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Conseil d'État, 8ème chambre, 11/01/2024, 472826, Inédit au recueil Lebon

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Rapporteur : Mme Marie Prévot

Commissaire du gouvernement : Mme Karin Ciavaldini

Avocat : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 472826, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 6 avril, 3 juillet, 14 et 18 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des syndicats autonomes de la fonction publique (UNSA Fonction publique) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire de la Première ministre du 8 février 2023 relative à la nouvelle doctrine d'occupation des immeubles tertiaires de l'Etat ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le numéro 472828, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 avril, 3 juillet, et 14 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'UNSA Fonction publique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 mars 2023 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique modifiant l'arrêté du 6 novembre 2018 relatif au modèle de convention mentionné à l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2012-225 du 16 février 2012 ;
- le décret n° 2022-826 du 1er juin 2022 ;
- l'arrêté du 6 novembre 2018 relatif au modèle de convention mentionné à l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'UNSA Fonction publique ;



Considérant ce qui suit :

1. Les deux requêtes présentées par l'UNSA Fonction publique présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique du 3 mars 2023 :

2. Par un arrêté du 3 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a modifié l'arrêté du 6 novembre 2018 relatif au modèle de convention mentionné à l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques pour exclure la surface utile nette des données devant être renseignées dans les conventions d'utilisation des immeubles à usage de bureaux appartenant à l'Etat et prévoir l'indication d'un " ratio d'optimisation immobilière " correspondant au rapport entre la surface utile brute exprimée en mètres carré et le nombre de résidents dans chaque immeuble.

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les immeubles qui appartiennent à l'Etat sont mis à la disposition des services civils ou militaires de l'Etat et de ses établissements publics afin de leur permettre d'assurer le fonctionnement du service public dont ils sont chargés, dans les conditions prévues par une convention dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé du domaine ". Il en résulte que le ministre chargé du domaine de l'Etat, qui est le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en application de l'article 1er du décret du 1er juin 2022 relatif à ses attributions, était seul compétent pour signer l'arrêté attaqué. Dès lors, le moyen tiré de ce que cet arrêté serait entaché d'incompétence, faute d'avoir été signé conjointement par un autre ministre, doit être écarté.

4. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient l'UNSA Fonction publique, l'arrêté attaqué n'a pas pour base légale la circulaire de la Première ministre du 8 février 2023 relative à la nouvelle doctrine d'occupation des immeubles tertiaires de l'Etat, mais a été pris, quand bien même il précise à l'article 5 du modèle de convention que le nombre de résidents recensés dans chaque immeuble doit être déterminé conformément aux explications détaillées dans cette circulaire, sur le seul fondement de l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation encourue par cette circulaire ne peut qu'être écarté.

5. En troisième et dernier lieu, les dispositions attaquées, lorsqu'elles mentionnent le " nombre de résidents relatifs à l'utilisateur ", renvoient de manière suffisamment claire et précise à la détermination du nombre de résidents recensés dans l'immeuble, dont l'utilisateur s'entend conformément aux dispositions de l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques, ainsi qu'aux autres stipulations du modèle de convention auquel cet article renvoie, des directions, services ou établissements qui utilisent un immeuble appartenant à l'Etat. Ainsi, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de sécurité juridique et l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la norme ne peut qu'être écarté.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, que l'UNSA Fonction publique n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté attaqué.

Sur la circulaire du 8 février 2023 relative à la nouvelle doctrine d'occupation des immeubles tertiaires de l'Etat :

7. Par une circulaire du 8 février 2023 relative à la nouvelle doctrine d'occupation des immeubles tertiaires de l'Etat, la Première ministre a demandé aux membres du Gouvernement, aux préfets et aux dirigeants des opérateurs de l'Etat d'appliquer dès 2023 une " nouvelle doctrine de la politique immobilière de l'Etat " prévoyant, en vue d'optimiser les surfaces occupées par les ministères et leurs opérateurs, la détermination d'un " ratio d'optimisation immobilière ", correspondant au rapport entre la surface utile brute exprimée en mètres carrés et le nombre de résidents dans chaque immeuble à usage de bureaux appartenant à l'Etat, dont la valeur cible est fixée à 16 m2 et le plafond à 18 m2. Cette circulaire comporte en outre une liste de notions et indicateurs complémentaires, qui " n'ont pas de valeur normative " et sont destinés à " aider à la conception des espaces de travail ".

En ce qui concerne la légalité externe de la circulaire attaquée :

8. En premier lieu, si le Premier ministre ne saurait exercer le pouvoir réglementaire qu'il tient de l'article 21 de la Constitution sans respecter les règles de forme ou de procédure applicables à cet exercice, il lui est toujours loisible, sur le fondement des dispositions de l'article 21 de la Constitution en vertu desquelles il dirige l'action du gouvernement, d'adresser aux membres du Gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d'agir dans un sens déterminé ou d'adopter telle interprétation des lois et règlements en vigueur. Par suite, et sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que cette circulaire de la Première ministre édicterait des règles nouvelles, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que l'acte qu'elle attaque aurait été pris par une autorité incompétente.

9. En deuxième lieu, il ne résulte pas des dispositions du décret du 16 février 2012 relatif au Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat que cette instance aurait dû être consultée sur la circulaire du 8 février 2023, dès lors que cette dernière ne porte sur aucune des matières dont l'article 2 de ce décret prévoit obligatoirement une saisine préalable de ce conseil sur les projets de décrets s'y rapportant. Par suite, le moyen tiré de l'absence d'une telle consultation ne peut qu'être écarté.

10. En troisième lieu, l'obligation faite par les article L. 4121-3 et L. 4121-3-1 du code du travail, applicables également aux différents employeurs publics en application de l'article L. 811-1 du code général de la fonction publique, d'élaborer un document unique d'évaluation des risques professionnels reposant sur l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix de l'aménagement ou du réaménagement des lieux de travail, ne saurait être regardée comme faisant peser sur le pouvoir règlementaire une obligation spécifique d'élaboration d'études d'impact préalables à l'édiction de règles générales affectant de tels choix. L'UNSA Fonction publique n'est ainsi pas fondée à soutenir que la circulaire attaquée serait entachée pour ce motif d'irrégularité.

11. En quatrième et dernier lieu, l'accord relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique du 13 juillet 2021 ne peut être regardé comme ayant pour objet ou pour effet d'instituer une procédure de consultation obligatoire préalable à l'adoption par le Premier ministre, dans le cadre des principes rappelés au point 8, d'une circulaire qui précise elle-même, au demeurant, que ses orientations seront mises en œuvre dans le cadre d'un dialogue social au niveau le plus adapté, en associant étroitement les agents à toutes les étapes de leur déclinaison, en articulant les questions d'organisation et les modalités de déploiement du télétravail.

En ce qui concerne la légalité interne de la circulaire attaquée :

12. En premier lieu, la circonstance que les normes d'occupation des surfaces immobilières que la circulaire fixe seraient plus strictes que celles qui prévalaient antérieurement ne saurait caractériser par elle-même une atteinte à la santé des agents publics. Dès lors, l'UNSA Fonction publique ne peut utilement se prévaloir sur ce seul fondement des normes du droit de l'Union européenne ou du droit interne visant à protéger la santé des travailleurs pour soutenir que la circulaire qu'elle attaque serait entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation.

13. En deuxième lieu, les circonstances que les propos introductifs de la circulaire attaquée indiquent qu'elle a été élaborée en tenant compte d'un contexte dans lequel le télétravail constitue désormais une modalité régulière de l'organisation du travail et que la partie de l'annexe à cette circulaire consacrée, au sein de divers indicateurs proposés pour aider à la conception des espaces de travail les mieux adaptés, à un taux dit de " foisonnement " constate, sans retenir, contrairement à ce que soutient l'UNSA Fonction publique, qu'une telle durée serait une référence, et qu'une fois déduites les absences structurelles, à partir de deux jours de télétravail par semaine, le taux d'occupation d'un poste de travail est de moins de 50 %, ne sont pas de nature à établir que les énonciations de la circulaire pourraient avoir par elles-mêmes une incidence sur les conditions dans lesquelles sont délivrées ou retirées les autorisations de télétravail dans la fonction publique. Par suite, le moyen tiré de ce que la circulaire serait entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard des normes qui entourent directement ou indirectement la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique ne peut qu'être écarté.

14. En troisième et dernier lieu, la circonstance que la circulaire définisse l'un des indicateurs complémentaires qu'elle propose en se référant à la notion de position de travail, dont le nombre par agent doit être supérieur ou égal à 1, laquelle englobe les postes de travail individuels, affectés personnellement ou non, dans des lieux dédiés, ainsi que des postes de travail individuels mis à disposition dans d'autres espaces, étant précisé que ces emplacements doivent disposer d'une connectivité, d'un éclairage et d'une assise offrant aux agents des conditions de confort, d'ergonomie et de sécurité permettant d'y travailler au moins une demi-journée en continu, ne constitue pas une méconnaissance des dispositions législatives ou règlementaires qui se réfèrent à la notion de poste de travail. Elle n'a pas plus pour effet de remettre en cause les obligations pesant sur les employeurs, s'agissant des conditions de travail des personnes en situation de handicap ou dont l'état de santé est altéré, de l'application des règles de sécurité contre les risques d'incendie ou de panique ou plus généralement en termes d'aménagement ou d'ergonomie des bureaux.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, que l'UNSA Fonction publique n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire attaquée.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.




D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes de l'UNSA Fonction publique sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale des syndicats autonomes de la fonction publique, à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 décembre 2023 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et Mme Marie Prévot, maître des requêtes-rapporteure.



Rendu le 11 janvier 2024.


Le président :
Signé : M. Thomas Andrieu
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy


Source : DILA, 26/02/2024, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

ECLI:FR:CECHS:2024:472826.20240111

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Conseil d'État

Date : 11/01/2024