Président :
M. DESRAME
Rapporteur :
Mme Colette STEFANSKI
Commissaire du gouvernement :
M. COLLIER
Avocat :
SELARL SOLER-COUTEAUX / LLORENS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 2 juin 2006, complétée par des mémoires enregistrés les 18 août 2006, 8 août et 9 novembre 2007, présentés pour la société IDEX ENERGIE EST, dont le siège est 20 rue du Maréchal Foch à Jarville (54140), représentée par son président directeur général, par Me Cabanes, avocat ; la société IDEX ENERGIE EST demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 02-2636 du 4 avril 2006 du Tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'office public d'habitations à loyer modéré (OPHLM) de la communauté urbaine de Strasbourg à lui verser une somme de 145 393, 84 euros assortie des intérêts légaux à compter du 22 février 2002, au titre du règlement de trois marchés de maintenance d'appareils à gaz ;
2°) de condamner l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg à lui verser la somme de 145 393, 84 euros, ainsi que les intérêts légaux à compter du 22 mars 2006, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés à la date du recours ;
3°) de condamner l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le jugement attaqué, qui mentionne dans les visas l'existence d'un marché au lieu de trois, est irrégulier ;
- les fins de non-recevoir opposées par l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg à sa demande de première instance ne sont pas fondées ; qu'en effet, en l'absence d'établissement et de notification du décompte par l'OPHLM, elle pouvait saisir le juge administratif sans demande préalable ; que la clause compromissoire prévue par les contrats était illégale, qu'elle ne concernait en tout état de cause pas le cas de résiliation et n'avait pas, en l'absence de décompte, à être respectée ;
- elle justifie, par les nouvelles pièces produites en appel, de la réalité des prestations qu'elle avait réalisées avant la date de la résiliation des marchés et est ainsi en droit d'en réclamer le paiement ;
- l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg, qui a méconnu les droits de la défense et n'a pas établi de décompte de liquidation, n'a pas respecté la procédure de résiliation pour faute prévue par le cahier des clauses techniques particulières ; qu'il ne peut, dès lors, lui opposer des irrégularités de forme de ses factures ;
- c'est à tort que l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg lui a retourné les factures qu'elle lui avait adressées après la résiliation des marchés alors que ces factures étaient accompagnées de justificatifs valables et ne comportaient pas d'erreurs de calcul ;
- eu égard aux difficultés imprévues rencontrées dans l'exécution des marchés, à la qualité des prestations réalisées et aux carences de l'OPHLM qui ont contribué à entraver le bon déroulement des marchés, l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg n'était pas fondé à résilier les marchés à ses torts ;
- l'appel incident de l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg, qui porte sur des conclusions distinctes de celles de l'appel principal et a été enregistré hors du délai d'appel, est irrecevable ;
- l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg n'ayant pas suivi une procédure de résiliation régulière, ses conclusions reconventionnelles étaient irrecevables ;
- les conclusions reconventionnelles de l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg ne sont pas fondées, dès lors que la résiliation des marchés, qui se fondait davantage sur l'absence de pièces justificatives que sur des carences et n'a pas été précédée de mesures de redressements, étaient irrégulières ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2007, complété par un mémoire enregistré le 6 novembre 2007, présentés pour l'office public d'habitations à loyer modéré (OPHLM ) de la communauté urbaine de Strasbourg, pris en la personne de son représentant légal, par Me Soler-Couteaux, avocat ;
L'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg demande à la Cour :
- de rejeter la requête susvisée ;
- par la voie du recours incident, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles et de condamner la société IDEX ENERGIE EST à lui verser une somme de 252 625, 61 euros augmentée des intérêts et des intérêts des intérêts ;
- de condamner la société IDEX ENERGIE EST à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- l'erreur matérielle des visas portant sur le nombre de marchés est sans incidence sur la régularité du jugement et que le moyen, non assorti de précisions, tiré de l'irrégularité de la procédure paraît abandonné par la requérante ;
- la demande de première instance était irrecevable, la société IDEX ENERGIE EST n'ayant respecté ni les procédures contractuelles d'établissement du décompte et de règlement des différends, ni la procédure de contestation organisée par les marchés, qui prévoit le recours à un arbitre ;
- la société, qui a fait une inexacte application des stipulations des marchés en matière de révision de prix, n'établit pas davantage qu'en première instance l'exactitude des quantités facturées et commet des erreurs de calcul en ce qui concerne les prestations de l'année 2001 ; que ses prétentions ne sont, dès lors, pas fondées ;
- il peut prétendre, par la voie de l'appel incident, à la réparation des préjudices qu'il a subis, dès lors que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif de Strasbourg, la résiliation des marchés aux torts de la société IDEX ENERGIE EST a été précédée d'une procédure contradictoire régulière et que cette résiliation est justifiée au fond en raison des carences de la société dans l'exécution de ses obligations contractuelles, dont elle est seule responsable ; qu'en conséquence, la société requérante doit supporter les conséquences financières de cette résiliation ;
- il produit en appel les décomptes circonstanciés permettant le calcul des intérêts de retard ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 novembre 2007 :
- le rapport de Mme Stefanski, président,
- les observations de Me Dittenhoeffer pour la Selarl Soler-Couteaux/Llorens, avocat de l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg,
- et les conclusions de M. Collier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que par trois actes d'engagement acceptés le 11 octobre 1999, l'office public d'habitations à loyer modéré (OPHLM) de la communauté urbaine de Strasbourg a confié pour cinq ans, à compter du 1er janvier 2001, à la société SMC-SERVITHERM aux droits de laquelle vient la société IDEX ENERGIE EST, la maintenance des appareils individuels à gaz pour le chauffage et la production d'eau chaude installés dans les logements qu'il gère ; que le 21 juin 2001, l'OPHLM a prononcé la résiliation du marché aux torts et aux frais et risques de la société IDEX ENERGIE EST avec effet à compter du 21 septembre 2001 ; que la société IDEX ENERGIE EST interjette appel du jugement en date du 4 avril 2006 du Tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce que l'OPHLM soit condamné à lui verser une somme 145 393, 84 euros au titre du règlement du marché ; que, par la voie du recours incident, l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg demande l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce que la société IDEX ENERGIE EST soit condamnée à lui verser une somme de 252 625, 61 euros au titre des pénalités de retard et des frais consécutifs à la résiliation du marché ;
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
Considérant que la circonstance que le jugement attaqué comporte dans les visas une erreur matérielle sur le nombre de marchés en litige est sans incidence sur sa régularité ;
En ce qui concerne le règlement du marché :
Considérant que la société IDEX ENERGIE EST produit pour la première fois en appel des documents, tels que feuilles d'émargements ou bulletins d'interventions signés des locataires, de nature à prouver qu'elle a réalisé une partie des prestations dont elle a demandé le paiement à l'OPHLM ; que notamment, pour les factures relatives à la période du 1er octobre au 31 décembre 2000, elle a annoté, pour chacun des trois marchés, l'état détaillé des justificatifs manquants que lui avait adressé l'office en y ajoutant les références des pièces qu'elle a retrouvées et jointes ; que pour la période du 1er janvier au 30 juin 2001, elle produit des listes d'émargement signées par les locataires lors du passage de ses employés ainsi que des bulletins d'interventions correspondants ; que la société requérante joint également des accusés de réception des lettres envoyées aux locataires absents lors du premier passage de ses employés ; que l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg se borne à contester de façon générale la valeur probante de ces pièces et fait état, sans en préciser le montant, d'erreurs de calcul sur les indices de révision de prix ; qu'ainsi, la société IDEX ENERGIE EST est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a refusé de faire droit à sa demande ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance dont elle est saisie par l'effet dévolutif de l'appel ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société IDEX ENERGIE EST a adressé à l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg des factures établies les 28 février, 30 juin, 30 août et 5 septembre 2001, que l'office lui a renvoyées à l'exception de deux, au motif, soit qu'elles comportaient des erreurs de calcul notamment en matière de révisions de prix, soit qu'elles n'étaient pas présentées dans les formes ou n'étaient pas accompagnées des justificatifs prévus par les stipulations contractuelles et notamment l'article 6.3 du cahier des clauses techniques particulières ; qu'ainsi, l'OPHLM n'a pas arrêté de décompte, en contravention avec les articles 8.2 et 8.7 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) relatif aux marchés publics de fournitures courantes et de services applicable aux présents marchés en application de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), sans qu'il résulte de l'instruction que les documents produits par la société, même s'ils ne remplissaient pas l'ensemble des conditions prévues par les contrats, rendaient impossible l'établissement de tout décompte ; que, dans ces conditions, il appartenait à la société IDEX ENERGIE EST, ainsi qu'elle l'a fait, de saisir le juge du contrat aux fins d'établissement du décompte de liquidation ;
Considérant, en second lieu, que l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg ne saurait utilement se prévaloir du chapitre 7 du CCTP du marché, qui prévoit le recours à l'arbitrage en cas de litige, dès lors qu'une telle clause, contraire aux dispositions alors en vigueur des articles 247 et 361 du code des marchés publics, est illicite ; qu'elle ne peut, par suite, produire aucun effet ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société IDEX ENERGIE EST est fondée à obtenir le remboursement de sa créance au titre de l'exécution des prestations prévues par les trois marchés, laquelle, après réduction, de ses prétentions en appel aux seules interventions pour lesquelles elle était en mesure de produire des justificatifs, s'élève à la somme non réellement contestée de 145 393,84 euros toutes taxes comprises ;
Sur l'appel incident de l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg :
Considérant que les conclusions de l'appel incident de l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg, qui ont également pour objet le règlement des marchés conclus le 11 octobre 1999 avec la société IDEX ENERGIE EST, ne portent pas sur un litige distinct de celui de l'appel principal ; qu'alors même qu'elles ont été enregistrées au-delà du délai d'appel, elles sont, dès lors, recevables ;
Considérant, d'une part, que selon l'article 28-2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG), la résiliation aux torts du titulaire ne peut intervenir qu'après qu'il a été informé de la sanction envisagée et invité à présenter ses observations dans un délai de quinze jours ; qu'en outre, lorsque la résiliation est motivée par le fait que le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais prévus, une mise en demeure, assortie d'un délai d'exécution, doit avoir été préalablement notifiée au titulaire et être restée infructueuse ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que si le 17 novembre 2000, l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg a mis la société IDEX ENERGIE EST en demeure de satisfaire à ses obligations contractuelles, cette mise en demeure n'était pas assortie d'un délai d'exécution et n'informait pas le titulaire de la sanction encourue ; que si la seconde lettre du 14 février 2001 par laquelle l'OPHLM a mis la société en demeure de produire les preuves des interventions qu'elle avait effectuées au cours de l'année 2000 était assortie de l'indication d'un délai de quinze jours sous peine de résiliation des contrats, cette mise en demeure ne portait pas sur la réalisation des prestations prévue par le contrat ; qu'au surplus, il est constant qu'aucun de ces deux courriers n'a invité la société IDEX ENERGIE EST à présenter ses observations dans un délai de quinze jours ; qu'ainsi, la résiliation des contrats étant irrégulière en la forme, ses conséquences onéreuses ne peuvent être mises à la charge de l'entreprise ;
Considérant, d'autre part, que l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg produit, pour la première fois en appel, les décomptes détaillés justifiant le bien-fondé de l'application de pénalités de retard à la société IDEX ENERGIE EST et leur montant ; qu'ainsi, il est fondé à demander que ce montant de 1255,94 euros soit déduit des sommes qu'il sera condamné à verser à la société requérante ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société IDEX ENERGIE EST est seulement fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a refusé de condamner l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg à lui verser une somme de 144 137, 90 euros toutes taxes comprises en règlement des trois marchés litigieux et que l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg est seulement fondé à demander l'annulation de ce jugement en tant que le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions reconventionnelles relatives aux pénalités de retard ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant, d'une part, que la société IDEX ENERGIE EST a droit aux intérêts de la somme de 144 137, 90 euros à compter du 28 mars 2002, jour de la réception par l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg de sa demande préalable du 22 mars 2002 ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que pour l'application des dispositions précitées la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la société IDEX ENERGIE EST a demandé dans sa requête en appel enregistrée le 2 juin 2006 la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date que, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que cette entreprise n'a pas ensuite formulé de nouvelles demandes de capitalisation, à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner chacune des parties à payer à l'autre la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 4 avril 2006 est annulé.
Article 2 : L'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg est condamné à verser à la société IDEX ENERGIE EST une somme de 144 137, 90 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts légaux à compter du 28 mars 2002. Les intérêts échus à la date du 2 juin 2006 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société IDEX ENERGIE EST et des conclusions du recours incident de l'OPHLM de la communauté urbaine de Strasbourg est rejeté.
article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société IDEX ENERGIE EST et à l'office public d'habitations à loyer modéré de la communauté urbaine de Strasbourg.
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N° 06NC00808
Source : DILA, 01/05/2010, https://www.legifrance.gouv.fr/