices subis par la commune, y compris ceux résultant de la dépréciation et de difficultés d'utilisation de l'ouvrage inhérentes aux désordres dont il s'agit, de fixer le montant du préjudice global et de faire toutes constatations et recherches ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi n 85-98 du 25 janvier 1985 ;

VU le code des marchés publics ;
VU le code civil, notamment ses articles 1792 et 2270 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 novembre 1998 :
- le rapport de Mme de SALINS, premier conseiller,
- les observations du bureau Francis LEFEBVRE, avocat, pour la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE, celles de la SCP ADER-JOLIBOIS et associés, avocat, pour l'entreprise générale de construction Tabard et celles de la SCP ASTIMA-LAPOUGE, avocat, pour MM. Y... et Z...,
- et les conclusions de M. LAMBERT, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que les requêtes de la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE sont relatives à des désordres et malfaçons affectant le même ouvrage ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt ;
Considérant que, dans le cadre de l'opération "mille piscines" lancée par l'Etat en 1970, la maîtrise d'oeuvre d'une piscine de type "Iris", réalisée par l'Etat pour le compte de la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE, a été confiée aux architectes X..., Y... et Noir ; que les travaux, réalisés par le groupement d'entreprises Aqua-Gérif, ont fait l'objet d'une réception provisoire assortie de réserves le 2 août 1978 ; que la réception définitive avec ouverture au public n'a pu être prononcée que le 1er août 1985 ; que, dès le 15 novembre 1985, un basculement du bassin vers la façade ouest, entraînant une dégradation de la qualité des eaux du bassin, est apparue ainsi que divers désordres ; que la commune, ayant sans succès demander au groupement d'intérêt économique Aqua-Gérif de remédier aux désordres ainsi constatés, a saisi le tribunal administratif de Versailles ; que, par ordonnance en date du 29 décembre 1987, le juge des référés a nommé un expert aux fins de : "1 ) après avoir pris connaissance de toutes les pièces du dossier et s'être rendu sur place, décrire en indiquant les défectuosités de toute nature qui affectent l'ouvrage en précisant pour chacune d'elles si elles portent sur le gros oeuvre et si elles rendent l'ouvrage impropre à sa destination ; 2 ) rechercher toutes les causes de ces désordres en fournissant avis technique au tribunal lui permettant d'imputer la responsabilité de chacun des dommages constatés à telle ou telle des parties éventuelles en totalité ou suivant proportion ; 3 ) rechercher les travaux, opérations et fournitures susceptibles de mettre fin auxdits désordres, en évaluant et chiffrant leur coût, poste par poste, et en indiquant ceux d'entre eux qui, à son avis, doivent être effectués d'urgence ; 4 ) rechercher et indiquer, en chiffrant le montant, les divers préjudices subis par la commune, y compris, le cas échéant, ceux résultant de la dépréciation et des difficultés d'utilisation de l'ouvrage inhérentes aux désordres dont s'agit ; 5 ) fixer le montant du préjudice global ; 6 ) plus généralement, faire toutes constatations et recherches" ; que l'expert ainsi désigné par le tribunal a remis son rapport le 9 novembre 1990 ; que, par ordon-nance en date du 9 décembre 1993, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté une demande de provision formée par la commune ; que, par jugement en date du 15 décembre 1995, le tribunal, estimant que les désordres constatés n'étaient pas de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, a rejeté la demande de condamnation conjointe des architectes et du groupement d'intérêt économique Aqua-Gérif à réparer les désordres affectant la piscine ;
Sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE :

Considérant, en premier lieu, que les dispositions des articles 47 à 53 de la loi du 25 janvier 1985 d'où résultent, d'une part, le principe de la suspension ou de l'interdiction de toute action en justice de la part de tous les créanciers à compter du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, d'autre part, l'obligation, qui s'impose aux collectivités publiques comme à tous les autres créanciers, de déclarer leurs créances dans les conditions et délais fixés, ne comportent pas de dérogation aux dispositions régissant les compétences respectives des juridictions administratives et judiciaires ; que les dispositions des articles 65 et suivants du décret du 27 décembre 1985 n'ont pas eu pour effet et ne pourraient d'ailleurs légalement avoir eu pour objet d'instituer une telle dérogation ; qu'il en résulte que s'il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire de statuer sur l'admission ou la non admission des créances déclarées ainsi que sur les modalités de règlement des créances sur les entreprises en état de redressement puis de liquidation judiciaire, le juge administratif reste seul compétent pour se prononcer sur la recevabilité au regard des dispositions dont l'appréciation relève de la juridiction administrative et le bien-fondé de l'action d'une personne publique tendant à faire reconnaître et évaluer ses droits à la suite des désordres constatés dans un ouvrage construit par une personne admise ultérieurement à la procédure de redressement puis de liquidation judiciaire et pour examiner si elle a droit à réparation (et fixer le montant des indemnités qui lui sont dues à ce titre par l'entreprise défaillante ou son liquidateur) ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le groupement d'intérêt économique Aqua-Gérif doit être écartée ;
Considérant, en second lieu, que la circonstance que la maîtrise d'oeuvre a été confiée à MM. X..., Y... et Z..., architectes exerçant chacun à titre individuel, et non à un cabinet composé des mêmes architectes, n'est pas de nature à rendre irrecevable l'action de la commune en tant qu'elle est dirigée à l'encontre du cabinet X..., Y... et Z... dès lors que les architectes cocontractants sont tous nommément mis en cause par la commune et qu'il n'y pas eu d'erreur sur leur adresse professionnelle, permettant ainsi aux intéressés d'assurer leur défense ; qu'il y a, dès lors, également lieu de rejeter cette fin de non-recevoir ;
Au fond :
Sur la responsabilité des constructeurs :

Considérant qu'il ressort de l'ensemble des pièces du dossier que, dans le délai de dix ans qui a suivi la réception définitive des travaux de construction de la piscine de VERNEUIL-SUR-SEINE, laquelle réception a été faite sans réserve, il a été constaté, à partir de 1985, un déséquilibrage du bassin vers la façade ouest qui rend la filtration de l'eau du bassin aléatoire et exige des traitements de l'eau inhabituels ; que ce déséquilibrage est à l'origine de nombreuses fissures en tous sens, en des endroits différents, concernant essentiellement le gros oeuvre, d'infiltrations d'eau dans le sous-sol, de la nécessité de changer les joints de dilatation, de décollements de carrelages de mosaïque et, enfin, d'une fermeture défectueuse du toit ouvrant qui déraille ; que ces désordres sont imputables tant aux architectes qu'au groupement d'entreprises Aqua-Gérif ; que le déséquilibrage du bassin a conduit l'expert désigné par le tribunal administratif de Versailles à préconiser de réaliser des travaux d'un montant de 3.844.933,08 F ; que, dans ces conditions et nonobstant la circonstance que, jusqu'en 1997, la piscine est restée ouverte au public, ces désordres ont rendu cet ouvrage impropre à sa destination ; qu'ainsi, et contrairement à ce que les premiers juges ont estimé, ils sont de nature à engager la responsabilité de MM. X..., Y... et Z... et du groupement d'intérêt économique Aqua-Gérif sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; que, par suite, la commune requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
Sur la réparation des désordres :
Considérant, d'une part, que les conclusions présentées par la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE, tant en première instance qu'en appel, tendent à la condamnation des architectes et du groupement d'intérêt économique Aqua-Gérif à "réparer" conjointement et solidairement les désordres affectant la piscine ; que, toutefois, la responsabilité des architectes en raison de malfaçons constatées dans des travaux ne peut trouver sa sanction, sur la base des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, dans l'obligation d'exécuter eux-mêmes les réparations ; que, de même, le groupement d'intérêt économique Aqua-Gérif étant en liquidation judiciaire, il ne peut pas être condamné à exécuter lui-même lesdites réparations ; que, par suite, les conclusions de la commune doivent être regardées comme tendant à la condamnation conjointe et solidaire des architectes et du groupement d'intérêt économique Aqua-Gérif à une réparation en argent, dans la limite du coût des travaux ;
Considérant, d'autre part, que le rapport d'expertise figurant au dossier ne permet pas d'évaluer le coût des réparations nécessaires pour remédier aux désordres pour lesquels la responsabilité des constructeurs est engagée ; qu'il y lieu, dans ces conditions, d'ordonner une nouvelle expertise aux fins précisées au dispositif du présent arrêt ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 15 décembre 1995 est annulé.
Article 2 : MM. X..., Y... et Z... ainsi que le groupement d'intérêt économique Aqua-Gérif sont déclarés conjointement et solidairement responsables, sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, des désordres subis par la piscine de VERNEUIL-SUR-SEINE qu'ils ont construite.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur la demande d'indemnité de la commune de VERNEUIL-SUR-SEINE, procédé à une expertise en vue :
- de déterminer si l'ouvrage est ou non définitivement stabilisé dans son mouvement de bascule vers sa façade ouest ;
- en cas de réponse positive à cette question, de dire à quelle date approximative il l'a été ;
- d'évaluer le coût actuel de remise en état de la piscine ;
- d'évaluer le coût des dégradations en distinguant selon leur cause et en isolant notamment celles qui proviennent de la vétusté, survenues entre la date de stabilisation et la date d'évaluation de la remise en état, si elle lui est postérieure.
Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R.159 à R.170 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Tous droits et moyens de parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Abstrats

39-06-01-04-03-02 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE, L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - DESORDRES DE NATURE A ENGAGER LA RESPONSABILITE DECENNALE DES CONSTRUCTEURS - ONT CE CARACTERE

Source : DILA, 01/05/2010, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Paris

Date : 19/11/1998