Président :
M. LAINE
Rapporteur :
Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Commissaire du gouvernement :
M. BESSE
Avocat :
VALLET
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Périers a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, de condamner solidairement la SAS Eurovia Basse-Normandie et la SARL Ingénierie pour l'Immobilier, venant aux droits de la société Neill Ingénierie Services à lui verser la somme de 148 948, 48 euros TTC en réparation des désordres affectant le réseau d'eaux usées de la rue du Pont l'Abbé et le dallage en béton de la place du Général de Gaulle, et d'autre part, de condamner solidairement la SAS Eurovia Basse-Normandie et la SARL Ingénierie pour l'Immobilier à lui verser la somme de 11 444, 82 euros au titre des frais d'expertise.
Par un jugement n° 1701909 du 16 novembre 2018, le tribunal administratif de Caen a condamné la SAS Eurovia Basse-Normandie à verser à la commune de Périers la somme de 84 721, 84 euros TTC, a mis les frais d'expertise, d'un montant total de 11 444, 82 euros pour moitié à la charge de la SAS Eurovia Basse-Normandie et pour moitié à la charge de la commune de Périers, a mis à la charge de la SAS Eurovia Basse-Normandie la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2019, la SAS Eurovia Basse-Normandie, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1701909 du tribunal administratif de Caen du 16 novembre 2018 en tant qu'il l'a condamnée au titre des désordres affectant le dallage en béton de la place du Général de Gaulle à Périers ;
2°) de rejeter l'ensemble des demandes de la commune de Périers devant le tribunal administratif de Caen ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Périers la somme de trois mille euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, il ne mentionne pas expressément l'ensemble des dispositions dont il a été fait application, notamment les dispositions du cahier des clauses administratives générales ou celles du code de justice administrative ;
- c'est à tort que pour les désordres affectant le dallage en béton, le tribunal administratif a retenu sa responsabilité sur le fondement de la garantie de parfait achèvement en application des articles 44.1 et 44.2 du cahier des clauses administratives générales ; la décision explicite de prorogation du délai de garantie de parfait achèvement du 11 décembre 2013 n'a concerné que les tâches pour lever les réserves mentionnées dans le procès-verbal de réception du 1er juillet 2013 sans aucune mention des désordres allégués concernant les dégradations du béton brossé réalisé place du Général de Gaulle ; il n'y a donc pas eu de prorogation du délai de garantie de parfait achèvement pour ces dommages ; les désordres ne sont donc pas couverts par cette garantie ; le premier acte interruptif de la commune date de la requête en référé expertise, largement après l'expiration du délai de garantie de parfait achèvement ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité doit être partagée avec le maître d'oeuvre, qui s'était vu confier une mission de maîtrise d'oeuvre complète comprenant notamment la mission de direction de l'exécution des travaux et qui a failli à sa mission DET ; le maître d'oeuvre aurait dû solliciter et contrôler les fiches de suivi de la fabrication du béton ; il aurait dû constater, en cours de l'exécution des travaux, l'insuffisance d'épaisseur du béton mis en oeuvre en rive et aux droits des joints, solliciter les bons de livraison du béton et contrôler son dosage en liant et sa teneur en eau ; la société NIS, maître d'oeuvre, devra donc être condamnée à la garantir à hauteur de 40 % des condamnations prononcées sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2019, la commune de Périers, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la SAS Eurovia Basse-Normandie en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Caen n'est pas irrégulier puisque ses visas mentionnent le code civil, le cahier des clauses administratives générales et le code de justice administrative ; ses motifs citent intégralement les dispositions du cahier des clauses administratives générales relatives à la garantie de parfait achèvement ;
- la prolongation de la garantie de parfait achèvement concerne aussi bien les réserves à la réception que des désordres ultérieurs ; elle a bien informé la SAS Eurovia Basse-Normandie et le maître d'oeuvre des désordres affectant le dallage en béton de la place du Général de Gaulle par courrier du 25 novembre 2013 pendant le délai de garantie de parfait achèvement ; elle a également prononcé la prolongation du délai de garantie de parfait achèvement avant le terme du délai par un courrier du 11 décembre 2013 ; ce courrier renvoie expressément au courrier du 25 novembre 2013 et incluait donc nécessairement les désordres affectant le dallage en béton de la place ;
- en ce qui concerne le partage de responsabilité entre la SAS Eurovia Basse-Normandie et la société IPI, elle s'en rapporte à l'appréciation de la cour administrative d'appel.
Par une ordonnance du 6 décembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., première conseillère,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Périers (Manche) a décidé de procéder à des travaux d'aménagement de son centre-ville sur deux zones, la première comprenant la place Leclerc, une portion de la RD 900 et le sud de la rue de Carentan, la seconde comprenant la place du Général de Gaulle. La maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée par un contrat du 2 août 2011 à la société Neill Ingénierie Services. Les travaux ont été divisés en six lots distincts, dont le lot n° 1 " Voirie - Collecte des eaux pluviales - Mobilier urbain - Signalisation " a été confié, par un contrat des 13 janvier et 24 février 2012, à la SAS Eurovia Basse-Normandie. La réception des travaux objets du lot n° 1 a été prononcée, avec réserves, le 1er juillet 2013. La levée des réserves concernant le lot n° 1 a été finalement prononcée le 18 juin 2014.
2. Des dommages étant apparus, notamment sur le dallage de la place du Général de Gaulle, la commune de Périers a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la désignation d'un expert. Il a été fait droit à cette demande par une ordonnance du juge des référés du tribunal du 25 mars 2015. L'expert, auquel un sapiteur avait été adjoint par une ordonnance du 16 février 2016, a rendu son rapport le 29 septembre 2016. La commune de Périers a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation solidaire de la SAS Eurovia Basse-Normandie et de la SARL Ingénierie pour l'Immobilier, venant aux droits de la société Neill Ingénierie Services, maître d'oeuvre, à lui verser une somme globale de 148 948, 48 euros TTC au titre des désordres affectant d'une part, le réseau d'eaux usées de la rue du Pont l'Abbé et, d'autre part, le dallage en béton de la place du Général de Gaulle. Par un jugement n° 1701909 du 16 novembre 2018, le tribunal administratif a, en premier lieu, condamné la SAS Eurovia Basse-Normandie à verser à la commune la somme de 84 721, 84 euros TTC au titre de l'indemnisation du coût de la reprise des désordres affectant le dallage en béton de la place du Général de Gaulle et, en second lieu, mis les frais d'expertise, d'un montant de 11 444, 82 euros, pour moitié à la charge de la société et pour moitié à la charge de la commune de Périers. La SAS Eurovia Basse-Normandie relève appel de ce jugement du 16 novembre 2018 en tant qu'il l'a condamnée au profit de la commune de Périers.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. L'article R. 741-2 du code de justice administrative dispose que : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ".
4. Le jugement contesté du tribunal administratif de Caen du 16 novembre 2018 mentionne, dans ses visas, le code civil, le code de justice administrative et le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux. Par ailleurs, au point 2 du jugement, les premiers juges ont cité les dispositions applicables des articles 44.1 et 44.2 du CCAG applicable au marché litigieux et aux points 11 et 15, les dispositions des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative. Le jugement contesté satisfait ainsi aux exigences des dispositions citées ci-dessus de l'article R. 741-2 du code de justice administrative. La SAS Eurovia Basse-Normandie n'est par suite pas fondée à soutenir que le jugement contesté serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la mise en oeuvre de la garantie de parfait achèvement :
5. L'article 44.1 du CCAG applicable au marché en cause dispose que : " Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44.2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception. / Pendant le délai de garantie, outre les obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de l'article 41.4, le titulaire est tenu à une obligation dite " obligation de parfait achèvement ", au titre de laquelle il doit : / a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41.5 et 41.6 ; / b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'oeuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci ; / c) Procéder, le cas échéant, aux travaux confortatifs ou modificatifs, dont la nécessité serait apparue à l'issue des épreuves effectuées conformément aux stipulations prévues par les documents particuliers du marché ; / d) Remettre au maître d'oeuvre les plans des ouvrages conformes à l'exécution dans les conditions précisées à l'article 40. / Les dépenses correspondant aux travaux complémentaires prescrits par le maître de l'ouvrage ou le maître d'oeuvre ayant pour objet de remédier aux déficiences énoncées aux b et c ci-dessus ne sont à la charge de l'entrepreneur que si la cause de ces déficiences lui est imputable. / L'obligation de parfait achèvement ne s'étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l'usage ou de l'usure normale. / A l'expiration du délai de garantie, le titulaire est dégagé de ses obligations contractuelles, à l'exception des garanties particulières éventuellement prévues par les documents particuliers du marché (...) ". L'article 44.2 du CCAG dispose par ailleurs que : " Si, à l'expiration du délai de garantie, le titulaire n'a pas procédé à l'exécution des travaux et prestations énoncés à l'article 44.1 ainsi qu'à l'exécution de ceux qui sont exigés, le cas échéant, en application de l'article 39, le délai de garantie peut être prolongé par décision du représentant du pouvoir adjudicateur jusqu'à l'exécution complète des travaux et prestations, que celle-ci soit assurée par le titulaire ou qu'elle le soit d'office conformément aux stipulations de l'article 41. 6 ".
6. D'une part, la garantie de parfait achèvement s'étend à la reprise tant des désordres ayant fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception que de ceux qui apparaissent et sont signalés dans l'année suivant la date de réception. Une action tendant au remboursement du coût des travaux destinés à remédier à des désordres apparus au cours du délai de garantie prévu à l'article 44-1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux n'est plus recevable après expiration de ce délai, à défaut de décision le prolongeant prise par le maître de l'ouvrage sur le fondement de l'article 44-2 du même cahier. D'autre part, le délai d'un an durant lequel l'entrepreneur est tenu à une garantie de parfait achèvement, en application de l'article 44-1 précité, court à compter de la réception des travaux par le maître de l'ouvrage, et n'est susceptible d'être prolongé que par une décision explicite de celui-ci.
7. Il résulte de l'instruction que la réception du lot n° 1 du marché public de réalisation des travaux d'aménagement du centre-ville de Périers a été prononcée avec effet au 21 décembre 2012, la réception étant assortie de diverses réserves ne concernant pas le dallage de la place du Général de Gaulle. Il résulte également de l'instruction que les dégradations affectant le dallage de cette place ont été signalés par la commune de Périers à la SAS Eurovia Basse-Normandie dans un courrier du 25 novembre 2013 mentionnant que " le béton brossé réalisé place du Général de Gaulle s'est fortement dégradé, la couleur obtenue ne correspond pas aux attentes de la commune et à l'échantillon présenté. De plus, l'usure précoce du produit nous amène à revenir vers vous afin d'obtenir de votre part une solution pérenne ". Ces désordres affectant le dallage de la place du Général de Gaulle ont donc été signalés dans l'année suivant la réception du lot n° 1. Par ailleurs, ce même courrier indiquait également l'intention du maître d'ouvrage de prolonger le délai de la garantie de parfait achèvement prévue par les stipulations de l'article 44.1 du CCAG " Travaux ". Par un courrier du 11 décembre 2013, dont il n'est pas contesté qu'il a été réceptionné avant l'expiration du délai d'un an de parfait achèvement ouvert le 21 décembre 2012, la commune de Périers a prononcé la prolongation du délai de la garantie de parfait achèvement en application des stipulations de l'article 44.2 du CCAG " Travaux ". Si la société appelante soutient que ce courrier n'a prononcé la prolongation du délai qu'en ce qui concerne les travaux qui faisaient l'objet des réserves assortissant la réception des travaux, le courrier du 11 décembre 2013 visait explicitement le précédent courrier du 25 novembre, lequel courrier visait explicitement les désordres affectant le dallage de la place du Général de Gaulle. Dans ces conditions, la décision du maître d'ouvrage du 11 décembre 2013 a prolongé le délai de la garantie de parfait achèvement également en ce qui concerne ces désordres. L'action du maître de l'ouvrage sur le fondement de la garantie de parfait achèvement n'était donc pas prescrite à la date à laquelle la commune de Périers a saisi le tribunal administratif de Caen.
En ce qui concerne l'appel en garantie présenté à titre subsidiaire :
8. La SAS Eurovia Basse-Normandie demande à être garantie des condamnations mises à sa charge par la SARL Ingénierie pour l'immobilier, venant aux droits de la société Neill Ingénierie Services, en charge de la maîtrise d'oeuvre des travaux de réhabilitation du centre-ville de Périers. Néanmoins, il résulte de l'instruction, notamment des constatations opérées par l'expert nommé par le juge des référés, que l'origine des désordres affectant le dallage de la place du Général de Gaulle réside dans la mise en place par la société titulaire du lot n° 1 d'un béton d'une épaisseur insuffisante en rive et aux droits des joints, et d'une constitution du béton, ainsi que de sa résistance, inférieures tant aux normes applicables qu'aux prescriptions techniques qu'avait formulées la société Neill Ingénierie Services, maître d'oeuvre, dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP). Dès lors que la SAS Eurovia Basse-Normandie a méconnu les prescriptions édictées par le maître d'oeuvre et que par ses seules allégations elle n'établit aucune faute de ce dernier lors de la direction du chantier, elle ne saurait être fondée à solliciter la condamnation du maître d'oeuvre à la garantir.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Eurovia Basse-Normandie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen l'a condamnée à indemniser la commune de Périers des désordres affectant le dallage de la place du Général de Gaulle et a rejeté sa demande tendant à être garantie par le maître d'oeuvre.
Sur les frais du litige :
10. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Périers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Eurovia Basse-Normandie demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
11. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Eurovia Basse-Normandie une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Périers en application de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Eurovia Basse-Normandie est rejetée.
Article 2 : La SAS Eurovia Basse-Normandie versera à la commune de Périers une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eurovia Basse Normandie, la société Neill Ingénierie Services et la commune de Périers.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique le 2 octobre 2020.
La rapporteure,
M. C...Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 19NT00274
Source : DILA, 13/10/2020, https://www.legifrance.gouv.fr/