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Cour administrative d'appel de Paris, 6ème Chambre, 16/03/2015, 13PA02237, Inédit au recueil Lebon

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Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU

Rapporteur : Mme Valérie PETIT

Commissaire du gouvernement : Mme VRIGNON-VILLALBA

Avocat : SCP6PAOLI


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 10 juin 2013, présentée pour la société Cegape, dont le siège est 19 rue Vivienne à Paris (75002), par la SCP Nicolay-de Lanouvelle-Hannotin ; la société Cegape demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1105875/3-3 du 9 avril 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'université de Corse à lui verser, au titre de la rémunération des prestations prévues par un contrat signé le
27 février 2008, la somme de 309 250, 92 euros augmentée des intérêts au taux contractuel et de la capitalisation de ces intérêts ;

2°) de condamner l'université de Corse à lui verser la somme de 309 250, 92 euros, augmentée des intérêts au taux contractuel à compter du 5 janvier 2011 et de la capitalisation de ces intérêts, ou subsidiairement de lui verser une somme correspondant à 70 % des bénéfices dont elle a été privée ;

3°) de mettre à la charge de l'université de Corse la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que le contrat était entaché d'un vice d'une particulière gravité et qu'il convenait d'en écarter l'application, alors que ce vice correspond uniquement à un manquement aux règles de passation et que l'existence d'un vice de consentement n'est pas établie ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, seules ses prestations ont permis d'obtenir de l'Urssaf un remboursement de cotisations sociales ;

- en admettant même que l'application du contrat soit écartée compte tenu d'une méconnaissance des règles de passation, elle est fondée à obtenir une indemnisation sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle (enrichissement sans cause) et de la responsabilité délictuelle ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2013, présenté pour l'université de Corse, par MeA..., qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Cegape au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :

- les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés ;
- le contrat avait une cause illicite ; il n'avait pour objet que de procurer une rémunération indue à la société Cegape ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 5 mai 2014, présenté pour la société Cegape, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance du 8 septembre 2014 fixant la clôture de l'instruction au
8 octobre 2014, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 février 2013, présentée pour la société Cegape ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 février 2015 :

- le rapport de Mme Petit, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Vrignon, rapporteur public,

- et les observations de Me Bonnefont, avocat de la société Cegape, et de Me Bronziwi de Caraffa, avocat de l'université de Corse ;


1. Considérant que la société Cegape a conclu le 27 février 2008 avec l'université de Corse un contrat ayant pour objet principal l'accompagnement et le suivi de l'utilisation d'un logiciel de gestion des rémunérations salariales, dénommé " Win-Paie " ; qu'une redevance annuelle était prévue pour ces prestations ; que l'article 8-5 de ce contrat prévoyait en outre que la société Cegape assurerait un " service d'optimisation des charges sociales ", en recherchant des économies ou en obtenant des remboursements de charges acquittées ; qu'elle devait recevoir à titre de rémunération spécifique, pour cette prestation, " la moitié de l'ensemble des économies et récupérations obtenues, la taxe sur la valeur ajoutée étant facturée en sus " ; qu'estimant s'être aperçue, en 2008, que l'université de Corse était éligible aux mesures prévues en faveur des " zones de revitalisation rurale " et que celle-ci aurait dû bénéficier à ce titre, en tant qu'employeur, d'allègements ou d'exonérations de charges sociales, et être à l'origine, pour ce motif, d'un remboursement de cotisations sociales d'un montant de 517 142 euros accordé par l'URSSAF, la société Cegape a demandé à l'université de Corse de lui verser, en application de l'article 8-5 du contrat, la somme de 309 250, 92 euros, soit la moitié du montant de ce remboursement, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée ; que par un jugement du
9 avril 2013, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Cegape tendant à ce que l'université de Corse soit condamnée à lui verser cette somme ; que la société requérante fait appel de ce jugement ;
2. Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d'une part, à la gravité de l'illégalité et d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;
3. Considérant qu'il est constant que le montant du marché excédait, du seul fait de la redevance annuelle qu'il prévoyait, le seuil de 4 000 euros, fixé par l'article 28 du code des marchés publics dans sa rédaction alors applicable, à partir duquel un marché ne pouvait être conclu sans publicité préalable ni mise en concurrence ; que le contrat est, par suite, irrégulier à raison de ce manquement aux règles de passation des marchés publics de services ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que cette irrégularité aurait été induite par le comportement de la société Cegape ; que compte tenu de l'exigence de loyauté des relations contractuelles et des circonstances dans lesquelles cette irrégularité a été commise, celle-ci n'est pas d'une gravité telle qu'elle justifierait, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, d'écarter l'application du contrat dans son ensemble;

4. Considérant, toutefois, que l'université de Corse soutient, pour la première fois en appel, qu'en vertu de l'article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, la société Cegape ne pouvait réaliser des prestations de consultation juridique et que, par suite, le contrat, ou à tout le moins son article
8-5, reposerait sur une cause illicite ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui : 1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. / Les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. / Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l'article 59, elle résulte des textes les régissant. / Pour chacune des activités non réglementées visées à l'article 60, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté, pris après avis d'une commission, qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci " ; que selon l'article 59 de cette même loi : " Les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée peuvent, dans les limites autorisées par la réglementation qui leur est applicable, donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire direct de la prestation fournie " ; qu'aux termes de l'article 60 de la même loi : " Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité " ;

6. Considérant que les prestations prévues au contrat signé entre l'université de Corse et la société Cegape consistent au suivi et à l'utilisation d'un logiciel de gestion des rémunérations salariales et en la vérification, du montant des cotisations sociales devant être versées par l'université ; que l'article 8.5 de ce contrat prévoyait en outre que la société Cegape assurerait un service d'optimisation des charges sociales en recherchant notamment d'éventuels indus de cotisations au titre de périodes antérieures afin d'en obtenir la restitution ; que cette mission pour laquelle la société Cegape perçoit à titre de rémunération la moitié des sommes remboursées à l'université par l'Urssaf, augmentée de la TVA, relève d'une activité de consultation juridique et ne peut être accomplie que par les personnes mentionnées à l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 précitée ; que la société requérante soutient que cette activité ne présente qu'un caractère accessoire par rapport à l'utilisation du logiciel de gestion de la masse salariale " Win-Paie " et aux services de gestion des ressources humaines faisant l'objet du contrat ; que, toutefois, d'une part, elle n'établit pas qu'elle bénéficiait, à la date des faits en litige, de la qualification prévue par les dispositions précitées de l'article 60 de la loi du 31 décembre 1971 ; que, d'autre part, l'activité de consultation juridique prévue à l'article 8.5 du contrat ne relève pas directement de l'activité de fourniture, de maintenance et d'assistance à l'utilisation du progiciel Win-Paie et ne constitue pas l'accessoire nécessaire de ces prestations au sens des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971 ; que, dans ces conditions, l'article 8-5 du contrat, qui est divisible des autres clauses du contrat, repose sur une cause illicite ; qu'eu égard à cette irrégularité, le litige ne peut être réglé sur le terrain contractuel ;
7. Considérant que l'entrepreneur dont tout ou partie du contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; que les fautes éventuellement commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une telle action ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, l'entrepreneur peut en outre, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ; qu'à ce titre il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l'exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par sa nullité, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ; que la société Cegape peut ainsi poursuivre le litige qui l'oppose à l'université de Corse en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle de celle-ci ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le contrat en litige, conclu dans le cadre d'un démarchage de la société Cegape, constituait un contrat-type rédigé par cette dernière ; que, si le contrat, qui ne comportait pas d'ambiguïté, n'a pas été signé dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, la nullité de l'article 8-5 du contrat ne peut être imputée à une faute de celle-ci ; que, par suite, la société Cegape a seulement droit au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à l'université de Corse ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société requérante a découvert que l'Urssaf n'avait pas fait bénéficier l'université du dispositif applicable aux zones de revitalisation rurale auquel elle pouvait prétendre ; qu'ainsi, et alors même que la prescription n'aurait pas été interrompue par le courrier adressé à l'Urssaf par la requérante, mais par un autre courrier émanant de l'université elle-même, ou que l'Urssaf n'aurait pas accepté de verser les sommes en cause sur le compte bancaire de la société, comme cela était prévu par le contrat, la société requérante justifie avoir réalisé une prestation qui a conduit au reversement par l'Urssaf à l'université d'une somme voisine de 520 000 euros ; que si, dans ses dernières écritures, la société Cegape évalue à la somme totale de 20 520 euros TTC le montant des dépenses qu'elle a dû exposer pour cette prestation, elle n'apporte aucune précision relative aux coûts de " commercialisation ", d'un montant de 4 452 euros, qu'elle invoque ; que, par suite, il y a lieu de fixer à la somme de 16 000 euros le montant de la somme due par l'université de Corse à la société requérante ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Cegape est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la totalité de sa demande ; qu'il n' y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;







DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1105875/3-3 du Tribunal administratif de Paris du 9 avril 2013 est annulé.
Article 2 : L'université de Corse est condamnée à verser à la société Cegape la somme de
16 000 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cegape et à l'université de Corse.
Délibéré après l'audience du 13 février 2015, où siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Auvray, président-assesseur,
- Mme Petit, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 16 mars 2015.
Le rapporteur,
V. PETITLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU Le greffier,
S. LAVABRE
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13PA02237



Abstrats

39-03-01 Marchés et contrats administratifs. Exécution technique du contrat. Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas.

Source : DILA, 04/05/2015, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Paris

Date : 16/03/2015