“Quitter X pour ne pas se renier”

Publiée le 11 février 2025 à 13h30 - par

De plus en plus d'institutions, de personnalités publiques ou de collectivités locales ont annoncé dernièrement leur départ du réseau social X, jugé toxique pour la démocratie depuis son rachat par Elon Musk. Un choix parfois difficile mais devenu, selon elles, indispensable. Dans cette tribune, Jérôme Tré-Hardy, Conseiller régional chargé du numérique de la Région Bretagne, explique le choix de sa collectivité de quitter X pour jouer un rôle de « lanceur d'alerte » notamment face au dévoiement de la liberté d'expression et aux risques de créer « les conditions d'une décohésion sociale ».
Quitter X pour ne pas se renier
Crédit photo © EP Images - Région Bretagne

En janvier, nous avons décidé à la Région Bretagne de quitter X, où notre institution comptait 116 000 abonnés. Ce choix n’a rien d’anodin : si les réseaux sociaux sont essentiels pour informer et promouvoir nos valeurs, X est devenu l’instrument d’une idéologie en contradiction avec tout ce que nous défendons.

Les dérives se sont accélérées

Depuis le rachat par Elon Musk en 2022, X a radicalement changé. Sous prétexte d’une liberté d’expression sans limite, la plateforme a supprimé toute modération, rétabli des comptes extrémistes et favorisé la désinformation. Les dérives se sont accélérées : Musk a lui-même manipulé l’algorithme pour mettre en avant ses opinions et celles de Donald Trump.
Le quotidien Le Monde a révélé que les techniques de désinformation employées surpassaient celles des services russes. Son soutien à l’extrême droite européenne illustre une ambition inquiétante : remodeler le monde selon ses propres obsessions.

Un cheval de Troie

Si la Région Bretagne a quitté X, c’est parce qu’elle considère que ce n’est plus un réseau social, au sens traditionnel du terme, mais un cheval de Troie au service d’une personnalité mégalomane dont l’ambition ultime est de mettre le feu à la démocratie par un recours massif à la manipulation politique.
Reconnaissons que la mécanique est bien huilée : en laissant proliférer les discours de haine, en valorisant les échanges toxiques, en promouvant les théories complotistes, on crée les conditions d’une décohésion sociale qui, dans l’histoire, a toujours été la matrice des dérives autoritaires et totalitaires. Dès lors que la vérité n’est qu’une opinion parmi d’autres, le terreau est propice à l’avènement d’une société où le pouvoir revient à celui qui parle le plus fort – au plus démagogue plutôt qu’au plus compétent.

Un rôle de lanceur d’alerte

En quittant X, nous n’avons bien entendu pas la prétention de mettre un terme, à nous seuls, à ces inquiétantes dérives qui sapent notre système démocratique. Mais, à notre modeste niveau, avec d’autres collectivités, nous avons souhaité, en responsabilité, jouer pleinement un rôle de lanceur d’alerte, en premier lieu auprès de notre jeunesse.
Le débat, d’ailleurs, mériterait d’être élargi à l’ensemble des dirigeants des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) – ces « pompiers pyromanes » qui accélèrent le développement technologique tout en signant des appels à la prudence, qui prônent la liberté d’expression tout en s’en s’affranchissant dès que cela les arrange.
La plateforme X n’est peut-être au fond que l’arbre qui cache la forêt dans un projet global de dépassement du politique par le techno-capitalisme – cette « charité ensorcelée » qu’évoquait dans un ouvrage de 2017 le philosophe Jean-Gabriel Ganascia.

Principes fondamentaux de respect et de modération

Nous croyons au progrès technologique, et la Région Bretagne s’implique d’ailleurs avec volontarisme sur les enjeux liés à l’intelligence artificielle ou à la donnée. Mais nous pensons que l’autorité publique doit en conserver le contrôle, de telle sorte qu’il serve les intérêts de la société tout entière et non ceux d’une caste d’oligarques multimilliardaires américains ou chinois.
Nous refusons de même le dévoiement de la liberté d’expression, dont l’interprétation maximaliste d’un Elon Musk consiste à faire en dernier ressort un instrument d’accaparement du pouvoir par le plus fort ou le plus fou. Une liberté n’est intangible que dès lors qu’elle ne nuit pas à autrui, ainsi que le stipule l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Elle ne saurait s’exercer sans contrôle, en dehors des principes fondamentaux de respect et de modération, comme l’a rappelé le président Loïg Chesnais-Girard à l’occasion de l’annonce du départ de la Région de la plateforme X.
Quitter X est alors un signal majeur : nous refusons de transiger avec l’essentiel.

Jérôme Tré-Hardy, Conseiller régional chargé du numérique de la Région Bretagne

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