Président :
Mme HEERS
Rapporteur :
M. Pascal MANTZ
Commissaire du gouvernement :
M. BARONNET
Avocat :
SEBAN ET ASSOCIES
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Valladon a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly (OPALY) à lui verser la somme de 136 887,66 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2015 et de leur capitalisation, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison de la procédure, déclarée sans suite, de passation du marché public n° 402/10 portant sur des travaux de réhabilitation lourde d'un immeuble situé 34 rue Cauchy à Arcueil (Val-de-Marne), d'aménagement de la cour intérieure et de traitement de la façade, ainsi que la somme de 158 512,45 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2015 et de leur capitalisation, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière de la procédure de passation du marché public n° 472/11 portant sur les mêmes travaux, conclu le 19 juillet 2012 avec la société Bati-Rénov.
Par un jugement n° 1508041 du 25 juillet 2018, le Tribunal administratif de Melun a condamné l'OPALY à payer à la société Valladon la somme de 5 000 euros au titre de son éviction irrégulière du marché n° 472/11, assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 23 juin 2015, avec capitalisation des intérêts à compter du 23 juin 2016 puis, le cas échéant, à chaque échéance annuelle, et rejeté le surplus des conclusions des parties
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 septembre 2018 et le 1er avril 2020, la société Valladon, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 juillet 2018 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Melun a limité à la somme de 5 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2015 et assortie de la capitalisation de ces intérêts à compter du 23 juin 2016, la condamnation de l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly (OPALY) ;
2°) de condamner l'OPALY à lui verser la somme de 136 887,66 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2015 et de leur capitalisation, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison de la procédure, déclarée sans suite, de passation du marché public n° 402/10 ;
3°) de condamner l'OPALY à lui verser un surplus de 153 512,45 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2015 et de leur capitalisation, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière de la procédure de passation du marché public n° 472/11 ;
4°) de mettre à la charge de l'OPALY la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que le remboursement des entiers dépens.
Elle soutient que :
S'agissant des illégalités fautives commises par l'office public dans le cadre de la première consultation :
- le motif d'intérêt général invoqué n'est pas établi dès lors que le directeur général de l'office n'a pas explicité les raisons de sa décision de déclaration sans suite de la première consultation ;
- la décision de déclaration sans suite est insuffisamment motivée ;
- la décision de déclaration sans suite est irrégulière dès lors que la prétendue " erreur " la justifiant, décelée au stade de l'analyse des offres, aurait dû conduire l'OPALY à reprendre la même procédure au stade de cette analyse dans des conditions régulières et non à renoncer à la procédure pour relancer une nouvelle consultation ;
- la décision déclarant sans suite la première consultation est entachée d'un détournement de pouvoir dès lors qu'elle a été prise dans le but de l'écarter de l'attribution du marché en litige ; en effet, alors que l'examen des offres était entaché de manoeuvres frauduleuses en ce que les échanges entre le bureau d'études BETIOR, l'entreprise EBPS et l'OPALY se sont poursuivis après la date limite de remise des offres, ce dernier a décidé de renoncer à la consultation alors qu'il aurait dû reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres ;
- l'illégalité fautive de la décision de déclaration sans suite est de nature à engager la responsabilité de l'OPALY.
- l'OPALY a entaché la procédure d'examen des offres d'irrégularité et de méconnaissance du principe d'égalité de traitement en poursuivant les négociations avec la société EBPS après le délai de remise des offres et en rehaussant sa note au vu d'une offre complémentaire reçue hors délai ;
- elle aurait été déclaré attributaire du marché si le directeur de l'OPALY avait à nouveau convoqué la commission d'analyse des offres comme il aurait dû le faire, après la découverte des irrégularités commises ;
- un lien de causalité direct et certain est établi entre la déclaration sans suite et le préjudice subi par elle du fait de son éviction irrégulière dès lors que l'irrégularité à l'origine de la déclaration sans suite est antérieure au rejet de son offre ;
- dès lors qu'elle disposait de chances sérieuses d'obtenir le marché, elle est bien fondée à prétendre au remboursement de l'intégralité des gains dont elle a été privée.
S'agissant des illégalités fautives commises par l'office public dans le cadre de la seconde consultation :
- en acceptant l'offre finale de la société Bati-Rénov, pourtant déposée hors délai, alors que cette offre aurait dû être écartée comme irrecevable, l'OPALY a violé le principe d'égalité de traitement des candidats ; cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'OPALY ;
- la commission chargée de l'analyse des offres a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle aurait dû se voir attribuer au moins la même note que la société Bati-Rénov au regard du sous-critère relatif aux moyens et procédures mis en oeuvre par l'entreprise pendant l'année de garantie de parfait achèvement ; cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'OPALY ;
- dès lors qu'elle disposait de chances sérieuses d'obtenir le marché, elle est bien fondée à prétendre au remboursement de l'intégralité des gains manqués dans le cadre de cette seconde consultation et non au seul remboursement des frais de présentation de son offre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2019, l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly (OPALY), représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mis à la charge de la société Valladon le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Des pièces ont été produites le 2 novembre 2020 pour la société Valladon par Me E....
Des pièces ont été produites le 2 novembre 2020 pour l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly par Me B..., qui n'ont pas été communiquées ni prises en considération par la Cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 ;
- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 ;
- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- les observations de Me A... pour la société Valladon,
- et les observations de Me F... pour l'office public de l'habitat Arcueil-Gentilly (OPALY).
Une note en délibéré a été enregistrée le 21 décembre 2020, présentée pour la société Valladon.
Considérant ce qui suit :
1. Par un premier avis publié le 18 mai 2010 au bulletin officiel des annonces de marchés publics, l'office public de l'habitat Arcueil-Gentilly (OPALY) a engagé une consultation en vue de la passation d'un marché public n° 402/10 portant sur des travaux de réhabilitation lourde d'un immeuble situé à Arcueil, selon une procédure négociée et restreinte. La candidature de la société Valladon a été retenue et cette dernière invitée à participer aux négociations et à remettre une offre. Par courrier du 15 juillet 2011, la société requérante a été informée du rejet de son offre et par courrier du 2 août 2011, elle a été informée des motifs de ce rejet et de l'attribution du marché à la société EBPS. Par courrier du 29 septembre 2011, le directeur général de l'OPALY a toutefois informé la société Valladon de sa décision de déclarer sans suite cette procédure pour motif d'intérêt général. Par un jugement n° 1108292/8 rendu le 5 juin 2013, le Tribunal administratif de Melun a rejeté la requête de la société Valladon dirigée, notamment, contre cette décision du 29 septembre 2011. Ce jugement a été confirmé par la Cour par un arrêt n° 13PA03151 rendu le 11 février 2014. Par un second avis publié le 9 novembre 2011 au bulletin officiel des annonces des marchés publics, l'OPALY a engagé une nouvelle consultation en vue de la passation d'un marché public n° 472/11 portant sur la même opération de travaux selon la même procédure. La candidature de la société Valladon a été retenue et cette société invitée à remettre une offre et à participer aux négociations. Par courrier du 9 mai 2012, elle a toutefois été informée du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Bati-Rénov. Par un jugement n° 1205980/8 du 3 juillet 2013, le Tribunal administratif de Melun a annulé le contrat conclu le 19 juillet 2012 entre l'OPALY et la société Bati-Rénov, avec effet différé au 1er décembre 2013, jugement confirmé par la Cour par un arrêt nos 13PA03152, 13PA03153, 13PA03154 et 13PA03155 du 11 février 2014. Le 22 juin 2015, la société Valladon a demandé à l'OPALY de lui verser, d'une part, la somme de 464 021 euros HT en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi à raison tant des irrégularités commises au stade de l'analyse des offres que de l'illégalité de la déclaration sans suite par l'OPALY dans le cadre de la première consultation et, d'autre part, la somme de 171 364,81 HT en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi à raison des irrégularités commises par l'OPALY à l'occasion de la seconde consultation. Le 21 août 2015, l'OPALY a rejeté ces demandes. La société Valladon relève appel du jugement du 25 juillet 2018 par lequel le Tribunal administratif de Melun a limité à 5 000 euros la condamnation de l'OPALY à raison de son éviction du marché n° 472/11 et a rejeté sa demande relative au marché n° 402/10.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. En premier lieu, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation. Il s'en suit que lorsque l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction du candidat, il n'y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée.
3. En second lieu, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
En ce qui concerne la première procédure négociée :
S'agissant de la responsabilité de l'Office public de l'habitat Arcueil-Gentilly (OPALY) :
4. Aux termes de l'article L. 421-26 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable : " Les marchés des offices publics de l'habitat sont régis par les dispositions applicables aux marchés des personnes publiques ou privées soumises aux règles fixées par l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. ". Aux termes de l'article 11 de l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, alors en vigueur : " (...) Une procédure est restreinte lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice invite un certain nombre de candidats choisis sur la base de critères objectifs et non discriminatoires à participer à la procédure ". Aux termes de l'article 12 de cette ordonnance : " Les procédures de passation sont : (...) 3° Les procédures négociées, dans lesquelles les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices négocient les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques (...) Un décret en Conseil d'Etat définit les cas dans lesquels les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices peuvent recourir à ces différents types de procédures et leurs modalités de mise en oeuvre ". Aux termes de l'article 24 du décret du 30 décembre 2005, alors en vigueur, fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics : " I. - Pour l'application des dispositions du présent chapitre, sont qualifiées : - d'irrégulière une offre incomplète ou non conforme aux exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou les documents de la consultation (...) ". Et aux termes de l'article 37 du même décret : " La négociation est engagée avec les candidats sélectionnés (...) La négociation est conduite dans le respect du principe d'égalité de traitement de tous les candidats ".
5. La société Valladon, en rappelant les circonstances dans lesquelles l'OPALY a procédé à l'analyse des offres des différents candidats admis à participer aux négociations, fait valoir, d'une part, que l'Office a poursuivi les négociations avec l'entreprise EBPS après le délai de remise des offres, contrairement aux règles de la consultation, et a rehaussé sa note après avoir accepté sa dernière offre parvenue hors délai, ce qui constitue selon elle un manquement portant atteinte aux principes fondamentaux de la commande publique. Elle soutient d'autre part que ce manquement a fondé la décision de déclaration sans suite de la procédure prise par le directeur général de l'OPALY, prétendument pour motif d'intérêt général. Par suite, la société Valladon doit être regardée comme invoquant l'irrégularité fautive de l'OPALY dans l'examen des offres, laquelle, ainsi qu'il ressort des termes mêmes de cette décision, a conduit à déclarer sans suite la procédure.
6. Il résulte de l'instruction, notamment de la lettre d'invitation à la remise d'une offre adressée par l'OPALY à la société Valladon en date du 6 avril 2011, que la valeur technique intervenait pour 60% dans l'appréciation de l'offre et le prix pour 40%. Dans le cadre de la négociation avec les candidats admis à présenter une offre, le bureau d'études techniques BETIOR, membre de la commission d'analyse des offres, avait demandé à la société Valladon et à la société EBPS, candidates à l'attribution du marché, par lettre du 4 juillet 2011, des clarifications techniques et commerciales, notamment sur la solution de plancher allégé, ainsi que leur meilleure offre y compris avec rabais commercial, avec une date limite de réponse fixée au 5 juillet 2011 à 12 heures. La société Valladon a adressé sa réponse dans ce délai. La société EBPS, pour sa part, a répondu par deux lettres adressées à BETIOR les 7 et 8 juillet 2011, ainsi que par une lettre adressée le 8 juillet 2011 à l'OPALY. L'offre technique et commerciale de la société EBPS figurant dans ces courriers de réponse, non conforme aux exigences de délai formulées par la lettre du BETIOR du 4 juillet 2011, document de la consultation au sens de l'article 24 du décret du 30 décembre 2005 susvisé, n'a pas été qualifiée d'irrégulière par l'OPALY contrairement aux dispositions de ce même article 24. Il ressort en outre du rapport d'analyse des offres, notamment des observations qui y figurent que, s'agissant de l'entreprise EBPS, " la note technique a été remontée suite à la correspondance de l'entreprise en date du 8 juillet 2011, confirmant la prise en compte de la certification CERQUAL de manière plus détaillée que dans les correspondances précédentes, et chiffrant de manière plus réaliste la variante de plancher en béton allégé ". Il résulte ainsi de l'examen des tableaux de classement global avant et après négociation, mentionnés dans ce même rapport, que la note de la société EBPS, qui était, en valeur pondérée, de 46,80 points au regard du critère de la valeur technique avant négociation, a ainsi été remontée à 48,60 points, ce qui lui a permis, compte tenu de la note maximale de 40 points obtenue au regard du critère du prix, d'être classée en première position avec un total de 88,60 points, devant la société Valladon qui totalisait 87,97 points.
7. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la société Valladon est fondée à invoquer la faute commise par l'OPALY en poursuivant les négociations avec l'entreprise EBPS après le délai de remise des offres, contrairement aux règles de la consultation, et en rehaussant sa note au vu de sa dernière offre parvenue après ce délai. En favorisant de la sorte l'entreprise EBPS, l'OPALY a méconnu l'égalité de traitement entre les candidats et a permis à cette entreprise d'être classée en première position. Cette méconnaissance constitue une faute de l'OPALY de nature à engager sa responsabilité, directement à l'origine de l'éviction de la société Valladon, classée immédiatement après EBPS.
Sur le préjudice :
8. Ainsi qu'il a été dit aux points 6 et 7, la société EBPS n'a été classée première que moyennant une rupture d'égalité de traitement entre les candidats. Sans cette irrégularité, la société Valladon serait arrivée en première position avec 87,97 points si la procédure n'avait été abandonnée par l'OPALY en raison, précisément, de cette irrégularité. Par suite, la société requérante a été privée d'une chance sérieuse de remporter le marché. Elle a droit, dès lors, à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner résultant de cette perte de chance, qui doit être déterminé non pas en fonction du résultat courant avant impôt, ainsi qu'elle le soutient en produisant l'attestation de son expert-comptable en date du 23 octobre 2015, mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu. Il résulte de l'instruction, notamment des éléments afférents à cette société issus de trois sites internet accessibles à tout public et dédiés à la publication des comptes des sociétés, aux informations concordantes, à savoir les sites societeinfo.com, entreprises.lefigaro.fr et manageo.fr que, s'agissant des années 2011 et 2012 durant lesquelles le marché, prévu initialement pour une durée de douze mois, aurait dû être exécuté et payé, le résultat net de la société a été en 2011 de 495 398 euros pour un chiffre d'affaires de 14 806 646 euros et en 2012 de 422 667 euros pour un chiffre d'affaires de 16 464 139 euros. Il en résulte que le taux de marge nette de la société était, arrondi au centième, de 3,34% en 2011 et de 2,57% en 2012, soit une rentabilité moyenne nette de 2,96% au titre des deux années 2011 et 2012. Dans ces conditions, le montant de la dernière offre après négociation de la société Valladon ayant été chiffrée à 1 901 217,60 euros hors taxes, le manque à gagner subi elle doit être évalué à 2,96% de ce montant, soit la somme de 56 276 euros hors taxes. Il y a lieu, dès lors, de condamner l'OPALY à verser cette dernière somme à la société Valladon au titre de son éviction de de cette première procédure.
En ce qui concerne la seconde procédure négociée :
Sur la responsabilité de l'OPALY :
9. Il résulte des énonciations de l'arrêt de la Cour du 11 février 2014 visé au point 1, devenu définitif, que l'OPALY, en acceptant de prendre en compte l'offre de la société Bati-Rénov reçue après l'expiration du délai de réponse fixé par le bureau d'études, et qui a permis à celle-ci de remporter le marché compte tenu de la note obtenue concernant le critère du prix, a irrégulièrement favorisé cette société et méconnu, de ce fait, le principe de l'égalité de traitement entre les candidats, engageant ainsi sa responsabilité. Eu égard à sa nature, un tel manquement est directement à l'origine de l'éviction de la société Valladon.
Sur le préjudice :
10. Aux termes de l'article 24 du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics : " III. - Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment... la valeur technique... , le prix (...) / IV. - Sauf dans la procédure du concours, lorsque plusieurs critères sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération. (...) Les critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation sont indiqués dans l'avis d'appel à concurrence ou dans les documents de la consultation ".
11. Selon le règlement de la consultation applicable au marché litigieux, la valeur technique intervenait pour 60% dans l'appréciation de l'offre et le prix pour 40%. La valeur technique des offres était appréciée à partir de quatre sous-critères tenant, en premier lieu, aux moyens humains, techniques et matériels mis en oeuvre par le candidat pour 15%, en deuxième lieu, à la méthodologie et aux modalités opérationnelles du chantier pour 30%, en troisième lieu, aux moyens et procédures mises en oeuvre par l'entreprise pendant l'année de garantie de parfait achèvement pour 10% et, en quatrième lieu, à la méthodologie et au management interne à l'entreprise pour garantir la certification CERQUAL Patrimoine Habitat et QUALITEL pour 5%.
12. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'examen du tableau de classement final des offres contenu dans le rapport d'analyse des offres produit le 8 octobre 2015 par la société Valladon, le seul à avoir fait l'objet d'un débat contradictoire dans le cadre de la présente instance et donc le seul dont la Cour a pris connaissance, qu'à l'issue des négociations qu'elle avait engagées avec dix candidats, l'OPALY a classé l'offre de la société Valladon en troisième position avec une note finale de 89 points, derrière celle de la société Bati-Rénov, classée première avec une note finale de 90 points, mais dont l'offre, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, n'aurait pas dû être retenue. Il résulte en outre des écritures en défense de l'OPALY, non contestées sur ce point, que la société Paris-Ouest, avec 53 points sur le critère de la valeur technique après négociation, était mieux notée que la société Valladon qui ne totalisait que 52 points.
13. A cet égard, s'agissant de ce critère de la valeur technique, la société Valladon invoque une erreur manifeste d'appréciation affectant la note de 7 sur 10 qui a été attribuée à son offre pour le sous-critère concernant la garantie de parfait achèvement. Il résulte de l'instruction que, dans sa note méthodologique, à la rubrique " moyens et procédures mises en oeuvre par l'entreprise pendant l'année de garantie de parachèvement ", la société a évoqué un " service dépannage ", en capacité de réaliser des interventions dans les plus brefs délais, à des moments variables en fonction de l'heure de la demande d'intervention, puis un " service entretien ", capable d'intervenir rapidement, dans des délais également différents en fonction du caractère d'urgence des travaux à exécuter, en complément de ce " service dépannage ". Il résulte toutefois des conclusions du rapport sur l'analyse des offres que si cette entreprise précisait les procédures d'intervention pendant l'année de parfait achèvement, disposait d'un service spécifique (appelé GPA) et garantissait intervenir sous quatre heures pour les travaux d'urgence, en revanche, les moyens du service GPA n'étaient pas abordés. Il ressort en effet du mémoire technique précité de la société Valladon que si cette dernière a précisé les moyens humains, techniques et matériels affectés par elle tant aux études qu'aux différentes opérations du chantier dans son ensemble, elle n'a toutefois pas mentionné les moyens humains et matériels spécifiquement dédiés. Dans ces conditions, la commission chargée de l'analyse des offres, en attribuant une note de 7 sur 10 à la société Valladon concernant le sous-critère relatif à cette garantie, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
14. En second lieu, il résulte du tableau intitulé " résultat du recalage des offres après négociation " que la société Paris-Ouest, dont l'offre finale était de 2 140 000 euros HT, était moins-disante que la société Valladon dont l'offre finale était de 2 142 060,15 euros HT. Dès lors, la société Paris-Ouest était nécessairement mieux classée que la société Valladon dans le tableau de classement final. Par suite, alors même que l'offre de la société Bati-Rénov devait être écartée, la société Valladon, qui n'aurait été classée à son tour qu'en deuxième position derrière la société Paris-Ouest, ne peut être regardée comme ayant disposé d'une chance sérieuse de remporter le marché. Elle ne saurait, dès lors, être fondée à demander l'indemnisation du manque à gagner résultant de son éviction irrégulière du marché.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Valladon est seulement fondée à demander que la condamnation de l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly (OPALY) prononcée par le jugement attaqué soit portée à la somme de 61 276 euros hors taxes.
En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :
16. La société Valladon a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 61 276 euros HT à compter du 23 juin 2015, date de réception de sa demande préalable par l'OPALY.
17. Aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par la société Valladon le 8 octobre 2015. Il y a lieu de faire droit à cette demande de capitalisation des intérêts à compter du 23 juin 2016, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Valladon qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly (OPALY) demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'OPALY une somme de 1 500 euros à verser à la société Valladon sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 5 000 euros que l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly a été condamné à verser à la société Valladon par le jugement n° 1508041 du 25 juillet 2018 du Tribunal administratif de Melun est portée à 61 276 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2015 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 23 juin 2016 ainsi qu'à chaque échéance annuelle depuis cette date.
Article 2 : Ce jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly versera à la société Valladon une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Valladon est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Valladon et à l'Office public de l'habitat d'Arcueil-Gentilly.
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente,
- M. D..., premier conseiller,
- Mme Portes, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.
Le rapporteur,
P. D...Le président,
M. C...Le greffier,
A. BENZERGUA
La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03185
Abstrats
39-02-005 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Formalités de publicité et de mise en concurrence.
Source : DILA, 16/03/2021, https://www.legifrance.gouv.fr/