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CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 26/09/2022, 20MA02726, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. BADIE

Rapporteur : M. Renaud THIELÉ

Commissaire du gouvernement : M. POINT

Avocat : SELARL HOUDART ET ASSOCIES


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) société d'exploitation des établissements Treve Abel (SEETA) a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Peirin à lui payer la somme de 381 896,81 euros hors taxes sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Par un jugement n° 1700338 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2020, et des mémoires enregistrés le 6 avril 2021 et le 31 août 2022, la société SEETA, représentée par Me Valazza, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 11 juin 2020 ;

2°) de condamner, le cas échéant solidairement, l'EHPAD Peirin, la société B... et partenaires, la société Valorim Développement et la société STG à lui payer la somme de 381 896,81 euros hors taxes en réparation de son préjudice ;

3°) de mettre à la charge, éventuellement solidaire, des mêmes personnes la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les entiers dépens de l'instance.


La société soutient que :
- sa demande indemnitaire est recevable ;
- le maître d'ouvrage a manqué à son obligation de direction et de coordination des travaux, sans que le recours à un assistant à maîtrise d'ouvrage ou à un maître d'œuvre puisse l'exonérer de sa responsabilité ;
- en s'abstenant de faire usage de moyens coercitifs à l'encontre des intervenants responsables des retards du chantier, le maître d'ouvrage a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, entraînant un bouleversement de l'économie du marché ;
- le maître d'ouvrage ne pouvait répartir les frais de nettoyage du chantier par le biais d'un compte prorata, dès lors que l'annexe 3 au cahier des clauses administratives particulières prévoit que seul un défaut de nettoyage dont la responsabilité ne peut être déterminée peut être affecté au compte prorata ;
- la société B... et partenaires, la société Valorim Développement et la société STG ont également commis des fautes qui engagent leur responsabilité quasi-délictuelle.


Par deux mémoires en défense, enregistrés le 27 novembre 2020 et le 2 avril 2021, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Peirin, représenté par la SELARL Houdart et associés, représentée par Me Déhu, conclut :

1°) au rejet de la requête d'appel ;

2°) à titre subsidiaire, à la condamnation du groupement de maîtrise d'œuvre et de la société Valorim Développement à le garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;

3°) en tout état de cause, à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société SEETA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les entiers dépens.


L'établissement public soutient que :
- les moyens de la société SEETA sont infondés ;
- subsidiairement, les membres du groupement de maîtrise d'œuvre, à l'origine des perturbations du chantier, ainsi que la société Valorim Développement, assistant à maîtrise d'ouvrage, doivent le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;
- les conclusions dirigées contre la société Valorim Développement sont recevables.


Par un mémoire, enregistré le 12 mars 2021, la société par actions simplifiée (SAS) Valorim Développement, représentée par Me Guenot, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société SEETA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


La société soutient que :
- les conclusions présentées par la société SEETA et dirigées contre elle sont nouvelles en appel et donc irrecevables ;
- la demande indemnitaire de la société SEETA, présentée plus de six mois après le rejet de sa réclamation indemnitaire, elle-même présentée plus de deux mois après la notification du décompte général, est contractuellement irrecevable en application de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- elle est irrecevable en l'état de l'avenant conclu le 27 mai 2014 ;
- les moyens de la société SEETA sont infondés.

Par courrier du 18 juillet 2022, la Cour a informé les parties que l'arrêt à intervenir était susceptible de se fonder sur un moyen d'ordre public, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées, pour la première fois en appel, par la société SEETA à l'encontre des sociétés B... et partenaires, Valorim Développement et STG.

Par un mémoire enregistré le 31 août 2022, la société SEETA a répondu à ce moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée ;
- l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Valazza pour la société SEETA, et de Me Renard pour l'EHPAD Peirin.

Considérant ce qui suit :

1. Par contrat conclu le 2 juillet 2013, l'établissement public local d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Peirin, situé sur le territoire de la commune de Cogolin, a confié à un groupement solidaire constitué de la société SEETA, mandataire, et de la société SODOBAT, le lot n° 1 " fondations spéciales - gros-œuvre " d'un marché public ayant pour objet la construction d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Après la réception des travaux, intervenue avec plus de huit mois de retard sur le planning initial, la société SEETA a présenté un projet de décompte final par lequel elle sollicitait, notamment, l'indemnisation d'un préjudice de 381 896,81 euros hors taxes. Après la notification le 17 mai 2016 du décompte général, la société a, le 27 juin 2016, présenté un mémoire de réclamation qui a été tacitement rejeté, puis a saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant à la condamnation de l'établissement public à lui payer cette indemnité. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté cette demande. La société SEETA relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions de la société SEETA dirigées contre la société B... et partenaires, la société Valorim Développement et la société STG :

2. Ces conclusions, qui sont nouvelles en appel, sont irrecevables. La circonstance, à la supposer établie, que les moyens soulevés à l'appui de ces conclusions relèvent de la même cause juridique que d'autres moyens présentés en première instance est sans influence sur cette irrecevabilité.

Sur les conclusions d'appel principal dirigées contre l'EHPAD Peirin :

En ce qui concerne les fautes imputées au maître d'ouvrage dans sa mission de contrôle et de direction du marché :

3. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

4. Contrairement à ce que soutient la société SEETA, la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée n'impose au maître d'ouvrage aucune " obligation de diriger et coordonner les travaux ", cette mission de direction et de coordination des travaux incombant au maître d'œuvre au titre des missions de direction de l'exécution des travaux (DET) et d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) détaillées dans l'arrêté susvisé du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé. La faute du maître d'ouvrage, qui n'est pas présumée, ne peut donc se déduire de l'existence d'un retard ou d'un défaut de coordination du chantier. Elle suppose qu'il soit établi que le maître d'ouvrage, dûment informé de la situation, s'est abstenu de faire usage de pouvoirs de direction et de contrôle du marché qui, s'ils avaient été mis en œuvre, auraient permis de remédier à la situation de perturbation qui est à l'origine du préjudice invoqué.

5. En premier lieu, il n'est ni établi, ni même sérieusement allégué que le retard accumulé par la société STG dans la réalisation des terrassements et la livraison de la plateforme de chantier, et qui s'est répercuté sur les interventions de la société SEETA, aurait pu être évité ou réduit si le maître d'ouvrage avait eu recours aux instruments de coercition dont il dispose.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'étape n° 3 établi le 31 décembre 2014 par la société Valorim Développement, assistant au maître d'ouvrage, que, comme le soutient la société SEETA, le groupement de maîtrise d'œuvre est, en partie, par ses erreurs et ses carences, responsable des perturbations qui sont à l'origine du retard pris par le chantier, du fait, en premier lieu, d'un retard dans l'établissement du dossier du projet (" PRO "), en deuxième lieu, d'erreurs de conception s'agissant des réseaux et de la cuisine, en troisième lieu, d'un retard dans la validation d'une note de calcul et des plans des réseaux sous dallage, et, en quatrième lieu, d'un manque d'efficacité dans la conduite de la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination. Toutefois, il résulte également de l'instruction que, loin de demeurer inactif, le maître d'ouvrage et son assistant ont adressé au groupement de maîtrise d'œuvre de nombreuses demandes d'explications, rappelé celui-ci à ses obligations et menacé de suspendre le paiement de ses honoraires en faisant exécuter les prestations par un bureau d'étude tiers à ses frais et risques. Ainsi, par courriel du 27 septembre 2013, l'assistant du maître d'ouvrage a demandé au maître d'œuvre de limiter à huit jours le délai de visa des plans d'exécution établis par les entreprises. Par courrier du 7 octobre 2013, l'EHPAD Peirin, maître d'ouvrage, a en outre demandé au maître d'œuvre " de mettre en place (...) une organisation simple, cohérente et efficiente qui permette d'apporter les réponses et validations nécessaires dans des délais raisonnables pour la bonne marche du chantier ". Par un nouveau courrier du 4 décembre 2013, l'EHPAD a relevé que les entreprises éprouvaient toujours " les plus grandes difficultés à faire valider leurs documents d'exécution " et énoncé diverses prescriptions en indiquant qu'à défaut d'action sous quinzaine, il se réservait " le droit de faire intervenir, à [ses] frais et risques, un bureau d'études tiers à qui [l'EHPAD confiera] le soin de mettre en cohérence les pièces du dossier marché et d'établir les détails de conception qui permettront aux entreprises d'établir leurs plans d'exécution ". Par un courriel du 10 avril 2014, l'assistant au maître d'ouvrage a constaté une absence " de validation des plans des réseaux" et menacé M. A..., représentant du cabinet B... et partenaires, à défaut d'exécution, d'une réduction d'honoraires. Par un courrier du 23 mars 2015, l'assistant au maître d'ouvrage a fait part à M. B... de sa " très grande inquiétude concernant la fin de la construction (...) et du sentiment partagé avec le maître d'ouvrage d'une abdication de la maîtrise d'œuvre face aux difficultés rencontrées ", en relevant qu'en dépit d'un changement d'équipe qui " avait laissé entrevoir une amélioration possible ", le constat devait être fait d'" un manque général de coordination " et de direction des travaux conduisant à un sous-effectif. Si la société SEETA soutient que l'EHPAD a commis une faute en ne faisant pas usage de ses pouvoirs coercitifs, elle n'indique pas quelles mesures supplémentaires, autres que les rappels et mises en demeure qui viennent d'être rappelées, auraient été de nature à remédier efficacement aux perturbations du chantier. Dans ces conditions, la société SEETA ne peut être regardée comme établissant l'existence d'une faute du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction des marchés.

7. Par ailleurs, la circonstance, alléguée, d'un bouleversement de l'économie du contrat n'est pas de nature à ouvrir droit à indemnisation dès lors que le bouleversement allégué ne procède pas de difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution du marché et présentant un caractère exceptionnel.

En ce qui concerne l'imputation au compte prorata des frais de nettoyage du chantier :

8. Aux termes de l'annexe 3 au cahier des clauses administratives particulières du marché, peut être imputé à un compte prorata " le nettoyage du chantier imposé par le maître d'œuvre suite à un défaut de nettoyage dont la responsabilité ne peut être déterminée ".

9. La société SEETA n'établit, ni même n'indique, l'identité des intervenants responsables de l'état du chantier ayant rendu nécessaire la réalisation de prestations de nettoyage imputées au compte prorata. Dès lors, elle ne prouve pas que la responsabilité des défauts de nettoyage pouvait être déterminée, et donc que le maître d'ouvrage aurait fait une inexacte application des stipulations précitées de l'annexe 3 au cahier des clauses administratives particulières.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société SEETA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Sur les dépens et les frais liés au litige :

11. En l'absence de dépens dans la présente instance, les conclusions présentées par les parties à ce titre ne peuvent être accueillies.

12. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait par ailleurs obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'EHPAD Peirin ou des sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de la société SEETA à ce titre.


D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société SEETA est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions des autres parties à l'instance est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation des établissements Treve Abel (SEETA), à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Peirin, à la société B... et partenaires, à la société Valorim Développement et à la société STG.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2022, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2022.
N° 20MA02726 2




Abstrats

39-01-03-02 Marchés et contrats administratifs. - Notion de contrat administratif. - Diverses sortes de contrats. - Marchés.
39-03-01-02 Marchés et contrats administratifs. - Exécution technique du contrat. - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas. - Marchés.

Source : DILA, 03/10/2022, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Marseille

Date : 26/09/2022