Président :
M. LAPOUZADE
Rapporteur :
M. Ivan LUBEN
Commissaire du gouvernement :
Mme BERNARD
Avocat :
SCP ROCHETEAU ET UZAN-SARANO
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Support-RGS a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler les décisions des 27 novembre 2014, 7 novembre 2014, 7 novembre 2014, 18 novembre 2014, 1er décembre 2014, 5 décembre 2014, 15 décembre 2014, 21 novembre 2014 par lesquelles la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région Paris - Ile-de-France, la CCI de Montpellier, la CCI de Rennes, la CCI de Bordeaux, la CCI Grand Lille, la CCI Nice Côte d'Azur, la CCI de Strasbourg et du Bas-Rhin, la CCI de Toulouse ont rejeté ses demandes tendant à ce qu'elles cessent toute action de promotion et de commercialisation des certificats de signature électronique ChamberSign ainsi que les décisions implicites par lesquelles l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI), la CCI Côte d'Or, la CCI de Lyon, la CCI Marseille Provence, la CCI de Nantes Saint-Nazaire et la CCI Pau Béarn ont rejeté ses demandes ayant le même objet et, d'autre part, d'enjoindre à chacune de ces chambres, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, de cesser la promotion et la commercialisation, via l'association ChamberSign France, des certificats de signature électronique ChamberSign dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 1500260/2-1 du 3 mai 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions attaquées et a enjoint à chacune de ces chambres de cesser toute action de promotion et de commercialisation des certificats de signature électronique ChamberSign dans un délai de huit mois à compter de sa notification.
Par un arrêt n°s 16PA02138, 16PA03036 du 18 mai 2017, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par CCI France, la CCI de région Paris - Ile-de-France, la CCI de Bordeaux, la CCI Côte d'Or, la CCI Grand Lille, la CCI de Lyon, la CCI Marseille Provence, la CCI de Montpellier, la CCI Nice Côte d'Azur, la CCI de Nantes Saint-Nazaire, la CCI Pau Béarn, la CCI de Rennes, la CCI de Strasbourg et du Bas-Rhin et la CCI de Toulouse contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 3 mai 2016.
Par la décision n° 412562 du 9 novembre 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour la CCI France, la CCI de région Paris - Ile-de-France, la CCI Côte d'Or, la CCI Hauts-de-France, la CCI de Lyon, la CCI Marseille Provence, la CCI de l'Hérault, la CCI Nice Côte d'Azur, la CCI de Nantes Saint Nazaire, la CCI Pau Béarn, la CCI d'Ille-et-Vilaine et la CCI d'Alsace, a annulé cet arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 18 mai 2017 et a renvoyé l'affaire devant la cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 4 juillet 2016, 10 octobre 2016 et 6 janvier 2017 sous le n° 16PA02138 et une note en délibéré du 21 avril 2017, puis, après renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat, des mémoires enregistrés sous le n° 18PA03586 les 22 juillet 2019 et 23 janvier 2020, la CCI France, la CCI de région Paris - Ile-de-France, la CCI de Bordeaux, la CCI Côte d'Or, la CCI Grand Lille, la CCI de Lyon, la CCI Marseille Provence, la CCI de Montpellier, la CCI Nice Côte d'Azur, la CCI de Nantes Saint-Nazaire, la CCI Pau Béarn, la CCI de Rennes, la CCI de Strasbourg et du Bas-Rhin et la CCI de Toulouse, représentées par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocats au conseil, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1500260/2-1 du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les demandes présentées par la société Support-RGS devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de la société Support-RGS la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges ont insuffisamment motivé leur réponse au moyen soulevé par la société Support-RGS tiré de la méconnaissance du principe de spécialité ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elles ne commercialisent pas de certificat de signature électronique mais assurent une activité de promotion et participent à l'activité de certification en tant que bureaux d'enregistrement ;
- cette mission de bureau d'enregistrement s'inscrit dans le cadre de leurs missions historiques et constantes d'accompagnement et d'assistance des entreprises et entre dans le champ des 2° et 6° de l'article L. 710-1 du code de commerce ;
- l'existence d'un complément normal à l'exercice de certaines missions dévolues à un établissement public ne saurait être conditionnée par le caractère nécessaire de l'activité en cause à l'accomplissement de ces missions, mais est simplement commandée par son utilité ;
- la promotion des certificats électroniques commercialisés par ChamberSign France et la participation des CCI à l'activité de ChamberSign France en qualité de bureaux d'enregistrement, constituent un complément utile et donc normal aux missions de conseil, d'assistance, d'appui et de service, dévolues aux chambres de commerce et d'industrie par les dispositions du code de commerce, notamment ses articles L. 710-1, L. 711-3, D. 711-10 et D. 711-67 ;
- le fait que ces certificats soient également commercialisés auprès de professions réglementées ou de collectivités territoriales n'est pas déterminant pour apprécier la légalité des décisions attaquées dès lors, d'une part, que les professions réglementées constituent également des entreprises avec lesquelles les CCI travaillent et d'autre part, que la délivrance de certificats électroniques à certaines collectivités est essentiellement liée à la mise en place de procédure sécurisée de passation de marchés publics destinés aux entreprises ;
- l'association ChamberSign France n'est pas une association transparente et il n'existe aucune confusion possible entre celle-ci et les CCI dès lors qu'il s'agit d'entités distinctes tant sur le plan juridique, comptable que matériel ;
- ses activités de promotion et de certification en qualité de bureaux d'enregistrement ne méconnaissent pas la liberté du commerce et de l'industrie dès lors qu'elles justifient d'un intérêt public ;
- l'ensemble des prestations effectuées par les CCI font l'objet d'une rémunération de la part de l'association ChamberSign France ;
- l'association ChamberSign France ne perçoit pas de la part des CCI une aide d'État qui aurait dû faire l'objet d'une notification à la Commission européenne en application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Par des mémoires en défense enregistrés les 10 novembre 2016 sous le n° 16PA02138 et une note en délibéré enregistrée le 3 mai 2017, puis après renvoi par le Conseil d'Etat, sous le n° 18PA03586, le 29 mai 2019 et le 20 janvier 2020, la société Support-RGS, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge des CCI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- au regard du caractère transparent de l'association ChamberSign, les décisions des CCI constituent une violation du principe de spécialité ;
- la promotion et la commercialisation de certificats de signatures électroniques par les CCI, via ChamberSign, est illégale pour deux types de raisons au regard des règles encadrant l'activité économique des établissements publics :
- l'activité des CCI dépasse incontestablement leur mission étant donné que l'offre de ChamberSign s'adresse non seulement aux entreprises, mais également aux administrations, collectivités locales, établissements publics, professions réglementées et même à " toute personne souhaitant sécuriser les échanges électroniques " ;
- cette activité ne saurait caractériser un intérêt public alors que celui-ci est, à l'inverse, de laisser les acteurs privés se développer en évitant qu'ils se retrouvent en concurrence avec les CCI ;
- les activités de commercialisation des CCI méconnaissent la liberté du commerce et de l'industrie dès lors qu'il n'est pas établi que le marché en cause serait caractérisé par une carence de l'initiative privée ;
- l'association ChamberSign France perçoit de la part des CCI une aide d'État illégale et incompatible avec le marché intérieur qui aurait dû faire l'objet d'une notification à la Commission européenne en application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Par un acte enregistré le 11 septembre 2019, CCI France a été désignée en tant que représentante unique des requérantes par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano à la suite de la demande qui lui a été faite en application de la disposition de l'article R. 611-2 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me Uzan-Sarano, avocat des CCI requérantes, et de Me B..., avocat de la société Support-RGS.
Considérant ce qui suit :
1. L'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI), renommée CCI France à compter du 17 mai 2015 - en qualité de membre statutaire -, ainsi que la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Bordeaux, la CCI de Chalon sur Saône-Autun-Louhans, devenue la CCI de Saône-et-Loire, la CCI de Lyon, dont les services ont été repris par la CCI métropolitaine Lyon Métropole - Saint-Etienne Roanne, le groupement interconsulaire de Loire-Atlantique, dont les services ont été repris par la CCI de Nantes Saint-Nazaire, la CCI de Nice-Côte d'Azur, la CCI de Paris, la CCI de Strasbourg et du Bas-Rhin, la CCI de Toulouse, la CCI de Touraine, le groupement consulaire CCI 29 regroupant la CCI de Brest, la CCI de Quimper et la CCI de Morlaix - en qualité de membres fondateurs -, ont fondé le 20 septembre 2000 une association dénommée ChamberSign France, régie par la loi de 1901 et chargée d'établir un réseau de certification de signatures électroniques par les CCI et par les chambres régionales de commerce et d'industrie pour les entreprises et les acteurs économiques. La société Support-RGS, qui commercialise également des certificats de signature électronique, a demandé à ces chambres de cesser toute activité de promotion et de commercialisation des certificats de signature électronique. La société Support-RGS a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions par lesquelles les CCI ont rejeté ses demandes. Par un jugement n° 1500260/2-1 du 3 mai 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé ces décisions de rejet et a enjoint à chacune de ces chambres de cesser la promotion et la commercialisation, via l'association ChamberSign France, des certificats de signature électronique dans un délai de huit mois à compter de sa notification. Par une décision n° 412562 du 9 octobre 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour les CCI a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 18 mai 2017 et a renvoyé l'affaire devant la Cour.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Contrairement à ce que soutiennent les CCI, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments des parties, ont, en l'occurrence, précisément exposé les motifs de droit et de fait pour lesquels ils ont estimé que les activités des CCI en cause n'étaient pas nécessaires à l'accomplissement de leurs missions et ne sauraient donc constituer un complément normal à l'exercice de celles-ci. Les CCI requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que les premiers juges auraient, à cet égard, entaché leur jugement d'une insuffisance de motivation. La circonstance que le tribunal aurait apporté une réponse erronée en droit à son argumentation n'affecte pas la régularité du jugement mais le bien-fondé de celui-ci. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit, en tout état de cause, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :
4. Le principe de spécialité qui régit les établissements publics leur interdit d'exercer des activités étrangères à leur mission, sauf si ces activités en constituent le complément normal et si elles sont directement utiles à l'établissement.
5. Aux termes de l'article L. 710-1 du code de commerce : " Le réseau (des chambres de commerce et d'industrie) et, en son sein, chaque établissement ou chambre départementale contribuent au développement économique, à l'attractivité et à l'aménagement des territoires ainsi qu'au soutien des entreprises et de leurs associations en remplissant, dans des conditions fixées par décret, toute mission de service public et toute mission d'intérêt général nécessaires à l'accomplissement de ces missions. A cet effet, chaque établissement ou chambre départementale du réseau peut assurer, dans le respect, le cas échéant, des schémas sectoriels qui lui sont applicables :(...) / 2° Les missions d'appui, d'accompagnement, de mise en relation et de conseil auprès des créateurs et repreneurs d'entreprises et des entreprises, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur en matière de droit de la concurrence (...) / ; 6° Les missions de nature marchande qui lui ont été confiées par une personne publique ou qui s'avèrent nécessaires pour l'accomplissement de ses autres missions (...) ". Aux termes de l'article L. 711-3 du même code : " Dans le cadre des orientations données par la chambre de commerce et d'industrie de région compétente, les chambres de commerce et d'industrie territoriales et départementales d'Île-de-France exercent toute mission de service auprès des entreprises industrielles, commerciales et de services de leur circonscription. A ce titre : 1° Elles créent et gèrent des centres de formalités des entreprises et y assurent, pour ce qui les concerne, les missions prévues par l'article 2 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle ; 2° Elles peuvent assurer, en conformité, s'il y a lieu, avec le schéma sectoriel applicable, la maîtrise d'ouvrage de tout projet d'infrastructure ou d'équipement ou gérer tout service concourant à l'exercice de leurs missions (...) ". Aux termes de l'article D. 711-10 du même code : " Les chambres de commerce et d'industrie territoriales, les chambres de commerce et d'industrie départementales d'Île-de-France et les chambres de commerce et d'industrie de région ont notamment une mission de service aux créateurs et repreneurs d'entreprises et aux entreprises industrielles, commerciales et de services de leur circonscription./ Pour l'exercice de cette mission, elles créent et gèrent des centres de formalités des entreprises et apportent à celles-ci toutes informations et tous conseils utiles pour leur développement./ Elles peuvent également créer et assurer directement d'autres dispositifs de conseil et d'assistance aux entreprises, dans le respect du droit de la concurrence et sous réserve de la tenue d'une comptabilité analytique ".
6. Il ressort des pièces du dossier que l'association ChamberSign France commercialise des certificats de signature électronique et que les CCI participent à cette activité en assurant, d'une part, la promotion de ces certificats et, d'autre part, les fonctions de bureaux d'enregistrement. Les CCI perçoivent mensuellement une rémunération correspondant à un pourcentage du prix de vente des certificats de signature électronique versée par l'association ChamberSign France en contrepartie des fonctions de bureaux d'enregistrement, indispensables à la délivrance de ces certificats. Dans ces conditions, les CCI membres de l'association ChamberSign France doivent être regardées non seulement comme exerçant une activité de promotion des certificats de signature électronique proposés par cette association et de bureau d'enregistrement, mais également comme assurant la commercialisation de ces certificats.
7. Pour prononcer l'annulation des décisions contestées et enjoindre aux chambres consulaires de cesser leurs activités, les premiers juges ont retenu qu'elles ne pouvaient, sans méconnaître le principe de spécialité qui régit tout établissement public, ni assurer la promotion de certificats de signature électronique ou exercer l'activité dite de bureau d'enregistrement ni commercialiser ces certificats. Toutefois, il résulte des dispositions citées au point 5 que les chambres de commerce et d'industrie sont investies de compétences étendues pour soutenir et accompagner les entreprises. Or, dans un contexte de dématérialisation des procédures, l'utilisation, par les entreprises, du mécanisme de la signature électronique est susceptible de constituer une des conditions du maintien et du développement de leur compétitivité. Ainsi, l'activité de promotion de l'utilisation des certificats de signature électronique et l'exercice de l'activité dite de bureau d'enregistrement relèvent des missions des chambres consulaires et ne méconnaissent pas le principe de spécialité qui leur est applicable. Par ailleurs, l'activité de commercialisation des certificats de signature électronique constitue le complément normal des missions des chambres de commerce dès lors que cette mission s'inscrit dans le prolongement de leur mission d'appui et d'accompagnement des entreprises et est utile à l'exercice de celle-ci, y compris lorsque la commercialisation est effectuée au profit de collectivités territoriales ou de professions réglementées. Dès lors, en exerçant une activité de promotion des certificats de signature électronique, de bureau d'enregistrement et de commercialisation de ces certificats, les chambres consulaires n'ont pas méconnu le principe de spécialité auquel elles sont soumises en qualité d'établissement public. Dans ces conditions, les CCI sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la méconnaissance de ce principe pour annuler les décisions de rejet et enjoindre aux CCI de cesser leurs activités.
8. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Support-RGS devant le tribunal administratif de Paris et devant la Cour.
En ce qui concerne les autres moyens de première instance et d'appel :
9. En premier lieu, les personnes publiques sont chargées d'assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique. Si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la concurrence. Pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d'un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l'initiative privée. Une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci.
10. La société Support-RGS soutient que la commercialisation de certificats de signature électronique par les chambres consulaires porterait atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie dès lors qu'il n'est pas établi que le marché en cause serait caractérisé par une carence de l'initiative privée. Toutefois, si un intérêt public peut résulter de la carence ou de l'insuffisance de l'initiative des personnes privées, une telle carence ou une telle insuffisance ne saurait être regardée comme une condition nécessaire de l'intervention d'une personne publique sur un marché, dès lors que les activités en cause présentent un intérêt public suffisant. Par ailleurs, et ainsi qu'il a été dit aux points 5 à 7 du présent arrêt, le législateur n'a pas entendu exclure la possibilité pour les chambres consulaires de commercialiser des certificats de signature électronique. Ainsi, cette activité, qui constitue le complément normal des missions des chambres de commerce, permet d'assurer l'accompagnement des entreprises dans une phase de transition numérique et participe à l'objectif de dématérialisation des procédures et de l'utilisation, par les entreprises, du mécanisme de la signature électronique qui est susceptible de constituer une des conditions du maintien et du développement de leur compétitivité. Elle constitue ainsi un complément utile aux missions de soutien de l'activité industrielle et commerciale dont elles ont la charge, conformément aux dispositions précitées du code de commerce. Enfin, contrairement à ce que soutient la société Support-RGS, la commercialisation des certificats de signature électronique assurée par les chambres consulaires avec l'association ChamberSign France n'a pas eu pour effet de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises. Ainsi, elle n'a pas méconnu les conditions d'une concurrence loyale entre les prestataires de tels services. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'atteinte portée à la liberté du commerce et de l'industrie doit être écarté.
11. En second lieu, aux termes de l'article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". Aux termes de l'article 108, paragraphe 3, du même traité : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 108, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ".
12. Il résulte de ces dispositions que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles visées par l'article 107 TFUE est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité des dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux États membres la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 108 TFUE d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet. L'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions contestées ont institué des aides d'État au sens de l'article 107 TFUE.
13. La société Support-RGS soutient que les chambres consulaires fournissent à l'association ChamberSign France différents avantages constitutifs d'une aide d'État qui aurait dû être notifiée préalablement à la Commission européenne, dès lors qu'il en résulte pour cette association, qui constitue une entreprise soumise à la concurrence au sens du droit de l'Union européenne, un avantage susceptible d'affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence. Toutefois, si les CCI entretiennent des liens étroits avec l'association ChamberSign France dont elles sont membres et auprès de laquelle elles exercent notamment le rôle d'autorité d'enregistrement, il ressort des pièces du dossier que ces activités font l'objet de contreparties de la part de cette association. Si parmi les onze salariés de l'association ChamberSign France deux salariés des CCI de Lyon et de Brest ont été mis à la disposition de ChamberSign France, notamment entre 2007 et 2015, ces mises à dispositions ont données lieu à des contreparties de la part de l'association ainsi qu'il ressort des clauses figurant dans les différentes conventions de mise à dispositions versées au dossier. Par ailleurs, si la société Support RGS soutient que ChamberSign France a pu bénéficier des opérateurs et salariés des CCI, affectés à la distribution des certificats de signatures électroniques, dans le cadre des bureaux d'enregistrement, activité prise en charge par les CCI et que l'association ChamberSign n'a pas eu à développer, il ressort également des pièces du dossier que ces activités donnent lieu à des contreparties de la part de l'association ainsi qu'il ressort des stipulations des conventions versées au dossier. A ce titre, le montant des sommes versées par l'association ChamberSign France aux CCI au titre de leur activité de bureau d'enregistrement a fait l'objet d'une revalorisation par une délibération du 10 février 2009 afin de tenir compte des coûts liées à cette activité. Enfin, contrairement à ce que soutient la société Support-RGS, l'association ChamberSign France ne bénéfice pas des locaux mis gratuitement à sa disposition par la CCI de Paris, mais loue à la CCI de Lyon des bureaux pour un prix dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait manifestement inférieur au prix pratiqué dans la zone concernée. Ainsi, les prestations de bureau d'enregistrement assurées par les CCI pour le compte de l'association ChamberSign France ont été réalisées dans des conditions normales de marché et ne sont pas de nature à fausser la concurrence. Dans ces conditions, les activités des CCI exercées au profit de l'association ChamberSign ne présentent pas le caractère d'une aide d'Etat qui aurait dû faire l'objet d'une notification à la Commission européenne en application des dispositions précitées. Par suite, la société Support-RGS n'est pas fondée à se prévaloir de la violation des stipulations des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
14. Il résulte de ce qui précède que les CCI sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions par lesquelles les CCI ont rejeté les demandes de la société Support-RGS tendant à ce qu'elles cessent toute action de promotion et de commercialisation des certificats de signature électronique ChamberSign.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des CCI qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que la société Support-RGS demande au titre des frais d'instance.
16. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette dernière une somme totale de 1 500 euros à verser aux CCI sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1500260/2-1 du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de la société Support-RGS devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : La société Support-RGS versera la somme totale de 1 500 euros aux CCI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à CCI France, désignée représentante unique par l'acte du 11 septembre 2019 et à la société support-RGS.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. A..., président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 février 2020.
Le rapporteur,
I. A...Le président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N° 18PA03586
Abstrats
33-02-01 Établissements publics et groupements d'intérêt public. Régime juridique des établissements publics. Spécialité.
Source : DILA, 04/03/2020, https://www.legifrance.gouv.fr/