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CAA de NANTES, 4ème chambre, 28/02/2025, 24NT00999, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. LAINÉ

Rapporteur : M. Benjamin CHABERNAUD

Commissaire du gouvernement : Mme ROSEMBERG

Avocat : LEX PUBLICA


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Vert Marine a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la commune de Chemillé-en-Anjou à lui verser une somme de 250 000 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, du fait de l'irrégularité de l'attribution à la société Prestalis, le 20 décembre 2018, de la délégation de service public afférente à la gestion et à l'exploitation du centre aquatique de la commune.

Par un jugement n° 2110363 du 7 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête de la société Vert Marine.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 avril 2024, la société Vert Marine, représentée par la SELARL d'avocats Audicit, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2024 ;

2°) à titre principal, de condamner la commune de Chemillé-en-Anjou à lui verser une somme de 250 000 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, à titre subsidiaire, de la condamner à lui verser une somme de 10 000 euros, également augmentée des intérêts et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la commune était tenue d'écarter l'offre de la société Prestalis qui ne respectait pas les règles du droit du travail applicables, en l'occurrence la convention collective nationale du sport qui avait force obligatoire en application des dispositions de l'article L. 2261-15 du code du travail ; la convention dite ELAC n'était pas applicable en l'espèce ; ne pas avoir écarté l'offre de la société Prestalis constitue une faute qui engage la responsabilité de la commune et une méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats ; l'application de la convention collective ELAC par l'attributaire constitue une irrégularité entraînant des conséquences significatives sur l'offre présentée par les candidats et sur leur appréciation ; la convention nationale du sport est plus favorable aux salariés que la convention dite ELAC, dès lors que le coût pour l'employeur est plus élevé et que les modalités de gestion sont moins souples, notamment en termes d'amplitude de travail, ce qui a nécessairement un effet sur les offres présentées par les candidats ;
- elle avait des chances sérieuses d'obtenir l'attribution du contrat ; son offre a été classée seconde ; il n'y a pas lieu de tenir compte de la possibilité de régulariser l'offre de l'attributaire mais seulement de constater que cette offre n'a pas été régularisée ; le mécanisme de la régularisation des offres en matière de délégation de service public n'est pas prévu par les textes ; aucun élément n'établit que la procédure aurait pu être déclarée infructueuse ; elle établit la réalité du manque à gagner qu'elle a subi ; il n'y a pas lieu de déduire de son chiffrage l'impôt sur les sociétés.


Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2024, la commune de Chemillé-en-Anjou, représentée par Me Boucher, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Vert Marine au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués sont infondés.
Par une ordonnance du 12 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 novembre 2024.

Un mémoire produit pour la requérante a été enregistré le 21 janvier 2025.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chabernaud,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Philippon, substituant Me Boyer, pour la société Vert Marine, et de Me Boucher pour la commune de Chemillé-en-Anjou.


Considérant ce qui suit :
1. La commune de Chemillé-en-Anjou a attribué, le 20 décembre 2018, la délégation de service public afférente à la gestion et à l'exploitation de son centre aquatique à la société Prestalis et rejeté l'offre concurrente de la société Vert Marine. Suite au rejet de sa réclamation préalable le 15 juillet 2021, cette dernière a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la commune de Chemillé-en-Anjou à lui verser une somme de 250 000 euros du fait de l'irrégularité de cette attribution. Par un jugement du 7 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête de la société Vert Marine. Cette dernière fait appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes du I de l'article 1er de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, alors applicable : " Les contrats de concession soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. ".
3. Aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail (...) ".
4. En premier lieu, il résulte de ces dispositions du code du travail que les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel rendues obligatoires par arrêté ministériel s'imposent aux candidats à l'octroi d'un marché public ou d'une délégation de service public lorsqu'ils entrent dans le champ d'application de cette convention. Par suite, une offre mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable ne saurait être retenue par le pouvoir adjudicateur et doit être écartée comme irrégulière par celui-ci, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si cette irrégularité peut constituer un avantage pour le candidat.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2261-2 du code du travail : " La convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. / En cas de pluralité d'activités rendant incertaine l'application de ce critère pour le rattachement d'une entreprise à un champ conventionnel, les conventions collectives et les accords professionnels peuvent, par des clauses réciproques et de nature identique, prévoir les conditions dans lesquelles l'entreprise détermine les conventions et accords qui lui sont applicables ".
6. Par arrêté du ministre en charge du travail du 21 novembre 2006, la convention collective nationale du sport a été étendue et son champ d'application est ainsi défini par son article 1.1 dans sa version alors en vigueur : " La convention collective du sport règle, sur l'ensemble du territoire y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises exerçant leur activité principale dans l'un des domaines suivants : / - organisation, gestion et encadrement d'activités sportives ; / - gestion d'installations et d'équipements sportifs. / (...) ". Le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, étendue par un arrêté ministériel du 25 juillet 1994, est ainsi défini par son article 1er, dans sa rédaction applicable au litige : " La convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels règle, sur l'ensemble des départements français, y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises de droit privé à but lucratif : / (...) - qui gèrent des installations et / ou exploitent à titre principal des activités à vocation récréative et / ou culturelle, dans un espace clos et aménagé avec des installations fixes et permanentes comportant des attractions de diverse nature (...). / Sont notamment, comprises dans le champ d'application, les activités suivantes (...) parc aquatique (...) / Sont exclues du champ d'application les entreprises de droit privé, à but lucratif, répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92.6 " gestion d'installations sportives " et " autres activités sportives ", remplacée par la codification suivante : 93. 11Z : " gestion d'installations sportives " (...) / gestion d'installations sportives à caractère récréatif et de loisir. / Et, plus précisément, les installations et les centres des activités suivantes : / les piscines (...) ".
7. L'activité confiée à la société Prestalis, attributaire du contrat litigieux, a pour objet la gestion et l'exploitation du centre aquatique de Chemillé-en-Anjou, qui comprend en particulier un bassin sportif et un bassin extérieur, tous deux d'une longueur de 25 mètres. Il résulte de l'instruction, notamment du contrat définitif attribué le 20 décembre 2018, que ce complexe propose notamment des séances d'aquagym et des cours de natation pour adultes et enfants, de l'apprentissage au perfectionnement, ainsi que des séances de bébés nageurs. Un tel équipement a donc principalement une vocation sportive alors même qu'il comporte accessoirement des espaces ludiques et de détente, comme un bassin ludique et une lagune de jeux pour enfants. L'activité ainsi exploitée ne se confond pas avec celle des parcs aquatiques entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels et relève, dès lors, de la convention collective nationale du sport.
8. La société Vert Marine soutient sans être contestée par la commune que l'offre de la société Prestalis mentionnait toutefois la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, dite convention collective ELAC, que l'attributaire a d'ailleurs appliquée lors de l'exécution de la concession, alors qu'elle aurait dû appliquer la convention collective nationale du sport. Son offre était par suite irrégulière et aurait dû, pour ce motif, ne pas être retenue dès lors que les modalités d'exécution du contrat méconnaissent les dispositions de la convention collective applicable. La société Vert Marine, dont il n'est pas allégué que l'offre aurait été inappropriée, irrégulière ou inacceptable, est ainsi fondée à soutenir que la procédure de passation du contrat de délégation de service public est entachée d'irrégularité.
9. En dernier lieu, d'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, lequel est déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
10. D'autre part, lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière de l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain, en tenant compte notamment, s'agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l'exploitation, de l'aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci. Ce manque à gagner est évalué par la soustraction du total du chiffre d'affaires non réalisé de l'ensemble des charges variables et de la quote-part des coûts fixes qui aurait été affectée à l'exécution du contrat si elle en avait été titulaire.
11. Il résulte de l'instruction que la commune de Chemillé-en-Anjou a, au terme d'une première phase d'analyse des offres, ouvert une phase de négociation avec les seules sociétés Prestalis et Vert Marine. Le rapport d'analyse des offres afférent à cette phase révèle que sur les trois critères de jugement des offres, les deux entreprises proposaient des prestations très proches, en particulier en ce qui concerne le critère n° 2 relatif aux conditions économiques et financières. Au final, l'offre de la société Vert Marine a été classée en seconde position. Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'irrégularité de l'attribution du contrat de délégation de service public a donc privé la société Vert Marine, dont l'offre était la seule à être régulière, d'une chance sérieuse de remporter le contrat.
12. Pour justifier de la réalité de son manque à gagner, la société Vert Marine verse aux débats le compte prévisionnel d'exploitation des années 2019 à 2023 qu'elle avait joint à son offre, lequel détaille le total des produits et charges anticipés poste par poste, ainsi qu'une attestation de son expert-comptable, datée du 11 octobre 2023, indiquant que la demande de 250 000 euros formulée par la société est fondée sur ce compte de résultat prévisionnel et constitue le bénéfice brut espéré. Il résulte dudit compte d'exploitation que ce bénéfice brut correspond à la marge nette avant déduction de l'impôt sur les sociétés et de la participation des salariés aux bénéfices. Ces éléments de preuve sont de nature à démontrer la réalité du manque à gagner de la société Vert Marine. Si la commune de Chemillé-en-Anjou critique l'évaluation ainsi opérée, elle ne produit toutefois aucun élément probant à ce titre, notamment le taux de marge nette généralement pratiqué par les entreprises du secteur. En revanche, la commune est fondée à opposer à la demande de l'appelante le fait que la faible fréquentation de la piscine, en raison de la situation sanitaire des années 2020 et 2021, a fortement impacté le résultat d'exploitation de la concession, tout comme le renchérissement du coût de l'énergie, en particulier en 2022, ce que la société Vert Marine ne conteste d'ailleurs pas sérieusement. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le manque à gagner ne peut dès lors être regardé comme établi qu'au titre d'une partie de la période totale d'exécution du contrat courant de 2019 à 2023. Il sera ainsi fait une juste évaluation du montant du manque à gagner indemnisable, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, en le fixant à la somme de 90 000 euros, qui doit être regardée comme correspondant au bénéfice net qu'aurait procuré le contrat litigieux à la société Vert Marine pendant cette période, avant impôt sur les sociétés et après déduction de la participation des salariés.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Vert Marine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les intérêts et la capitalisation :

14. La société Vert Marine a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 90 000 euros à compter du 15 juin 2021, date de sa réclamation indemnitaire préalable, ainsi qu'elle le sollicite.
15. La capitalisation des intérêts a été demandée le 15 septembre 2021. À cette date, les intérêts d'une année n'étaient pas encore dus. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 15 juin 2022 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Vert Marine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Chemillé-en-Anjou au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Chemillé-en-Anjou la somme de 1 500 euros à verser à la société Vert Marine au titre des frais non compris dans les dépens exposés par celle-ci.
DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2024 est annulé.
Article 2 : La commune de Chemillé-en-Anjou est condamnée à verser à la société Vert Marine la somme de 90 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2021, les intérêts échus étant capitalisés au 15 juin 2022 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : La commune de Chemillé-en-Anjou versera la somme de 1 500 euros à la société Vert Marine au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Vert Marine est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Chemillé-en-Anjou au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vert Marine et à la commune de Chemillé-en-Anjou.

Délibéré après l'audience du 4 février 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président-assesseur,
- M. Chabernaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 février 2025.

Le rapporteur,
B. CHABERNAUDLe président,
L. LAINÉ

Le greffier,
C. WOLF


La République mande et ordonne au préfet de Maine-et-Loire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2
N° 24NT00999



Source : DILA, 10/03/2025, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Nantes

Date : 28/02/2025