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Conseil d'État, 7ème chambre, 18/06/2021, 450283, Inédit au recueil Lebon

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Rapporteur : M. David Guillarme

Commissaire du gouvernement : Mme Mireille Le Corre

Avocat : SCP FOUSSARD, FROGER


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Eiffage a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Etat de ne pas procéder à l'ouverture et à l'analyse des offres dans le cadre de la procédure d'attribution de la concession relative à la liaison autoroutière entre Castres et Verfeil, de suspendre cette procédure, d'annuler toute décision de l'Etat postérieure à l'enregistrement de sa requête, et d'enjoindre à l'Etat de reprendre la procédure au stade de la préparation des offres en fixant un délai suffisant pour leur remise.

Par une ordonnance n° 2100665 du 25 février 2021, le juge des référés a rejeté sa requête.

Par un pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 1er mars, 19 mars et 6 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Eiffage demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa requête ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Guillarme, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Eiffage ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par avis d'appel public à la concurrence publié le 8 mars 2020 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics et le 10 mars 2020 au Journal officiel de l'Union européenne, l'Etat a lancé une consultation ayant pour objet la désignation du concessionnaire de la liaison autoroutière entre Castres et Verfeil. Admise à présenter une offre, la société Eiffage a, le 8 septembre 2020, demandé le report de quatre mois de la date limite de remise des offres, initialement fixée au 9 décembre 2020. Par décision 26 octobre 2020, l'autorité concédante a partiellement fait droit à cette demande en reportant cette date au 9 février 2021. Elle n'a en revanche pas donné suite à la nouvelle demande de report présentée par la société Eiffage le 27 janvier 2021. La société Eiffage a alors demandé au juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Toulouse d'enjoindre à l'Etat de ne pas procéder à l'ouverture et à l'analyse des offres et de reprendre la procédure d'attribution au stade de la préparation des offres en fixant un délai de remise suffisant. Elle se pourvoit en cassation contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés a rejeté sa requête comme portée devant une juridiction territorialement incompétente.

2. Aux termes de l'article R. 312-11 du code de justice administrative : " En matière précontractuelle, contractuelle et quasi contractuelle le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu prévu pour l'exécution du contrat. Si son exécution s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif ou si le lieu de cette exécution n'est pas désigné dans le contrat ou quasi-contrat, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel l'autorité publique compétente pour signer le contrat ou la première des autorités publiques dénommées dans le contrat a son siège, sans que, dans ce cas, il y ait à tenir compte d'une approbation par l'autorité supérieure, si cette approbation est nécessaire./ Toutefois, si l'intérêt public ne s'y oppose pas, les parties peuvent, soit dans le contrat primitif, soit dans un avenant antérieur à la naissance du litige, convenir que leurs différends seront soumis à un tribunal administratif autre que celui qui serait compétent en vertu des dispositions de l'alinéa précédent ".

3. Il résulte des dispositions citées au point précédent qu'il ne peut être dérogé aux règles de compétence territoriale du tribunal administratif en matière de contrats que d'un commun accord des parties prévu au contrat primitif ou consigné dans un avenant antérieur à la naissance du litige. Il ne saurait, par suite, y être dérogé antérieurement à la conclusion d'un tel contrat ou avenant. Dès lors, en se fondant, pour décliner sa compétence territoriale pour statuer sur le référé précontractuel formé par la société Eiffage, candidate à l'attribution de la concession, sur les stipulations de l'article 43 du projet de cahier des charges de la concession, reprises dans les avis de concession, qui prévoyaient que les contestations qui s'élèveraient entre les parties au sujet du contrat seraient portées devant le tribunal administratif de Paris alors que la compétence de ce tribunal n'était pas fixée par un contrat, conformément aux dispositions de l'article R. 312-11 du code de justice administrative, dès lors que ce contrat n'était précisément pas encore conclu, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit. Son ordonnance doit être annulée pour ce motif, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

5. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique./ (...)/ Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

6. Aux termes de l'article R. 3124-2 du code de la commande publique : " L'autorité concédante fixe le délai de remise des offres en fonction notamment de la nature, du montant et des caractéristiques des travaux ou services demandés au concessionnaire, et, lorsqu'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article R. 3122-11, de l'impossibilité d'offrir un accès dématérialisé aux documents de la consultation./ Sous réserve des dispositions de l'article R. 3123-14, le délai minimum de remise des offres est de :/ 1° Vingt-deux jours à compter de la date d'envoi de l'invitation à présenter une offre ;/ 2° Dix-sept jours lorsque l'autorité concédante accepte que les offres lui soient transmises par voie électronique ". Aux termes de l'article R. 3122-8 du même code : " Toute modification des documents de la consultation est communiquée à l'ensemble des opérateurs économiques, aux candidats admis à présenter une offre ou à tous les soumissionnaires, dans des conditions garantissant leur égalité et leur permettant de disposer d'un délai suffisant pour remettre leurs candidatures ou leurs offres ".

7. Il résulte de l'instruction que l'Etat a fixé en dernier lieu au 9 février 2021 la date de remise des offres, laissant aux candidats un délai de 5,5 mois pour les élaborer. Contrairement à ce que soutient la société requérante, un tel délai n'apparaît pas manifestement insuffisant au regard tant des caractéristiques du contrat que des circonstances particulières liées à l'épidémie de covid-19. La société requérante n'établit pas davantage que l'autorité concédante aurait tardé à transmettre certains éléments relatifs aux données de trafic, aux études géotechniques et hydrauliques, utiles à l'élaboration des offres.

8. Il ne résulte enfin pas de l'instruction que certains concurrents de la société Eiffage auraient bénéficié d'informations privilégiées, la seule circonstance que l'article 2.5 du règlement de consultation ferait obligation aux équipes candidates de tenir à jour une liste des études non publiques relatives au projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse auxquelles les entités qui les composent auraient contribué ou eu accès dans le cadre de leur éventuelle participation à la préparation de ce projet ne pouvant être regardée comme établissant l'existence de telles informations privilégiées. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le refus de l'autorité concédante de prolonger davantage le délai de remise des offres l'aurait conduite à méconnaître l'égalité entre candidats, en ne permettant pas de corriger un avantage concurrentiel résultant de la détention de telles informations.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Eiffage doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 25 février 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée.
Article 2 : La demande de la société Eiffage est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Eiffage et à la ministre de la transition écologique.

Source : DILA, 30/11/2021, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

ECLI:FR:CECHS:2021:450283.20210618

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Conseil d'État

Date : 18/06/2021