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CAA de BORDEAUX, 1ère chambre - formation à 3, 13/07/2017, 14BX03684, Inédit au recueil Lebon

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Président : Mme GIRAULT

Rapporteur : Mme Cécile CABANNE

Commissaire du gouvernement : M. NORMAND


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision par laquelle le préfet de la zone de défense Sud-Ouest l'a placé en position de disponibilité avec maintien du demi-traitement jusqu'à ce qu'une décision soit prise sur sa situation à la suite de son placement en congé de maladie ordinaire pendant un an, la décision du 17 avril 2013 par laquelle cette même autorité a décidé sa mise à la retraite pour invalidité non consécutive au service avec effet au 1er août 2013, ainsi que les avis du comité médical départemental des Pyrénées-Atlantiques des 5 septembre 2012, 3 avril 2013 et 3 juillet 2013, l'avis du comité médical supérieur du 20 février 2013 et l'avis de la commission de réforme du 20 novembre 2013. Il a demandé, en outre, l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis en termes d'évolution de carrière et d'absence de paiement des jours de congés non pris au titre des années 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1300677 du 16 octobre 2014, le tribunal administratif de Pau a condamné l'Etat à verser à M. B...une indemnité représentative des congés annuels non pris correspondant aux périodes où 1'intéressé a été placé en congé de maladie ordinaire en 2011 et 2012, l'a renvoyé devant le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest aux fins qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de ces droits à indemnité, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.


Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2014, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Pau du 16 octobre 2014 condamnant l'Etat à verser à M. B...une indemnité représentative des congés annuels non pris correspondant aux périodes où l'intéressé a été placé en congé de maladie ordinaire en 2011 et 2012 et le renvoyant auprès de son administration aux fins qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de ces droits à indemnité.

2°) de rejeter la demande indemnitaire de M.B....

Il soutient que :
- en condamnant l'Etat à verser au requérant une indemnité représentative des congés annuels non pris au titre de l'année 2011, le tribunal administratif de Pau a nécessairement considéré que les droits à congés acquis au titre de cette année pouvaient être reportés de manière illimitée en cas de maladie, faisant ainsi une interprétation erronée des dispositions de l'article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans le dernier état de sa jurisprudence ; s'il ne conteste pas le principe d'un report des congés annuels de M.B..., de même que le principe de leur indemnisation, dès lors que l'intéressé, désormais à la retraite, a rompu tout lien avec l'administration, la Cour de justice des communautés européennes, dans un arrêt KHS AG, a rappelé que le droit au report n'était pas un droit illimité et a précisé que toute période de report doit dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée ; elle a considéré qu'une période de report de quinze mois est conforme à la directive européenne du 4 novembre 2003 ; après avoir écarté l'application de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984, lequel ne prévoit une possibilité de report que d'un an, pour retenir la période de 15 mois, validée par la Cour de justice de l'Union européenne, il sera constaté que le reliquat des droits à congés annuels au titre de l'année 2011 était définitivement perdu 15 mois après le 31 décembre 2011, date de la fin de la période de référence, soit le 1er avril 2013 ;
- en condamnant l'Etat à verser au requérant une indemnité représentative des congés annuels non pris, sans apporter la précision selon laquelle l'indemnisation devrait être calculée au prorata des droits acquis, sur la base de quatre semaines de congés payés annuels pour un temps plein, le tribunal administratif de Pau a commis une erreur de droit ; si le tribunal n'avait pas, ainsi qu'il l'indique, les éléments suffisants lui permettant de procéder lui-même au calcul de l'indemnisation due, renvoyant le requérant vers son administration, il a omis cependant de mentionner que l'indemnisation devrait être calculée sur la base de quatre semaines et non sur la base des cinq semaines de congés payés auxquelles peuvent prétendre les fonctionnaires à temps plein ; le droit de l'Union fixant la durée minimale des congés payés à 4 semaines, rien ne s'oppose à ce que les congés supplémentaires n'ouvrent pas droit à des indemnités financières.

Par un arrêt du 15 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative.

Le Conseil d'Etat a rendu un avis n° 406009 le 26 avril 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;
- les arrêts C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, C-214/10 du 22 novembre 2011 et C-337/10 du 3 mai 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cécile Cabanne ;
- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un accident survenu hors service le 9 octobre 2011, M.B..., adjoint administratif principal de première classe, affecté à la direction départementale de la sécurité publique des Pyrénées-Atlantiques, a été placé en congé de maladie ordinaire jusqu'au 9 octobre 2012. Après l'avis du comité médical départemental et du comité médical supérieur, l'intéressé a été successivement placé en position de disponibilité entre les 10 octobre et 31 décembre 2012 puis en disponibilité maladie à demi-traitement, dans l'attente qu'il soit définitivement statué sur sa situation, entre le 1er janvier 2013 et le 28 février 2014. Par décision du 30 janvier 2014 du préfet de la zone de défense Sud-Ouest, M. B... a été admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité à compter du 1er août 2013. Entre-temps, par des courriers successifs, M. B...a souhaité l'indemnisation de ses droits à congé annuel avant son admission à faire valoir ses droits à la retraite. En dernier lieu, par décision du 26 décembre 2013, le préfet de la zone de défense Sud-Ouest a rejeté sa demande au motif notamment qu'une telle indemnisation ne pouvait intervenir qu'en cas de départ à la retraite de l'intéressé et, s'agissant du reliquat 2011, qu'il était définitivement perdu. M. B... a notamment contesté ce refus devant le tribunal administratif de Pau qui, par l'article 1er du jugement attaqué du 16 octobre 2014, a condamné l'Etat à lui verser une indemnité représentative des congés annuels non pris au titre des années 2011 et 2012 et, par l'article 2 de ce jugement, l'a renvoyé devant le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest aux fins qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de ces droits à indemnité. Le ministre de l'intérieur demande la réformation du jugement sur ces deux points.


Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984: " Le fonctionnaire en activité a droit : 1° A un congé annuel avec traitement dont la durée est fixée par décret en Conseil d'Etat ; 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...)" . Aux termes de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984 : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice.".

3. Tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transpositions nécessaires. Aux termes de l'article 7 de la directive n° 2003/88 du 4 novembre 2003 susvisée : " Congé annuel 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. ". Le délai de transposition de cette directive expirait le 23 mars 2005.

4. Dans son arrêt C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, la Cour de Justice de l'Union européenne a rappelé que " le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe général du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé (...) " et que " l'article 7 § 1 de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit à congé annuel payé s'éteint à l'expiration de la période de référence et/ou d'une période de report fixée par le droit national même lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant toute la période de référence et que son incapacité de travail a perduré jusqu'à la fin de sa relation de travail, raison pour laquelle il n'a pas pu exercer son droit au congé annuel payé (...) ". Par suite, les dispositions citées ci-dessus de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984, qui ne prévoient pas l'indemnisation des congés annuels qui n'ont pu être pris du fait de la maladie, ni reportés avant la fin de la relation de travail de l'agent concerné, sont incompatibles dans cette mesure avec celles de l'article 7 de cette directive.

5. En premier lieu, si le ministre de l'intérieur ne conteste plus qu'un fonctionnaire a droit, lors de son départ à la retraite, à une indemnité financière pour congé annuel non pris en raison du fait qu'il n'a pas exercé ses fonctions pour cause de maladie, il fait valoir, en s'appuyant sur l'interprétation apportée par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, selon laquelle " un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, empêché par le droit national de prendre son congé annuel payé durant ladite période, ne saurait avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période ", que M. B...ne disposait plus d'aucun droit au report au-delà d'une période de 15 mois à compter de l'année au cours de laquelle les congés ont été générés et qu'ainsi le reliquat de congés au titre de l'année 2011 dont il bénéficiait était définitivement perdu à compter du 1er avril 2013, soit antérieurement à la date d'effet de sa retraite, le 1er août 2013.

6. En l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant une période de report des congés payés qu'un agent s'est trouvé, du fait d'un congé maladie, dans l'impossibilité de prendre au cours d'une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d'assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d'une période de quinze mois après le terme de cette année. La Cour de justice de l'Union européenne a en effet jugé, dans l'arrêt précité, qu'une telle durée de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive.

7. Il résulte de l'analyse retenue au point précédent que la période de report de congés non pris cumulés par M. B...au cours de l'année 2011 expirait au 1er avril 2013. Ainsi, à la date de sa mise à la retraite, le 1er août 2013, compte tenu de la période de référence, les droits à congés acquis au titre du 1er janvier au 31 décembre 2011 ne pouvaient plus être indemnisés. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'Etat à indemniser les droits à congé de M. B...au titre de cette année.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'article 7 de la directive 2003/88, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-337/10 du 3 mai 2012, " qu'il ne s'oppose pas à des dispositions du droit national accordant au fonctionnaire des droits à congé payé supplémentaires s'ajoutant au droit à un congé annuel payé minimal de quatre semaines, sans que soit prévu le paiement d'une indemnité financière lorsque le fonctionnaire partant à la retraite n'a pas pu bénéficier de ces droits supplémentaires en raison du fait qu'il n'a pu exercer ses fonctions pour cause de maladie ".
9. Si les droits à congés de M. B...devaient être indemnisés au titre de l'année 2012, en l'absence de disposition législative ou réglementaire plus favorable, les droits à indemnisation de l'agent doivent être calculés en référence à la rémunération qu'il aurait normalement perçue lors des congés annuels qu'il n'a pas pu prendre, à raison de quatre semaines par an. Ainsi, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a renvoyé à l'administration le soin de déterminer le nombre de jours de congés non pris susceptibles d'être indemnisés au titre de l'année 2012 sans préciser que le calcul devrait être effectué dans la limite de quatre semaines .
10. Il résulte de ce qui précède que M. B...n'a droit qu'à l'indemnisation des jours de congés non pris au titre de l'année 2012, dans la limite de 20 jours, et le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure.




DECIDE :




Article 1er : L'Etat versera à M. B...une indemnité pour congés annuels non pris au titre de la seule année 2012, calculée sur la base de quatre semaines. M. B...est renvoyé devant l'administration en vue de la liquidation de l'indemnité qui lui est due.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 16 octobre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt et le surplus de la demande de M.B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest.


Délibéré après l'audience du 8 juin 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 juillet 2017.

Le rapporteur,
Cécile CABANNELe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Delphine CÉRON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 14BX03684



Abstrats

36-05-04-01 Fonctionnaires et agents publics. Positions. Congés. Congés de maladie.

Source : DILA, 25/07/2017, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Bordeaux

Date : 13/07/2017