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CAA de VERSAILLES, 2ème chambre, 24/07/2018, 16VE01326, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. BRUMEAUX

Rapporteur : M. Benoist GUÉVEL

Commissaire du gouvernement : Mme RIBEIRO-MENGOLI

Avocat : SCP THOUVENIN COUDRAY GREVY


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision ministérielle rejetant implicitement sa demande indemnitaire préalable et de condamner pour faute l'Etat à lui verser une indemnité de 300 000 euros en indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de faits constitutifs de harcèlement sexuel et de discrimination et de l'absence de protection fonctionnelle accordée par l'Etat.

Par un jugement n° 1303417 du 3 mars 2016, le Tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 mai 2016 et le 18 mai 2016, MmeA..., représentée par la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° d'annuler cette décision implicite de rejet ;

3° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 300 000 euros, sauf à parfaire, outre les intérêts et les intérêts capitalisés ;

4° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A...soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, la minute du jugement n'ayant pas été signée par les magistrats qui l'ont rendu en violation des prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le jugement est infondé, la responsabilité pour faute de l'Etat étant engagée à raison du harcèlement sexuel et de la discrimination dont elle a fait l'objet, ainsi que des agissements de sa hiérarchie et de l'absence de protection fonctionnelle accordée.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée, portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 modifiée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guével,
- et les conclusions de Mme Ribeiro-Mengoli, rapporteur public.


1. Considérant que Mme A...relève appel du jugement n° 1303417 du 3 mars 2016 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision ministérielle rejetant implicitement sa demande indemnitaire préalable et à la condamnation pour faute de l'Etat à lui verser une indemnité de 300 000 euros en indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de faits constitutifs de harcèlement sexuel et de discrimination et de l'absence de protection fonctionnelle accordée par l'Etat ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience " ; qu'il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement rendu le
3 mars 2016 a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ; qu'ainsi, ce jugement répond aux exigences de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de signature du jugement par les magistrats manque en fait ;

Sur le bien-fondé du jugement contesté :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison de faits constitutifs de harcèlement sexuel :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, dans sa rédaction applicable : " Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers ; 2° Le fait qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il a témoigné de tels agissements ou qu'il les a relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. " ; qu'aux termes de l'article 1 de la loi du 27 mai 2008 susvisée : " (...). La discrimination inclut : 1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; 2° Le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé par l'article 2. " ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire ;
5. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement sexuel, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que, d'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement sexuel revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement sexuel ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement sexuel est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que MmeA..., commandant de police exerçant depuis septembre 2003 les fonctions de chef de la documentation opérationnelle à la division nationale antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire, a dénoncé auprès de son administration fin 2009 et courant 2010 les agissements attribués à l'un de ses supérieurs hiérarchiques au titre de la période 2006-2010 ; que les pièces versées à l'instance par la requérante, en particulier les courriers électroniques datés de 2006 et des éléments circonstanciés de l'enquête administrative de 2010, démontrent qu'une relation amicale s'est établie courant 2006 entre l'intéressée et un commissaire divisionnaire qui se fréquentèrent alors en dehors du service et parfois même à l'initiative de l'intéressée ; que si le supérieur hiérarchique de Mme A...a tenu des propos et adopté des comportements destinés à la séduire, ces agissements ne peuvent être regardés, en l'espèce, comme ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité de l'intéressée, ni de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante ; que si Mme A...a déposé plainte en juillet 2010 pour harcèlement sexuel contre son supérieur hiérarchique auprès du procureur de la République, elle n'établit ni même n'allègue que des poursuites pénales auraient été engagées à l'encontre de ce commissaire divisionnaire ; que la circonstance que ce dernier a changé d'affectation en septembre 2010 ne permet pas par elle-même de démontrer la réalité des faits qui lui sont reprochés par la requérante ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé que Mme A...n'apportait pas d'éléments susceptibles de faire présumer l'existence de faits constitutifs de harcèlement sexuel au sens des dispositions visées au point 3 ;

7. Considérant, en second lieu, que Mme A...soutient qu'en raison de son refus de subir les agissements de harcèlement de son supérieur hiérarchique dont le but était d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ainsi que de sa dénonciation desdits agissements, elle a fait l'objet de mesures défavorables tenant à ses conditions de travail, à sa notation et à ses possibilités de mutation ; qu'elle fait ainsi valoir qu'elle fut placée sous observation par l'affectation à ses côtés d'un major de police à compter de 2006, privée du bénéfice d'une prime au mérite à partir de 2007 et de l'accès à un véhicule de service, pénalisée par la diminution de ses attributions du fait de la réorganisation du service en novembre 2008 et l'abaissement de sa notation au titre des années 2008 et suivantes, entravée dans le déroulement de sa carrière par le refus opposé à sa quinzaine de demandes de mutation ; qu'il résulte toutefois de l'instruction qu'à l'exception de l'évaluation annuelle de 2008, les mesures précitées n'ont pas été prises par ou à l'initiative du commissaire divisionnaire en cause ; qu'il n'est établi ni que tout ou partie de ces mesures auraient été inspirées par les développements de la relation entre Mme A...et le commissaire divisionnaire, ni qu'elles constitueraient des décisions excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ou reposant sur des considérations étrangères à la bonne organisation du service ou alors manifestant une volonté discriminatoire à l'égard du commandant de police ; que, dans ces conditions, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que les mesures précitées auraient été adoptées en conséquence de ce qu'elle s'est opposée ou a dénoncé les agissements de harcèlement à finalité sexuelle qu'elle a imputés à son supérieur hiérarchique ; qu'il suit de là que Mme A...n'a pas fourni d'éléments de nature à faire présumer l'existence de faits constitutifs de discrimination au sens des dispositions visées au point 3 ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison de l'absence de protection fonctionnelle :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, dans sa rédaction applicable : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. Lorsqu'un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui. La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle. La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d'une action directe qu'elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires. " ;

9. Considérant que ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général ; que cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à
celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis ; que la mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre ; qu'il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation
vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

10. Considérant que, pour les motifs exposés aux points 6 et 7, il ne résulte pas de l'instruction que Mme A...aurait été victime de harcèlement sexuel ou de discrimination ; que, dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute en refusant de lui accorder la protection prévue par les dispositions, mentionnées au point 8, de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; qu'au demeurant, l'intéressée a formé un recours contentieux à l'encontre de la décision du ministre de l'intérieur refusant de faire droit à sa demande de protection fonctionnelle présentée le 26 mai 2011, qui a été rejeté par un jugement n° 1114150 du 13 septembre 2010 du Tribunal administratif de Paris, à l'encontre duquel le pourvoi en cassation n'a pas été admis par une décision n° 363877 du 5 juillet 2013 du Conseil d'Etat ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;





DÉCIDE :



Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.
2
N° 16VE01326



Abstrats

36-07-01-01 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales. Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).

Source : DILA, 07/08/2018, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Versailles

Date : 24/07/2018