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CAA de DOUAI, 1ère chambre - formation à 3, 17/05/2018, 16DA02390, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. Yeznikian

Rapporteur : M. Charles-Edouard Minet

Commissaire du gouvernement : Mme Fort-Besnard

Avocat : GOLLAIN


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ysenbaert a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le département du Nord à lui verser la somme de 128 520,19 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 2 août 2012 et de la capitalisation des intérêts échus à compter de cette même date, au titre du paiement direct de ses prestations de sous-traitant dans le cadre du marché de fourniture et de pose de signalisation directionnelle passé avec la société SES.

Par un jugement n° 1408343 du 18 octobre 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.


Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 décembre 2016 et 17 août 2017, la société Ysenbaert, représentée par Me B...C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du département du Nord le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

.......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public ;
- et les observations de Me D...A..., représentant la société Ysenbaert.
Une note en délibéré présentée par le département du Nord a été enregistrée le 9 mai 2018.
Une note en délibéré présentée par la société Ysenbaert a été enregistrée le 14 mai 2018.
Considérant ce qui suit :

1. Le département du Nord a conclu avec le groupement constitué des sociétés " Sécurité et signalisation " (SES) et " Picardie signalisation " un marché à bons de commandes portant sur la réalisation de travaux de signalisation verticale de jalonnement sur les routes appartenant à cette collectivité territoriale. Par un acte spécial de sous-traitance conclu le 26 février 2007, le département du Nord a accepté la société Ysenbaert en qualité de sous-traitant de la société SES et a agréé ses conditions de paiement direct pour un montant de 107 640 euros toutes taxes comprises par année d'exécution du marché. Au cours de la dernière année d'exécution du marché, le département du Nord, constatant que ce plafond de paiement direct était dépassé, a payé à la société SES, titulaire du marché, des prestations réalisées par la société Ysenbaert en qualité de sous-traitante et au titre de ce marché, pour un montant total non contesté de 128 520,19 euros toutes taxes comprises (TTC). A la suite du placement de la société SES en liquidation judiciaire, la société Ysenbaert a demandé au département du Nord, par deux courriers des 2 août 2012 et 5 mai 2014, de lui verser cette somme. Le département du Nord a rejeté ces demandes. La société Ysenbaert relève appel du jugement du 18 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département du Nord à lui verser la somme de 128 520,19 euros.


Sur le droit au paiement direct du sous-traitant par le maître d'ouvrage :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " L'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 de la même loi : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution ".

3. Le sous-traitant bénéficiant du paiement direct des prestations sous-traitées a également droit à ce paiement direct pour les travaux supplémentaires qu'il a exécutés et qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage ainsi que pour les dépenses résultant pour lui de sujétions imprévues qui ont bouleversé l'économie générale du marché, dans les mêmes conditions que pour les travaux dont la sous-traitance a été expressément mentionnée dans le marché ou dans l'acte spécial signé par l'entrepreneur principal et par le maître de l'ouvrage.

4. Il résulte de l'instruction que les prestations exécutées par la société Ysenbaert en sa qualité de sous-traitante de la société SES au-delà du plafond de paiement direct prévu par l'acte spécial de sous-traitance du 26 février 2007, entraient dans le champ des prévisions du marché, qui a été conclu pour un montant annuel allant de 400 000 euros minimum à 1 million d'euros maximum. Dès lors qu'elles ne constituaient pas des travaux supplémentaires, la société Ysenbaert n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait droit au paiement direct de ces prestations en application des principes rappelés au point 3.


Sur la responsabilité quasi-délictuelle du département du Nord :

5. Aux termes de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 : " Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : / - le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ; / (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, et en particulier de deux courriers adressés par le département du Nord à la société SES au mois de novembre 2010, que celui-ci avait connaissance du fait que la société Ysenbaert, qu'il avait acceptée en qualité de sous-traitante dans la cadre du marché en cause, effectuait des prestations excédant celles prévues par l'acte spécial de sous-traitance et dont le prix dépassait le plafond de paiement direct prévu par cet acte. En laissant cette entreprise intervenir ainsi dans des conditions irrégulières, sans imposer la régularisation de cette situation, notamment en mettant en demeure la société SES de s'acquitter de ses obligations prévues par les dispositions citées au point 2, le département a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société Ysenbaert. Cette faute est à l'origine directe du dommage subi par cette dernière du fait du versement entre les mains de la société SES, placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Tours du 3 mai 2011, des sommes correspondant aux travaux exécutés par elle au-delà du plafond prévu par l'acte spécial de sous-traitance du 26 février 2007.

7. Toutefois, la responsabilité du département du Nord est atténuée par les fautes commises par la société SES, en ne soumettant pas à l'agrément du département, dans les conditions prévues par l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975, les conditions de paiement de la société Ysenbaert pour les prestations excédant celles initialement convenues entre les parties, et par la société Ysenbaert elle-même en négligeant de s'assurer que cet agrément lui avait été donné. Il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en mettant à la charge du département du Nord le tiers du préjudice subi par la société appelante. Il résulte de l'instruction que les sommes perdues par la société Ysenbaert s'élèvent à 126 494,49 euros. La société Ysenbaert est par suite fondée à demander la condamnation du département du Nord à lui verser la somme de 42 164,83 euros à ce titre.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ysenbaert est fondée dans cette mesure à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.


Sur les intérêts :

9. La société Ysenbaert a droit aux intérêts au taux légal à compter de la date de réception, par le département du Nord, de sa première demande de paiement de la somme en cause au principal. En l'absence de pièce attestant de la date de réception du courrier du 2 août 2012, il y a lieu de retenir, pour fixer le point de départ des intérêts, la date du 7 septembre 2012 à laquelle le département du Nord a rejeté cette demande.


Sur la capitalisation des intérêts :

10. La capitalisation des intérêts a été demandée le 25 novembre 2014. A cette date il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.


Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Nord le versement à la société Ysenbaert de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

12. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Ysenbaert, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au département du Nord de la somme qu'il demande sur le même fondement.


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 18 octobre 2016 est annulé.

Article 2 : Le département du Nord est condamné à verser à la société Ysenbaert la somme de 42 164,83 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2012. Les intérêts échus à la date du 25 novembre 2014 puis, à chaque échéance annuelle, à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le département du Nord versera à la société Ysenbaert la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Ysenbaert est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par le département du Nord au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ysenbaert et au département du Nord.
N°16DA02390 2



Abstrats

39-05-01-01-03 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat. Rémunération du co-contractant. Prix. Rémunération des sous-traitants.

Source : DILA, 09/10/2018, https://www.legifrance.gouv.fr/