« Nous conservons l’objectif de sobriété foncière, mais pas la méthode », a martelé le sénateur du Nord Guislain Cambier, président du groupe de suivi sur la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols du Sénat, le 9 octobre 2024, en présentant un premier bilan. Conscients de la nécessité de promouvoir une gestion économe des espaces, les élus locaux « dénoncent une méthode sans nuance, centralisatrice, arithmétique et injuste », et des blocages qui ne permettent pas de territorialiser équitablement les efforts de réduction. Le dispositif ne tient pas compte de la diversité territoriale (territoires ruraux, communes littorales ou de montagne…). L’État, explique Guislain Cambier, « livre les territoires à eux-mêmes pour répartir les enveloppes foncières », il se comporte « comme un boutiquier » et impose un cadre normatif contradictoire avec les autres politiques publiques : réindustrialisation, souveraineté alimentaire, décarbonation, transport d’énergies renouvelables… « Centralisatrice et jacobine », la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre du ZAN, qui n’a pas été pensée avec les territoires, risque de freiner leur capacité à se développer. Dit autrement : les difficultés et les blocages que rencontrent les élus sur le terrain ne pourront être levés que par des évolutions législatives et réglementaires.
Nous voulons « mettre la pression sur l’État », a précisé Jean-Baptiste Blanc, sénateur du Vaucluse, dont le rapport d’étape propose une action en deux temps. D’ici 2031, il faudrait renforcer l’accompagnement des collectivités, en financement et en ingénierie, et prévoir des modifications ciblées pour répondre aux grandes priorités nationales. Après 2031, une trajectoire de réduction de l’artificialisation devra être prévue à partir de nouveaux critères et modalités de mise en œuvre, élaborés en partant des besoins des territoires.
D’ici 2031, donc, les sénateurs demandent à l’État qu’il donne des instructions claires aux services déconcentrés pour apporter aux collectivités un accompagnement de terrain sur mesure. Et qu’il fasse preuve de souplesse dans la mise en œuvre des politiques de lutte contre l’artificialisation, notamment en appliquant systématiquement la tolérance de dépassement de 20 % de l’enveloppe d’artificialisation lors du contrôle de légalité des documents d’urbanisme.
Par ailleurs, le coût de la sobriété devra être réduit. En effet, pour ne pas inciter les collectivités à consommer de nouveaux espaces, artificialiser un sol naturel doit impérativement être plus cher que recycler un sol déjà artificialisé, ce qui est très loin d’être le cas. Une mission, menée par Hervé Maurey, sénateur de l’Eure, travaille précisément sur le financement du ZAN et rendra ses conclusions dans quelques semaines. Elles pourraient être traduites dans le projet de loi de finances pour 2025.
Les sénateurs demandent aussi à l’État de lever « temporairement et de manière ciblée » la contrainte ZAN pour faire face à l’urgence des crises du logement et du climat, en excluant jusqu’en 2031 du décompte d’artificialisation l’emprise foncière des implantations industrielles et les nouvelles constructions de logements sociaux. Ces mesures avaient fait l’objet d’amendements sénatoriaux au printemps. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale ayant rendu leur issue incertaine, le groupe de suivi plaide pour qu’elles soient réintroduites « dans le prochain véhicule législatif pertinent », et formulera des propositions en ce sens.
Conserver les « Enaf » après 2031
Après 2031, l’artificialisation doit être comptabilisée différemment, alors que les élus ont déjà du mal avec le modèle actuel, notamment pour élaborer les nouveaux documents d’urbanisme. Le groupe de suivi estime donc pertinent de conserver le décompte actuel d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf), qui aurait de plus l’avantage d’exclure l’artificialisation des bâtiments agricoles. Ce qui lèverait aussi le risque de leur voir préférer l’utilisation du foncier pour construire des logements ou exercer d’autres activités économiques. Car « la lutte contre l’artificialisation des sols n’a de sens que si elle permet le maintien effectif d’activités agricoles sur les terrains préservés ».
Par ailleurs, l’arrêté fixant la liste des projets d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur (Pene) qui ne seront pas imputés à l’enveloppe d’artificialisation régionale de 12 500 hectares a été publié seulement au mois de juin dernier. Or, les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) doivent être modifiés avant novembre… Ce qui ne manque pas d’inquiéter les élus. Une inquiétude renforcée par les réductions d’enveloppes, causées arithmétiquement par le mécanisme des Pene et des parts régionales réservées. Les sénateurs estiment qu’il pourrait donc être opportun de repousser à nouveau le calendrier de modification des documents d’urbanisme, pour y inclure les objectifs de réduction de l’artificialisation, ou la période de référence pour l’atteinte des objectifs de réduction de l’artificialisation. Le groupe de suivi promet des propositions législatives au premier semestre 2025.
Martine Courgnaud – Del Ry