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CAA de NANTES, 4ème chambre, 06/07/2018, 16NT04079, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. LAINE

Rapporteur : Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER

Commissaire du gouvernement : M. BRECHOT

Avocat : MAZALTOV


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SAS a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui payer la somme de 73 332,94 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 22 septembre 2015, en réparation du préjudice résultant pour elle de la faute commise par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) du Centre en s'abstenant de provoquer la régularisation de sa situation de sous-traitant de la société Armat France.

Par un jugement n° 1602144 du 17 novembre 2016, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande de la société SAS.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 19 décembre 2016, le 3 janvier 2018 et le 12 février 2018, la société SAS, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 novembre 2016 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 73 332,94 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 22 septembre 2015, en réparation du préjudice résultant pour elle de la faute commise par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement du Centre en s'abstenant de provoquer la régularisation de sa situation de sous-traitant de la société Armat France ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner l'Etat aux dépens.

Elle soutient que :
- elle était sous-traitante de la société Armat France pour la fourniture et la pose d'armatures dans le cadre du chantier de suppression du passage à niveau PN3bis à Coudray ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat (DREAL) est engagée dès lors qu'il ne s'est pas conformé aux dispositions des articles 6 et 14 de la loi du 31 décembre 1975 ; la société Armat France n'a pas été mise en demeure de lui remettre une caution bancaire ou de la déléguer au profit de la DREAL ; aucune des garanties de paiement prévues par l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 n'a été mise en oeuvre ; en se bornant à demander des informations, la DREAL n'a pas rempli les obligations résultant de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;
- la DREAL avait connaissance de son intervention à compter de sa mise en demeure du 22 septembre 2015 l'informant de sa qualité de sous-traitant industriel impayé et sans garantie ;
- la société Armat France a été mise en liquidation judiciaire le 6 janvier 2016 et il n'existait pas de procédure collective contre cette société le 22 septembre 2015 ;
- le montant des impayés s'élève à la somme de 73 332,94 euros.


Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'administration n'a pas commis de faute dès lors qu'elle n'avait pas connaissance de l'existence de l'intervention et de la sous-traitance de la société requérante avant la fin des travaux ;
- en tout état de cause, sa responsabilité serait limitée par les fautes commises par la société requérante elle-même et par celles de la société Armat France ; le préjudice de la requérante serait limitée à la perte de chance de bénéficier d'une délégation de paiement ou d'obtenir une caution ;
- le préjudice allégué n'est pas certain.


Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 modifiée ;
- le code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure ;
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :
1. Par un marché notifié le 9 décembre 2014, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) du Centre - Val de Loire a confié au groupement d'entreprises composé des sociétés Bouygues TP et Colas la réalisation des travaux de suppression du passage à niveau PN 3 bis sur la route nationale 123 au Coudray. Par un acte de déclaration de sous-traitance du 8 avril 2015, le groupement a sous-traité une partie des prestations de fourniture et de pose d'armatures à la société Armat France pour un montant de 86 339,52 euros hors taxes. Cette sous-traitance a été acceptée et les conditions de paiement ont été agréées par la maîtrise d'ouvrage le 22 avril 2015. Par acte de sous-traitance modificatif accepté le 28 août 2015, le montant des prestations sous-traitées à la société Armat France a été porté à la somme de 89 816,98 euros hors taxes. Par un courrier du 22 septembre 2015, la société SAS a informé la DREAL qu'elle était " sous-traitante industrielle " de la société Armat France et que cette dernière lui devait la somme de 73 332,94 euros toutes taxes comprises. La société SAS demandait par conséquent à la DREAL de mettre en demeure la société Armat France et la société Bouygues TP de la faire agréer en qualité de sous-traitant, de considérer la lettre comme la mise en oeuvre du paiement direct et de l'action directe prévue par la loi de 1975, de retenir la somme de 73 332,94 euros toutes taxes comprises sur les paiements dus à la société Armat France et à la société Bouygues TP et enfin de mettre en demeure ces deux sociétés de lui remettre une caution bancaire ou de déléguer la DREAL à son profit. Estimant que l'administration avait commis une faute en ne s'étant pas acquittée de ses obligations de maître d'ouvrage au regard des articles 6, 14 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, la société SAS a adressé à la DREAL une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 73 332,94 euros TTC, expressément rejetée le 10 mai 2016. La société SAS relève appel du jugement du 17 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 73 332,94 euros.

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
2. En premier lieu, selon l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l'exécution du contrat d'entreprise ou du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage. ".

3. En vertu des dispositions précitées, les décisions d'accepter une entreprise en qualité de sous-traitante et d'agréer ses conditions de paiement ne sont susceptibles d'ouvrir à celle-ci un droit au paiement direct de ses prestations que pour autant que ces prestations relèvent effectivement du champ d'application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, lequel ne concerne que les prestations relatives à l'exécution d'une part de marché, à l'exclusion de simples fournitures à l'entrepreneur principal. Ainsi, une entreprise dont le contrat conclu avec l'entrepreneur principal n'a pas les caractéristiques d'un contrat d'entreprise mais d'un simple contrat de fournitures n'a pas droit au paiement direct de ses fournitures par le maître d'ouvrage, en dépit du fait qu'elle a été acceptée par ce dernier en qualité de sous-traitante et que ses conditions de paiement ont été agréées.

4. Il résulte de l'instruction, notamment du document de certification de la société SAS, que cette dernière ne fabrique pas d'armatures sur catalogue mais uniquement sur plans. Cette société a façonné puis fourni à la société Armat des armatures en béton conformément aux plans élaborés par le bureau d'études de la DREAL afin de répondre aux spécifications techniques du cahier des clauses techniques particulières du marché de travaux. Ces armatures ont été fabriquées sur mesure, de sorte que les prestations fournies par la société SAS relèvent du champ d'application des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1975, alors même qu'il n'existe pas de contrat de sous-traitance formalisé.

5. Toutefois, en deuxième lieu, aux termes du cinquième alinéa de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 : " Le sous-traitant qui confie à un autre sous-traitant l'exécution d'une partie du marché dont il est chargé est tenu de lui délivrer une caution ou une délégation de paiement dans les conditions définies à l'article 14. ". Selon le premier alinéa de l'article 14 de la même loi : " A peine de nullité du sous-traité les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret. Cependant, la caution n'aura pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1275 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant. ". Enfin, selon l'article 14-1 de la loi : " Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : - le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ; (...) Les dispositions du deuxième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle lorsque le maître de l'ouvrage connaît son existence, nonobstant l'absence du sous-traitant sur le chantier. (...) ".

6. D'une part, il est constant que la société SAS, qui recherche la responsabilité de l'Etat pour ne pas avoir mis en demeure la société Armat France et la société Bouygues TP de présenter une demande d'agrément en sa faveur, n'a pas été déclarée comme sous-traitante par le titulaire du marché ni par conséquent été connue et acceptée par le maître d'ouvrage en cette qualité. D'autre part, il résulte de l'instruction que la DREAL a été informée de l'intervention de la société SAS en recevant la lettre de celle-ci seulement le 25 septembre 2015, à une date où les armatures avaient été mises en oeuvre et presqu'entièrement payées et où la défaillance financière de la société Armat France, en cessation de paiement depuis le 15 juillet 2015, était imminente. Enfin, si dans son courrier du 22 septembre 2015 la société requérante se présentait comme la " sous-traitante industrielle de la société Armat France ", elle n'en apportait pas la preuve, c'est pourquoi la DREAL a pour sa part demandé à la société Bouygues, son cocontractant, de lui fournir des explications sur les liens l'unissant à la société SAS. Or, par un courrier du 22 octobre 2015, la société Bouygues a informé le maître d'ouvrage que la société SAS était intervenue en tant que fournisseur de la société Armat France et que ni la société Armat France ni la société SAS n'avaient effectué au cours du chantier de démarches auprès d'elle pour que la société SAS soit présentée à l'agrément du maître d'ouvrage.

7. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en ne mettant pas en demeure le titulaire du marché, la société Bouygues, ainsi que la société Armat France, sous-traitant de premier rang, de présenter une demande d'agrément en qualité de sous-traitant en faveur de la société SAS.

8. En troisième lieu, au surplus, il résulte de l'instruction qu'à la date à laquelle la société SAS s'est manifestée pour demander que l'Etat exige de la société Armat France une caution à son profit, le sous-traitant de premier rang agréé par le maître d'ouvrage, qui avait entièrement réalisé les prestations à sa charge, avait été payé à hauteur de 96 % du montant qui lui était dû. La somme de 3 477,46 euros restant due avait fait l'objet d'une cession de créance, de sorte qu'il ne peut être reproché au maître d'ouvrage de n'avoir pas exigé de caution du sous-traitant agréé. Par conséquent, la société SAS n'est pas davantage fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en ne mettant pas en demeure la société Armat France de lui fournir une caution.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société SAS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse à la société SAS une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Sur les dépens :

11. La présente instance n'ayant généré aucun dépens, la demande de la société requérante tendant au paiement des dépens par l'Etat ne peut qu'être rejetée.



D E C I D E :



Article 1er : La requête de la société SAS est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société SAS et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée à la société Bouygues TP et à la société Armat France.



Délibéré après l'audience du 19 juin 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- Mme Rimeu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 juillet 2018.

La rapporteure,
N. TIGER-WINTERHALTERLe président,
L. LAINÉ
La greffière,
V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au préfet de l'Eure-et-Loir en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2
16NT04079



Source : DILA, 17/07/2018, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Nantes

Date : 06/07/2018