Président :
M. KOLBERT
Rapporteur :
M. Olivier DI CANDIA
Commissaire du gouvernement :
Mme KOHLER
Avocat :
AARPI THEMIS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Atelio a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler le marché public de maintenance des installations de téléphonie conclu le 26 mars 2014 entre le centre hospitalier de Guebwiller et la société Européenne de communication et de services (ECS), d'autre part, de condamner le centre hospitalier de Guebwiller à lui verser une somme de 12 474 euros HT en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière ou, subsidiairement, une somme de 2 612 euros HT correspondant aux dépenses qu'elle a exposées pour se porter candidate à l'attribution de ce marché.
Par un jugement n° 1402833 du 7 juillet 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société Atelio.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 septembre 2016, la société Atelio, représentée par AARPI THEMIS, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 7 juillet 2016 ;
2°) d'annuler le marché public de maintenance des installations de téléphonie conclu entre le centre hospitalier de Guebwiller et la société ECS ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Guebwiller à lui verser la somme de 12 474 euros HT en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière, ou, subsidiairement, une somme de 2 612 euros HT correspondant aux dépenses qu'elle a exposées pour se porter candidate à l'attribution de ce marché ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Guebwiller la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en donnant la même note technique à tous les candidats à l'attribution du contrat litigieux, sans procéder à une appréciation précise de la valeur technique des offres, le centre hospitalier de Guebwiller a neutralisé ce critère et déterminé l'attributaire du marché au regard du seul critère de prix ;
- la valeur technique de son offre était supérieure à celle de la société ECS ;
- dès lors que l'article 10 du règlement de consultation prévoyait l'obligation de mettre en oeuvre une procédure de négociation avec les candidats, sauf si l'un des candidats proposait une offre d'une qualité très supérieure et un prix très avantageux, le pouvoir adjudicateur ne pouvait s'affranchir du respect de cette obligation, eu égard au fait que les sociétés ECS et Atelio avaient obtenu la note maximale sur le critère de la valeur technique ;
- ce faisant, le pouvoir adjudicateur a méconnu les dispositions de l'article 28 du code des marchés publics ;
- la différence de prix de l'offre proposée par la société ECS n'était pas très avantageuse ;
- eu égard à ses chances sérieuses d'emporter le marché, elle est fondée à solliciter le versement de la somme de 12 474 euros HT au titre de la réparation de son manque à gagner ;
- subsidiairement, la somme de 2 612 euros, correspondant au remboursement des dépenses exposées pour être candidate, pourra lui être accordée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2017, le centre hospitalier de Guebwiller, représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Atelio sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'attribution d'une note identique sur un critère pour plusieurs offres ne constitue pas en elle-même une neutralisation de ce critère ;
- il a procédé à une analyse comparative de la valeur des offres qui lui ont été soumises ;
- l'offre de la société Atelio n'était pas techniquement supérieure à celle de la société ECS ;
- contrairement à ce que soutient la société Atelio, l'article 10 du règlement de consultation excluait toute négociation soit lorsque l'offre de qualité d'un candidat était très supérieure, soit lorsque celle-ci était faite à un prix très avantageux ce qui était le cas de l'offre de la société ECS ce qui lui permettait d'omettre la phase de négociation avec les candidats, sans méconnaître l'article 28 du code des marchés publics ;
- la société Atelio n'étant pas fondée à solliciter l'annulation du marché en litige, sa demande indemnitaire n'est pas fondée ;
- en tout état de cause, les irrégularités dont elle se prévaut sont sans lien avec le préjudice dont elle demande réparation et elle ne justifie pas du montant de ce préjudice.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Di Candia, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., pour le centre hospitalier de Guebwiller.
Considérant ce qui suit :
1. Au début de l'année 2014, le centre hospitalier de Guebwiller a lancé, selon la procédure adaptée, une consultation tendant à l'attribution d'un marché portant sur la maintenance des installations de téléphonie de l'hôpital Charles Haby et de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Erables ". La société Atelio et la société Européenne de communication et de services (ECS) se sont portées candidates à l'attribution de ce marché. Le centre hospitalier de Guebwiller, par courrier du 14 mars 2014, a informé la société Atelio du rejet de son offre, puis, le 26 mars 2014, a attribué ce marché à la société ECS. Par un jugement du 7 juillet 2016, dont la société Atelio relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté son recours en contestation de la validité de ce contrat conclu le 26 mars 2014 ainsi que sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis en raison de son éviction du même contrat.
Sur la validité du contrat :
2. Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. A partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu'il dispose du recours ci-dessus défini, le concurrent évincé n'est, en revanche, plus recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables.
3. En premier lieu, aux termes de l'article 53 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable au marché en litige : " I.-Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° (...) sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique (...) ". En vertu de l'article 9 du règlement de la consultation, l'offre économiquement la plus avantageuse devait être déterminée sur la base de trois critères : la valeur technique de l'offre, appréciée, notamment, sur la base des délais d'intervention, des structures et de la maintenance proposée par le candidat, le prix global de la prestation et enfin la politique de développement durable de la société candidate. Ces trois critères étaient respectivement pondérés à 50 %, 40 % et 10 %.
4. Il résulte du tableau figurant dans l'analyse comparative des offres à laquelle il s'est livré, que le centre hospitalier de Guebwiller a attribué, s'agissant du critère de la valeur technique, la note maximale à chacun des candidats après s'être assuré que leur méthodologie était " très bonne ", avoir procédé à l'appréciation de la qualité de la maintenance de la société Atelio et avoir relevé la parfaite connaissance des installations et de l'architecture en téléphonie de l'offre présentée par la société ECS. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, les notes attribuées aux candidats procèdent d'une comparaison effective des offres des candidats au regard du critère de la valeur technique tel qu'il était défini dans le règlement de la consultation. Aucun élément de l'instruction ne permet d'établir qu'en attribuant à chacune des sociétés concurrentes la note maximale sur le critère de la valeur technique, le centre hospitalier aurait ainsi entendu neutraliser ce dernier en attribuant une note identique aux deux candidates. La société requérante, qui se borne à alléguer, sans le démontrer, que la valeur technique de son offre était supérieure à celle de la société ECS, n'est en conséquence pas fondée à soutenir que le centre hospitalier de Guebwiller n'aurait procédé à aucune comparaison effective des offres des candidats au regard du critère de la valeur technique, et qu'il aurait, ce faisant, méconnu les dispositions de l'article 53 du code des marchés publics.
5. En second lieu, aux termes de l'article 28 du code des marchés publics : " I.-Lorsque leur valeur estimée est inférieure aux seuils de procédure formalisée définis à l'article 26, les marchés de fournitures, de services ou de travaux peuvent être passés selon une procédure adaptée, dont les modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre ainsi que des circonstances de l'achat. / Le pouvoir adjudicateur peut négocier avec les candidats ayant présenté une offre. Cette négociation peut porter sur tous les éléments de l'offre, notamment sur le prix. Pour la détermination de ces modalités, le pouvoir adjudicateur peut s'inspirer des procédures formalisées, sans pour autant que les marchés en cause soient alors soumis aux règles formelles qu'elles comportent. En revanche, s'il se réfère expressément à l'une de ces procédures formalisées, le pouvoir adjudicateur est tenu de l'appliquer dans son intégralité. (...) ". Si le pouvoir adjudicateur a décidé de faire usage de sa faculté de négocier dans le cadre d'une procédure adaptée, il doit en informer les candidats dès le lancement de la procédure et ne peut alors renoncer à négocier en cours de procédure. Il peut aussi se borner à informer les candidats, lors du lancement de la procédure, qu'il se réserve la possibilité de négocier, sans être tenu, s'il décide effectivement de négocier après la remise des offres, d'en informer l'ensemble des candidats. La décision du pouvoir adjudicateur de recourir à la négociation dans le cadre d'une procédure adaptée ne saurait être utilement critiquée devant le juge. En revanche, s'il choisit, comme il lui est loisible de le faire, de ne négocier qu'avec certains des candidats qui ont présenté une offre, il appartient au juge, saisi d'un moyen sur ce point, de s'assurer qu'il n'a méconnu aucune des règles qui s'imposent à lui, notamment le principe d'égalité de traitement des candidats.
6. Selon l'article 10 du règlement de la consultation, une phase de négociation devait se tenir avec les candidats les mieux classés au vu des critères pondérés de sélection des offres, " sauf si certaines conditions étaient réunies : Offre de qualité très supérieure / Offre à un prix très avantageux. Cette négociation peut porter sur tous les éléments de l'offre. " Il résulte ainsi clairement des termes mêmes de ce règlement que le pouvoir adjudicateur ne pouvait renoncer à négocier en cours de procédure que si une offre réunissait toutes les conditions précisées à l'article 10 du règlement de consultation qui, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Guebwiller, ne présentaient pas un caractère alternatif. Or les offres des sociétés Atelio et ECS qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, ont toutes deux obtenu la note maximale au critère de la valeur technique, doivent être regardées comme de qualité comparable, aucune pièce du dossier ne permettant d'établir que la qualité de celle de la société ECS était très supérieure à celle de sa concurrente. Dans ces conditions, la société Atelio est fondée à soutenir que, le centre hospitalier de Guebwiller, alors même qu'il estimait disposer d'une offre présentée à un prix très avantageux, a méconnu le principe d'égalité de traitement entre les candidats en omettant d'engager la phase de négociation.
Sur les conséquences du vice entachant la validité du contrat :
7. Saisi de conclusions en ce sens par un concurrent évincé, il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.
En ce qui concerne les conséquences sur le contrat :
8. L'irrégularité constatée au point 6 ci-dessus affecte gravement la mise en concurrence des candidats et la légalité du choix de l'attributaire du marché. En l'absence de toute possibilité de régularisation, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction, puisque le marché litigieux a été entièrement exécuté, qu'une telle mesure porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, il y a lieu de prononcer l'annulation du marché signé entre le centre hospitalier de Guebwiller et la société ECS.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
9. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'elle est la cause directe de l'éviction du candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation. Il lui appartient ensuite de vérifier si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils sont intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la méconnaissance par le centre hospitalier de Guebwiller de l'obligation dans laquelle il se trouvait de négocier avec les deux sociétés est directement à l'origine de l'éviction de la société Atelio.
11. En deuxième lieu, la société ECS proposait un prix de 7 044,60 euros TTC, inférieur de 1 013 euros TTC au prix correspondant à l'offre de la société Atelio, soit un écart de 12,5 %. Si la société Atelio soutient que la procédure de négociation lui aurait permis de proposer un prix plus attractif que celui de la société ECS, elle ne produit aucun élément au soutien de ses allégations. Elle ne justifie pas davantage que la valeur technique de son offre aurait pu encore être améliorée au regard de celle de la société ECS. Compte tenu de ces éléments, la société Atelio ne peut être regardée comme ayant eu des chances sérieuses d'emporter le marché. Par suite, elle ne peut prétendre qu'au remboursement des frais de présentation de son offre, pour un montant non contesté de 2 612 euros HT.
12. Il résulte de ce qui précède que la société Atelio est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation du marché conclu entre le centre hospitalier de Guebwiller et la société ECS, d'autre part à la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser des préjudices subis du fait de son éviction.
Sur les frais d'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Atelio, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le centre hospitalier de Guebwiller demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du centre hospitalier de Guebwiller le versement à la société Atelio d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1402833 du tribunal administratif de Strasbourg du 7 juillet 2016 et le contrat conclu entre le centre hospitalier de Guebwiller et la société ECS sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier de Guebwiller est condamné à verser à la société Atelio une indemnité de 2 612 euros HT en réparation de son préjudice.
Article 3 : Le centre hospitalier de Guebwiller versera une somme de 1 500 euros à la société Atelio sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Atelio est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Atelio, au centre hospitalier de Guebwiller et à la société ECS.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 16NC02027
Abstrats
39-02-005 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Formalités de publicité et de mise en concurrence.
Source : DILA, 12/06/2018, https://www.legifrance.gouv.fr/