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CAA de DOUAI, 3ème chambre, 16/01/2024, 22DA01890, Inédit au recueil Lebon

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Président : Mme Viard

Rapporteur : M. Jean-Marc Guerin-Lebacq

Commissaire du gouvernement : M. Carpentier-Daubresse

Avocat : DETTORI


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2021 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle et sa radiation des cadres à compter du 1er août 2020, et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice résultant de ce licenciement.

Par un jugement n° 2004864 du 5 juillet 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2022, M. D..., représenté par Me Dettori, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 juillet 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2021 ;



3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'arrêté contesté est entaché d'incompétence dès lors que son auteur ne justifie pas d'une délégation de signature ;
- cet arrêté n'est pas signé et ne précise pas les prénom et nom de son auteur, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il n'a pas pu prendre connaissance de son dossier administratif et disciplinaire en dépit de demandes présentées en ce sens et alors que la décision de le licencier a été prise en cours de stage ;
- l'arrêté contesté, qui a pour objet de le sanctionner d'une mesure de licenciement intervenue en cours de stage, est insuffisamment motivé ;
- les faits retenus à son encontre ne sont pas établis et ne justifient pas un licenciement ;
- le licenciement litigieux est à l'origine d'un préjudice évalué à la somme de 20 000 euros.


Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.


Par une ordonnance du 20 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 décembre 2023, à 12 heures.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public.




Considérant ce qui suit :

1. M. D..., qui a réussi le concours d'accès pour le recrutement de surveillants de l'administration pénitentiaire au titre de l'année 2018, a été nommé, à compter du 15 octobre 2018, en qualité d'élève pour suivre une formation de six mois à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire. Il a ensuite été nommé, à partir du 15 avril 2019, comme surveillant stagiaire à la maison d'arrêt de Rouen. Par un arrêté du 30 septembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de titulariser M. D... au terme de son stage et l'a licencié pour insuffisance professionnelle à compter du 1er août 2020. L'intéressé a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice résultant selon lui de son licenciement. Par un second arrêté du 29 juillet 2021 intervenu en cours d'instance, le garde des sceaux, ministre de la justice a retiré son arrêté du 30 septembre 2020 tout en reprenant la même décision de licenciement pour insuffisance professionnelle à compter du 1er août 2020. Ce retrait ayant acquis un caractère définitif, le tribunal administratif de Rouen a regardé le recours de M. D... comme dirigé contre le seul arrêté du 29 juillet 2021 et l'a rejeté par un jugement du 5 juillet 2022. M. D... relève appel de ce jugement.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions de l'administration peuvent faire l'objet d'une signature électronique (...) ". L'arrêté du 29 juillet 2021 a été signé de façon dématérialisée par Mme A... C..., adjointe à la cheffe du bureau de la gestion des personnels de la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice, qui avait reçu délégation à cet effet par un arrêté du 15 juillet 2021, régulièrement publié au Journal officiel de la République française le 17 juillet suivant, lui permettant de signer, dans la limite de ses attributions, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets. La circonstance que cet arrêté de délégation de signature n'est pas visé dans l'arrêté contesté, ni joint à celui-ci, est sans conséquence sur la compétence de Mme C... pour signer la décision de licenciement litigieuse, qui relève de ses attributions. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte contesté doit donc être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci (...) ". Contrairement à ce que soutient M. D..., l'arrêté du 29 juillet 2021 mentionne le prénom, le nom et la qualité de son auteur. S'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration que toute décision prise par l'administration doit également comporter la signature de son auteur, l'article L. 212-3 du même code, cité au point précédent, dispose que les décisions de l'administration peuvent faire l'objet d'une signature électronique. Il ressort des pièces du dossier que tel est le cas de l'arrêté contesté. Par ailleurs, le requérant ne saurait utilement se prévaloir de l'absence des mentions requises par l'article L. 212-1 dans l'arrêté du 30 septembre 2020, qui a été retiré et auquel l'arrêté du 29 juillet 2021 s'est substitué. Par suite, le moyen tiré d'un vice de forme entachant ce dernier arrêté manque en fait et doit être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques (...) ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 2° Infligent une sanction ; (...) / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (...) / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". Si la nomination dans un corps en tant que fonctionnaire stagiaire confère à son bénéficiaire le droit d'effectuer un stage dans la limite de la durée maximale prévue par les règlements qui lui sont applicables, elle ne lui confère aucun droit à être titularisé. Il en résulte que la décision refusant, au terme du stage, de le titulariser n'a pour effet, ni de refuser à l'intéressé un avantage qui constituerait, pour lui, un droit, ni, dès lors que le stage a été accompli dans la totalité de la durée prévue par la décision de nomination comme stagiaire, de retirer ou d'abroger une décision créatrice de droits. Une telle décision n'est donc pas soumise à l'obligation de motivation prévue par les dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'après une période de formation initiale de six mois à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire, M. D... a débuté son stage de surveillant pénitentiaire à compter du 15 avril 2019. Si la durée de ce stage, fixée à un an par l'article 9 du décret du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, devait s'achever le 15 avril 2020, le requérant a conservé après cette date, en l'absence de décision prise sur sa situation, la qualité de stagiaire à laquelle l'administration pouvait mettre fin à tout moment pour des motifs tirés de son inaptitude à l'emploi. Ainsi, l'arrêté du 29 juillet 2021 prononçant son licenciement à la date du 1er août 2020, après que la commission administrative paritaire de titularisation a rendu un avis sur sa situation le 25 juin précédent, est intervenu à l'issue du stage et non dans le cours de celui-ci, et n'a pas eu pour effet d'en prolonger la durée. A cet égard, les appréciations dont M. D... a fait l'objet au cours de son stage de la part des responsables de la formation à la maison d'arrêt de Rouen, assorties d'un avis rendu par le chef d'établissement le 20 janvier 2020, favorable à son licenciement au vu des insuffisances constatées, ne révèlent pas l'existence d'une décision de licenciement intervenue au cours du stage, qui aurait eu pour effet d'interrompre celui-ci. Contrairement à ce que soutient le requérant, il ne ressort ni du courriel du 9 août 2019 faisant état de ses carences professionnelles, ni des appréciations précitées, qui se rapportent également à des faits caractérisant une inaptitude à l'emploi, que le licenciement litigieux aurait présenté un caractère disciplinaire. Dès lors, l'arrêté du 29 juillet 2021 prononçant le licenciement de M. D... à l'issue de son stage, et qui est dépourvu de caractère disciplinaire, n'avait pas à être motivé. Au demeurant, cet arrêté mentionne les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivé.

6. En quatrième lieu, la circonstance que tout ou partie des faits retenus pour licencier un agent stagiaire pour insuffisance professionnelle seraient également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation en raison de son inaptitude à l'emploi, pourvu que l'intéressé ait été alors mis à même de faire valoir ses observations. Sur ce point, M. D... se borne à soutenir qu'il n'a pas été destinataire de son " entier dossier administratif et disciplinaire " en dépit de deux demandes des 8 et 22 septembre 2020. Toutefois, il ressort des termes non contestés du courrier du 9 septembre 2020, adressé par l'administration en réponse à la première demande, que le requérant a reçu une copie complète de son dossier administratif dès le 29 août 2020. Si des manquements aux règles déontologiques ont été relevés à l'encontre de M. D... au cours de son stage, conduisant ses supérieurs hiérarchiques à lui adresser des demandes d'explication et à envisager l'engagement de procédures disciplinaires, il n'est aucunement établi que l'intéressé aurait fait l'objet d'une telle procédure, ni que son licenciement aurait le caractère d'une sanction, permettant de supposer l'existence d'un " dossier disciplinaire " distinct du dossier administratif qui lui a été communiqué. Par suite, le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.

7. En cinquième lieu, il ressort du rapport d'évaluation établi par le responsable de la formation au terme des neuf premiers mois de stage que, par son manque de savoir-faire, de rigueur, de concentration et d'organisation, M. D... a démontré son incapacité à prendre la mesure de son environnement professionnel, ainsi que son incompréhension des valeurs institutionnelles et de ses obligations de réserve, notamment à l'égard des détenus et de leurs proches, le conduisant à des manquements répétés aux règles déontologiques, sans en prendre la mesure. Dans un rapport établi le 20 juillet 2020, le chef d'établissement a ainsi relevé le manque de maturité du requérant et sa méconnaissance de la déontologie professionnelle et des consignes de sécurité dans l'exercice de ses fonctions, et a fait état de nombreux exemples illustrant les carences de l'intéressé, comme l'entretien de relations avec des proches de détenus en dehors de toute nécessité liée au service et sans en avoir informé la hiérarchie, l'absence de fermeture d'une cellule le 30 avril 2019, le contrôle erroné des effectifs le 27 mai 2019, la validation erronée de ces effectifs le 12 novembre 2019 ou encore l'abandon de poste sans attendre la relève le 20 novembre 2019. Ces faits sont établis par les pièces du dossier et ne sont pas utilement contredits par M. D... qui a d'ailleurs indiqué, lors des évaluations réalisées au troisième puis au sixième mois de stage, qu'il ne contestait pas la matérialité de certains d'entre eux tout en précisant être conscient du travail à faire sur lui-même. Les témoignages des collègues de M. D..., attestant de son professionnalisme, de la qualité de son travail, de sa disponibilité et de sa ponctualité, ne suffisent pas à contredire les appréciations très précises et circonstanciées portées par ses supérieurs hiérarchiques sur les nombreuses carences constatées au cours du stage. Par leur nature et leur répétition, les faits reprochés au requérant sont de nature à caractériser une insuffisance professionnelle justifiant le licenciement contesté, qui ne constitue aucunement une sanction disciplinaire déguisée. Par suite, l'arrêté du 29 juillet 2021 refusant de titulariser M. D... n'est entaché ni d'une inexactitude matérielle des faits, ni d'une erreur manifeste d'appréciation.

8. En dernier lieu, il résulte de ce qui précède que M. D..., dont les moyens soulevés à l'encontre de la décision de licenciement ont tous été écartés, n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'administration est engagée en raison d'une prétendue illégalité entachant cette décision. Il n'est donc pas plus fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice résultant de son licenciement.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.




DÉCIDE :



Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.









Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Délibéré après l'audience publique du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 janvier 2024.


L'assesseure la plus ancienne,
Signé : D. BureauLe président de la formation de jugement,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa greffière,
Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
N. Roméro
2
N° 22DA01890



Source : DILA, 22/04/2024, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Douai

Date : 16/01/2024