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Cour administrative d'appel de Paris, 2e chambre, du 20 juin 1995, 94PA00793, publié au recueil Lebon

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Président : M. Lévy

Rapporteur : Mme Albanel

Commissaire du gouvernement : Mme Brin


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 14 juin 1994, présentée pour le Territoire de la Polynésie française, représenté par le président du Gouvernement ; le Territoire de la Polynésie française demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9400027 en date du 26 avril 1994 par lequel le tribunal administratif de Papeete a annulé l'arrêté n° 6078 MEE du 28 décembre 1993 du ministre territorial de l'éducation portant mutation d'office de M. X... dans une école de Tahiti ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Papeete ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 modifiée portant statut du Territoire de la Polynésie française ;
Vu la loi organique n° 95-173 du 20 février 1995 portant dispositions diverses relatives aux territoires d'outre-mer ;
Vu la loi n° 66-496 du 11 juillet 1966 ;
Vu le décret n° 78-873 du 22 août 1978 modifié ;
Vu le décret n° 82-622 du 19 juillet 1982 modifié ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 juin 1995 :
- le rapport de Mme Albanel, conseiller,
- et les conclusions de Mme Brin, commissaire du Gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le Territoire de la Polynésie française fait valoir que le jugement attaqué méconnaît les dispositions de l'article R.172 alinéa 5 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel "pour absence de motivation de la cause d'incompétence du ministre territorial de l'éducation, auteur de l'acte" et en raison de "l'absence de référence des dispositions de textes constitutionnels, législatifs et réglementaires dont le tribunal administratif fait application pour annuler la mesure de mutation", comme de la réponse insuffisante à l'argumentation juridique du Territoire ; qu'il résulte cependant des visas et des motifs dudit jugement que celui-ci contient les dispositions législatives et réglementaires dont il a entendu faire application - notamment la loi du 6 septembre 1984 modifiée portant statut du Territoire de la Polynésie française - et qu'il répond suffisamment à l'argumentation juridique soulevée devant lui par le Territoire ; que la circonstance qu'il vise par erreur la délibération n° 82-27 du 1er avril 1982 accordant l'aval du territoire à la société centrale hydroélectrique de Papeiti-Papara est sans incidence sur la régularité du jugement ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant que le tribunal administratif de Papeete a annulé l'arrêté du 28 décembre 1993 du ministre de l'éducation et de l'enseignement technique du Territoire de la Polynésie française prononçant la mutation d'office de M. X..., directeur de l'école d'Anau (Bora-Bora) comme directeur de l'école Moenoa-Tiarei (Tahiti) au motif que le ministre était incompétent pour prononcer une sanction disciplinaire à l'égard du requérant ;
Considérant qu'aux termes de l'article 18 de la loi organique du 20 février 1995 : "Sous réserve des décisions de justice devenues définitives sont validés les actes individuels pris sur la base du décret 82-622 du 19 juillet 1982 fixant les dispositions statutaires applicables au corps des instituteurs de la Polynésie française en tant que leur régularité serait mise en cause sur le fondement de la compétence de leur auteur" ; qu'ainsi, à supposer même que, comme l'a retenu le tribunal, la mesure en cause, prise au vu du décret du 19 juillet 1982 qu'elle vise, eut présenté le caractère d'une sanction disciplinaire, le moyen qu'il a retenu n'est plus susceptible de fonder l'annulation de la décision entreprise ; qu'il y a lieu pour la cour statuant par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. X... à l'appui de ses conclusions devant les premiers juges dans sa requête introductive d'instance, à laquelle il se borne à se référer devant la cour ;

Considérant que la décision de mutation du 28 décembre 1993 faisant suite à celle du 31 août 1993 annulée par le jugement du tribunal administratif de Papeete en date du 30 décembre 1993 est motivée par les "difficultés relationnelles profondes et durables entre le maire de Bora Bora et M. Jacky X..." qui "portent préjudice au bon fonctionnement de cette école et ne paraissent pas susceptibles d'amélioration" ; que ces "difficultés relationnelles" ont été précisées devant la commission administrative paritaire, qui a émis l'avis du 7 juillet 1993 visé par la décision de mutation d'office attaquée, déjà envisagée lors d'une précédente séance de la commission du 24 juin 1993 dont le compte rendu est versé au dossier en même temps que celui de celle du 7 juillet ; qu'au cours de ces deux séances devant la commission, l'administration a fait état de "nombreuses plaintes du maire de la commune de Bora Bora concernant M. X... : manquements à l'obligation de réserve, attaques répétées envers le maire et les élus de la commune ...", "attaques publiques et répétées à l'égard de la municipalité (non) compatibles avec la fonction de directeur" ;

Considérant qu'il résulte toutefois de l'instruction que la saisine de la commission administrative paritaire a été motivée par une lettre en date du 20 avril 1993 du maire de Bora-Bora, ministre territorial de l'équipement, à son collègue en charge de l'éducation et de l'enseignement technique aux termes de laquelle il appelait l'"attention sur le comportement de M. Jacky X... qui, par ses attaques incessantes à l'égard des élus de (ma) commune nuit au bon fonctionnement de l'école dont il a la charge" en demandant sa mutation hors de l'île ; que cette lettre était postérieure de quatre semaines aux élections législatives où le requérant avait conduit une liste d'opposition qui avait obtenu à Bora-Bora (1ère circonscription) 17,80 % des voix au premier tour ; que les pièces versées au dossier par le territoire ne font apparaître l'existence - antérieurement tant à la saisine de la commission administrative paritaire qu'à celle d'ailleurs de la décision entreprise - d'aucune "attaque" de la nature de celles imputées à M. X... ; que les documents produits relatifs notamment à l'exercice des activités de diverses associations dont l'association "Atuatu Te Natura", dont il était l'un des animateurs et qui était en opposition avec la politique d'aménagement de l'île soutenue par les autorités municipales, font état soit de propos ou d'actes non personnellement imputables au requérant, soit de propos dont le contenu et le ton n'excèdent pas ceux habituels et normaux dans des relations entre associations et collectivités publiques en désaccord sur des options de politique locale ; que par ailleurs, en premier lieu, le Territoire de la Polynésie française ne fournit aucune pièce faisant état, antérieurement à la décision attaquée, d'une opposition quelconque des parents d'élèves de l'école d'Anau ou même d'un risque potentiel d'opposition de nature à nuire au bon fonctionnement du service public d'éducation ; que les protestations postérieures à la décision de mutation d'office et s'opposant à l'exécution de celle-ci, ne peuvent tenir lieu de telles pièces, seules de nature à justifier la légalité de la décision entreprise, les pièces postérieures ne pouvant que les corroborer le cas échéant ; qu'en second lieu, il ressort des pièces versées au dossier qu'une très grande majorité des enseignants avait pris position pour le directeur de l'école et s'opposait à son départ, en faisant état de ses qualités pédagogiques et relationnelles ainsi que du bon fonctionnement du service public ;

Considérant que de tout ce qui précède il résulte qu'à la date de la décision entreprise du 28 décembre 1993, l'existence de "difficultés relationnelles portant préjudice au bon fonctionnement du service" n'est en rien justifiée ; que, dans les conditions susrappelées et à la date où elle est intervenue, cette décision n'a eu en réalité pour mobile que celui d'éloigner de Bora Bora pour des raisons d'ordre politique, M. X..., sans qu'il soit justifié par l'administration autrement que par de simples allégations ou des documents non pertinents ou non probants que celui-ci se soit livré à des "attaques répétées" constitutives d'un "manquement à l'obligation de réserve" - comme elle le soutenait nécessairement compte tenu des termes de sa saisine de la commission paritaire - et qu'en toute hypothèse à cette date les relations de M. X... et de la municipalité aient en quelque mesure "porté préjudice au bon fonctionnement de l'école", voire aient été susceptibles de l'être ; que, dans ces conditions, M. X... établit que la décision attaquée est entachée de détournement de pouvoir ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Territoire de la Polynésie française n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, l'arrêté du 28 décembre 1993 du ministre territorial de l'éducation a été annulé ;
Article 1er : La requête du Territoire de la Polynésie française est rejetée.

Abstrats

01-06-01 ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - DETOURNEMENT DE POUVOIR ET DE PROCEDURE - DETOURNEMENT DE POUVOIR -Existence - Mutation d'office d'un établissement à un autre d'un directeur d'école pour des raisons d'ordre politique.
36-05-01-02 FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - POSITIONS - AFFECTATION ET MUTATION - MUTATION -Mutation d'office d'un directeur d'école pour des raisons politiques - Détournement de pouvoir.

Résumé

01-06-01, 36-05-01-02 Directeur d'une école muté d'office, au motif que les difficultés profondes et durables de ses relations avec le maire de la commune auraient porté préjudice au bon fonctionnement de l'établissement. L'instruction ayant fait apparaître les agissements reprochés à cet agent, animateur d'une association, comme dénués de réalité, ou demeurant dans les limites d'une polémique normale entre associations et élus, et n'ayant pas les incidences alléguées sur le fonctionnement de l'école, la mutation doit être regardée en réalité comme destinée à éloigner un opposant au maire et ainsi entachée de détournement de pouvoir.

Source : DILA, 01/05/2010, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Paris

Date : 20/06/1995