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Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre , 12/11/2012, 11PA02031, Inédit au recueil Lebon

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Président : Mme MILLE

Rapporteur : Mme Nathalie AMAT

Commissaire du gouvernement : M. LADREYT

Avocat : BARROIS


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 28 avril 2011, présentée pour M. Ali B, demeurant
... à Boissy-le-Chatel (77169), par Me Barrois ; M. B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0709211 du 5 novembre 2010 du Tribunal administratif de Melun, en ce que celui-ci a partiellement rejeté sa demande tendant, d'une part, à la condamnation du centre hospitalier de Coulommiers à lui verser une somme de
2 000 000 d'euros, assortie de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices résultant, pour lui, de l'intervention chirurgicale pratiquée le 3 novembre 2006 et, d'autre part, à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Coulommiers une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du
10 juillet 1991 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Coulommiers à lui verser la somme de
2 000 000 d'euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2007 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de
3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la décision du 10 mars 2011 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris, accordant au requérant le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans le cadre de la présente instance ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 modifiée ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 octobre 2012 :

- le rapport de Mme Amat, rapporteur,

- et les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public ;
1. Considérant que M. B, alors âgé de 45 ans, carreleur en reclassement professionnel du fait de lombalgies invalidantes, souffrait de douleurs bilatérales à l'aine ; qu'une échographie ayant mis en évidence une hernie inguinale bilatérale, il a été opéré sous rachi-anesthésie le 3 novembre 2006 au centre hospitalier de Coulommiers en vue d'une exérèse de cette hernie ; que, dans les suites opératoires, un hématome inguino-scrotal s'est formé, qui a pu être évacué par désunion cutanée ; que, cependant, une douleur neuropathique inguinale droite persistant postérieurement à l'intervention, M. B a recherché la responsabilité du centre hospitalier de Coulommiers et obtenu la désignation d'un expert par le président du Tribunal administratif de Melun, dont le rapport a été déposé le 5 juillet 2008 ; que M. B relève régulièrement appel du jugement du 5 novembre 2010 en ce que ce tribunal, après avoir retenu un défaut d'information de l'intéressé sur les risques opératoires encourus, a évalué à
20 % la perte de chance qui en résultait et limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 2 000 euros ; que, par la voie du recours incident, le centre hospitalier de Coulommiers, estimant n'avoir commis aucune faute et soutenant subsidiairement que l'intéressé n'a perdu aucune chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé, demande à la Cour d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande présentée par M. B devant le Tribunal administratif de Melun ;
Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient M. B, les premiers juges, en indiquant notamment qu' " il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que M. B souffre d'une neuropathie inguinale et se déplace avec une canne ; que l'expert a chiffré à 4 % l'incapacité permanente partielle résultant de la neuropathie et les souffrances physiques à 2,5/7 ; que le requérant n'établit pas le préjudice dû à son incapacité temporaire de travail ; que l'expert conclut à l'absence de préjudice d'agrément ; que le préjudice esthétique n'est pas établi ; qu'aucun document n'est produit concernant le préjudice financier (...) il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence de M. B en fixant son préjudice à la somme de 10 000 euros ", ont statué sur l'ensemble des préjudices dont M. B demandait réparation dans ses écritures ;
3. Considérant, en second lieu, qu'il n'appartenait pas aux premiers juges de soulever un moyen d'ordre public en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative pour refuser de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts présentée par M. B, qui n'avait formé aucune demande d'intérêts ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité ;

Sur la responsabilité pour faute :

5. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le choix d'une rachi-anesthésie, au lieu de l'anesthésie initialement prévue, était justifié par la rhino-pharyngite débutante présentée par M. B le jour de l'opération et n'a, en tout état de cause, entraîné aucune complication ; que l'hématome inguinal apparu dans les suites opératoires, qui, au demeurant, n'est pas en lien avec les séquelles neuropathiques dont souffre M. B, a été rapidement évacué ; qu'enfin, la circonstance qu'un sondage vésical ait dû être effectué en urgence dans les suites opératoires n'est pas de nature à établir que la prise en charge post-opératoire a été fautive ;

6. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. " ; qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information n'engage la responsabilité de l'hôpital que dans la mesure où il a privé le patient de la possibilité de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ; que c'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance ;
7. Considérant que, ainsi que le fait valoir le centre hospitalier de Coulommiers, le risque de neuropathie inguinale consécutive à une cure de hernie inguinale, évalué par l'expert à 1 à 2 % et donc normalement prévisible, ne peut cependant être qualifié de grave ; qu'en revanche, eu égard au pourcentage significatif qu'il représente s'agissant d'un accident médical, il peut être regardé comme fréquent au sens des dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ; que, dès lors, il devait être porté à la connaissance de M. B préalablement à l'intervention chirurgicale ; qu'il est constant que tel n'a pas été le cas ; que ce défaut d'information revêt donc un caractère fautif ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que si la cure de hernie inguinale proposée à M. B comportait un risque de neuropathie survenant, comme dit ci-dessus, chez environ 1 à 2 % des patients, l'abstention thérapeutique aurait entraîné une gêne fonctionnelle continue et, dans une proportion de 2 à 3 % des patients, un risque d'étranglement herniaire nécessitant alors une intervention en urgence ; que, par suite, l'opération à laquelle M. B s'est soumis n'était, ni impérieusement requise ni injustifiée, cette situation intermédiaire lui ménageant une possibilité de choix ; que le défaut d'information litigieux ne peut donc être regardé comme n'ayant entraîné pour le patient aucune perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; que la réparation du préjudice résultant de la perte de chance ainsi constatée doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; que, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention, notamment le risque de neuropathie inguinale, et, d'autre part, les risques encourus en cas de renonciation à celle-ci, cette fraction doit être fixée à 20 % ;
Sur la mise en jeu de la solidarité nationale :

9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " ; qu'aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. Un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale présente également le caractère de gravité mentionné à l'article L. 1142-1 lorsque la durée de l'incapacité temporaire de travail résultant de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale est au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence " ;

10. Considérant que les dispositions du I et du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 98 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, sont applicables, en vertu de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002, et comme l'a expressément confirmé l'article 3 de la loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale, aux accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales consécutifs à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées à compter du 5 septembre 2001 ;

11. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions susmentionnées que si les préjudices résultant d'un accident médical peuvent être pris en charge, sous certaines conditions, par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, leur réparation ne saurait incomber aux établissements de santé ; que, par suite, M. B n'est en tout état de cause pas fondé à demander la condamnation du centre hospitalier de Coulommiers sur le fondement de la responsabilité sans faute ;

12. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la neuropathie inguinale dont reste atteint M. B, qui, par ailleurs, présentait avant son opération une hernie discale ainsi qu'une arthrose vertébrale et était en reclassement professionnel en raison de lombalgies invalidantes, n'a pas entraîné de troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence et n'est pas à l'origine d'une inaptitude définitive à exercer une activité professionnelle, l'expert indiquant que M. B était apte à suivre le stage de reclassement professionnel d'agent de montage et d'installation en équipements électroniques à partir de la fin du mois de janvier 2007 et à exercer ladite profession ; que le requérant a recouvré ses capacités permettant une vie normale, à l'exception d'une incapacité permanente partielle (IPP) que le médecin expert a évaluée à 4 % et qui n'est pas utilement contestée ; que, s'il fait valoir qu'il est gêné à la marche et ne peut se déplacer qu'avec une canne, il ne résulte pas de l'instruction qu'il existe un lien de causalité direct et certain entre cette circonstance et l'intervention litigieuse ; qu'avant même l'opération, en effet, M. B s'était vu reconnaître le 13 octobre 2005 un taux d'incapacité de 50 % par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées et s'était vu attribuer une carte " station debout pénible " par cette instance ; que, dès lors, la situation de M. B n'est pas susceptible d'entrer dans les prévisions des dispositions précitées du code de la santé publique ;

13. Considérant que, par suite, M. B n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont écarté sa demande d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité sans faute ;
Sur les préjudices :

14. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la neuropathie inguinale consécutive à l'opération a entraîné pour M. B un taux d'incapacité permanente partielle de 4 %, des souffrances physiques évaluables à 2,5 sur 7 et un préjudice esthétique lié aux difficultés à la marche ; qu'il n'établit pas que ces difficultés seraient à l'origine de son divorce consécutif à l'intervention litigieuse ; qu'il ne produit aucun élément de nature à permettre d'évaluer le préjudice financier qu'il estime avoir subi ; qu'enfin, l'expert indique qu'il ne subit aucun préjudice d'agrément en lien avec sa neuropathie ; que, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, il ne résulte pas de l'instruction que le Tribunal administratif de Melun ait fait une inexacte appréciation de l'évaluation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence et des souffrances endurées par le requérant en la fixant à la somme de 10 000 euros ; qu'en conséquence, eu égard au pourcentage de perte de chance retenu ci-dessus, c'est à bon droit qu'il a limité à la somme de 2 000 euros la condamnation du centre hospitalier de Coulommiers ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

15. Considérant, d'une part, qu'une demande de capitalisation des intérêts doit être regardée comme incluant nécessairement une demande d'intérêts moratoires ; que, quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter de la réception par la partie débitrice de la réclamation de la somme principale ; que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, M. B, qui avait demandé la capitalisation des intérêts dans son mémoire introductif d'instance, a droit aux intérêts au taux légal échus sur la somme de 2 000 euros, à compter de la date de réception par l'administration de sa demande préalable d'indemnisation, soit le 3 octobre 2007 ;
16. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : "Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière" ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. B ayant, comme dit ci-dessus, demandé la capitalisation des intérêts en première instance, cette demande prend effet à compter du 3 octobre 2008, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;

17. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède, d'une part, que
M. B est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a refusé de faire droit à sa demande d'intérêts et de capitalisation des intérêts et, d'autre part, que les conclusions incidentes du centre hospitalier de Coulommiers doivent être rejetées ; qu'enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions des deux parties tendant à l'application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le centre hospitalier de Coulommiers est condamné à verser à M. B les intérêts au taux légal sur la somme de 2 000 euros à compter du 3 octobre 2007. Les intérêts échus le
3 octobre 2008 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B et les conclusions incidentes du centre hospitalier de Coulommiers sont rejetés.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Melun du 5 novembre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les conclusions de M. B et celles du centre hospitalier de Coulommiers tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 10PA03855
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N° 11PA02031



Source : DILA, 14/11/2012, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Paris

Date : 12/11/2012