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Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 janvier 2015, 12-86.653, Publié au bulletin

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Rejet

M. Guérin

M. Laurent

M. Gauthier

SCP Odent et Poulet


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


- La société Arkema France,


contre l'arrêt de la cour d'appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 27 septembre 2012, qui, pour mise en danger d'autrui, l'a condamnée à 15 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ;


La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 novembre 2014 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, MM. Foulquié, Moignard, Castel, Raybaud, Mme Caron, M. Moreau, Mme Drai, conseillers de la chambre, Mme Carbonaro, M. Beghin, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Gauthier ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire LAURENT, les observations de la société civile professionnelle ODENT et POULET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAUTHIER ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale, ensemble les droits de la défense, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action publique, confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré la société Arkema France coupable de mise en danger d'autrui par personne morale par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence et condamné cette société à la peine de 15 000 euros d'amende et ordonné, à titre de peine complémentaire, la publication du dispositif de la décision et, sur l'action civile, l'a condamnée à verser 1 000 euros de dommages-intérêts au syndicat CGT ;

"alors que le respect des droits de la défense et du principe contradictoire commande au juge d'entendre les parties dans toutes leurs argumentations qui doivent être versées au débat et soumises à discussion ; que doit être censuré un arrêt qui ne se réfère pas, même succinctement, aux prétentions des parties exposées dans leurs conclusions ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué ne comporte aucune référence aux moyens avancés par la demanderesse, la cour d'appel se contentant d'indiquer que son avocat a été entendu en sa plaidoirie ; qu'en statuant ainsi, en méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire, la cour d'appel n'a pas respecté les exigences du procès équitable et a violé les textes visés au moyen" ;

Attendu qu'il ne saurait être reproché à l'arrêt attaqué de ne comporter aucune référence aux conclusions adressées par télécopie, six jours avant l'audience du 12 juin 2012, par l'avocat du prévenu, dès lors que ces conclusions n'ont pas été déposées le jour même de l'audience des débats, conformément aux prescriptions des articles 459 et 512 du code de procédure pénale, et qu'il n'est pas établi que les juges d'appel en aient eu connaissance ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 223-1 et 223-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action publique, confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré la société Arkema France coupable de mise en danger d'autrui par personne morale par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence et condamné cette société à la peine de 15 000 euros d'amende et ordonné, à titre de peine complémentaire, la publication du dispositif de la décision et, sur l'action civile, l'a condamnée à verser 1 000 euros de dommages-intérêts au syndicat CGT ;

"aux motifs que, selon la notice de poste du Laboratoire Unité, les risques encourus par les opérateurs consistent en l'inhalation de gaz toxique, brûlure chimique, anoxie, coupures et risques liés au déplacement (chute) ; que les mesures de protection pour remédier à ces risques consistent à la fois en des mesures de protection collectives, à savoir des sorbonnes, un analyseur d'oxygène ainsi que du lave-oeil et en des mesures de protection individuelle (sic), que sont des vêtements ou des chaussures de sécurité, des gants, des lunettes et un détecteur portatif H2S ; que la « fiche de données de sécurité » établie par la société Arkema concernant l'hydrogène sulfuré (H2S) indique que ce produit est très toxique par inhalation et qu'il est dangereux pour l'environnement ; que les premiers secours à donner consistent à amener la victime à l'air libre, lui administrer de l'oxygène ou une respiration artificielle, l'hospitaliser en urgence et surveiller la survenance d'effets retardés, qui sont possibles ; que la fiche réflexe indique la conduite à tenir en cas de détection de H2S , dont notamment l'utilisation d'une appareil respiratoire individuel ; qu'il résulte des déclarations recueillies lors de l'enquête, dont en particulier celles de M. Patrick E..., que la victime, M. F..., était resté seul dans le Laboratoire unité lorsqu'il en est parti pour se rendre dans la salle de contrôle (cote C19) ; qu'alors même que le poste de travail comportait des risques connus d'inhalation de gaz toxique ou d'anoxie, il apparaît que les opérateurs travaillaient de manière individuelle et qu'aucune consigne de sécurité, tenant notamment à l'obligation de rester en binôme, n'avait été édictée ; que cette défaillance est d'autant plus regrettable que selon la fiche de produit relative à l'hydrogène sulfuré établie par l'INERIS sur les seuils de toxicité aiguë, si les études réalisées ont pu permettre d'établir les chiffres correspondants aux seuils des effets létaux significatifs, des premiers effets létaux et des effets irréversibles, par contre, les seuils des effets réversibles de l'exposition à de l'H2S ne sont pas déterminés, et ce, quel que soit la durée de l'exposition examinée, allant de 1 à 60 minutes (cote 8 des pièces de la société Arkema) ; qu'il sera relevé que, de la même manière, les textes applicables en l'espèce, les articles 223-1 et 223-2 du code pénal, ne visent pas des seuils d'exposition aux produits toxiques ; que la démonstration théorique contenue dans le rapport d'expertise produit aux débats par la société Arkema, sur les seuils de concentration en H2S au-dessus desquels des conséquences létales ou irréversibles seraient provoquées ne s'applique donc pas au présent débat, étant de plus relevé que le facteur temps d'exposition à la substance toxique n'est pas considéré dans cette étude alors qu'à la suite du malaise engendré par l'inhalation d'hydrogène sulfuré, la victime aurait pu tomber à terre et rester inanimée jusqu'à absorber une quantité létale d'H2S ; que ce risque est réel, compte tenu du travail de manière individuel des opérateurs ; que l'article 223-1 du code pénal dispose que le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière « de prudence ou de sécurité » imposée par la loi ou les règlements est puni d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende ; que cet article 223-1 sanctionne l'exposition à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente et non la survenance même de la mort ou de blessures entraînant de telles conséquences ; qu'il suffit que le risque de dommage auquel a été exposée la victime ait été certain et il n'est pas nécessaire que la survenance d'un tel risque se soit réalisé de manière effective dans les faits pour que l'infraction de mise en danger d'autrui soit constituée, celle-ci étant d'ailleurs définie par le code pénal de manière distincte par rapport à l'homicide involontaire ou le délit de blessures involontaires ; que le jour de l'accident, il existait bien pour les personnes travaillant dans le Laboratoire unité un risque réel d'exposition à de telles conséquences dommageables ; qu'il est constant que l'inhalation d'hydrogène sulfuré est de nature à entraîner pour la victime des conséquences néfastes sur sa santé, voire fatales ; que dès lors, l'exposition certaine à un risque d'inhalation de ce produit éminemment toxique constitue bien le délit de mise en danger d'autrui ; qu'en conséquence, c'est à juste titre que la société Arkema a été déclarée coupable des faits reprochés de mise en danger d'autrui par personne morale (risque immédiat de mort ou d'infirmité) par violation manifestement délibérée d'une obligation règlementaire de sécurité ou de prudence, et le jugement du tribunal correctionnel de Pau sera confirmé sur ce point ; que sur la peine, compte tenu de la réelle gravité de l'infraction, touchant à la sécurité des salariés, ainsi que de la spécificité de l'activité exercée par la société Arkema, entreprise classée « Seveso », il convient de confirmer la décision du tribunal correctionnel de Pau du 15 décembre 2011 qui a condamné la société Arkema à la peine d'amende de 15 000 euros ; qu'il y a lieu en outre, pour les mêmes motifs, d'ordonner à titre de peine complémentaires la publication dans la presse écrite de la présente condamnation, conformément aux dispositions de l'article 131-39, 9°, du code pénal ; que sur l'action civile, le jugement sera également confirmé, en ce que le syndicat CGT de la société Arkema a été reçu en sa constitution de partie civile, la société Arkema a été déclarée responsable du préjudice subi par la partie civile et a été condamnée à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, le tribunal ayant fait une juste appréciation de son préjudice ;

"1°) alors que, selon les dispositions de l'article 223-1 du code pénal, outre la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, la mise en danger d'autrui nécessite la preuve d'un risque de mort ou de blessures graves encourues par autrui ; qu'il en résulte qu'il incombe à l'accusation d'établir la réalité du risque ; qu'en l'espèce, alors qu'aucune expertise n'était produite à l'appui de l'action publique et que l'expertise produite par le prévenu concluait à l'absence de risque encouru par autrui, la cour d'appel a néanmoins estimé que le délit de mise en danger délibérée avait été commis par l'exposante ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 223-1 du code pénal ;

"2°) alors que le délit de mise en danger d'autrui n'est constitué que si le manquement défini par l'article 223-1 du code pénal a été la cause directe et immédiate du risque de mort ou de blessures graves auquel a été exposé autrui ; que l'insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; qu'en l'espèce, le manquement reproché consistait notamment en la défaillance du système de ventilation ; que la cour d'appel a considéré que le risque était réel en raison, non de la défaillance du système de ventilation, mais du travail de manière individuelle, de l'obligation, au demeurant inexistante et ne caractérisant pas la violation d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité visée par l'article 223-1 du code pénal, de travailler en binôme, de l'absence de référence aux seuils d'exposition par les textes en cause, du défaut de fixation de seuil d'effets réversibles et du fait qu'à la suite du malaise engendré par l'inhalation d'hydrogène sulfuré, la victime aurait pu tomber à terre et rester inanimée jusqu'à absorber une quantité létale d'H2S ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser le lien direct et immédiat entre la violation de l'obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par le règlement reprochée à l'exposante et le risque de mort ou d'infirmité permanente auquel auraient été exposés ses salariés, la cour d'appel a privé, par insuffisance de motifs, sa décision de base légale au regard des articles 223-1 et 223-2 du code pénal" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 17 septembre 2009, M. F..., salarié de la société Arkema, qui venait de laver un flacon ayant contenu de l'hydrogène sulfuré, a été pris d'un malaise, ayant entraîné un jour d'incapacité totale de travail, causé par l'inhalation de ce produit, dont le débit insuffisant du dispositif de ventilation équipant son local de travail n'avait pas permis la complète évacuation ; que, poursuivie pour mise en danger d'autrui, en raison de l'inobservation des prescriptions des articles R. 4222-20, R. 4222-22 et R. 4412-39 du code du travail, la société a sollicité sa relaxe, au motif que, nonobstant cette inobservation, son salarié n'avait pas été exposé à un risque immédiat de mort, de mutilation ou d'infirmité permanente, et qu'à supposer même un tel risque établi, l'existence d'un lien de causalité, direct et immédiat, entre celui-ci et la violation de l'obligation particulière de prudence ou de sécurité lui étant reprochée n'était pas établie ; que, le tribunal ayant écarté cette argumentation, la société a interjeté appel du jugement la condamnant ;

Attendu que, pour confirmer la déclaration de culpabilité, l'arrêt attaqué prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs qui établissent l'exposition d'autrui à un risque de mort, de mutilation ou d'infirmité permanente, en relation directe et immédiate avec la violation, manifestement délibérée et non contestée, des dispositions du code du travail visées à la prévention, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept janvier deux mille quinze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Source : DILA, 25/08/2016, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction judiciaire

JURIDICTION : Cour de cassation, Chambre criminelle

Date : 27/09/2012