Baisse de la rémunération des CMO : une mesure injuste, inéquitable et inefficace

Publiée le 4 avril 2025 à 9h00 - par

La baisse à 90 % de la rémunération des agents publics durant les trois premiers mois d'un d'arrêt maladie, disposition entrée en vigueur le 1er mars 2025, n'est pas soutenue par de nombreux employeurs territoriaux. Philippe Laurent, Maire de Sceaux et Président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), l'explique par les problèmes posés en matière d'attractivité, d'équité et de reconnaissance du travail des agents. Il critique l'interdiction de compensation par les employeurs publics.
Baisse de la rémunération des CMO : une mesure injuste, inéquitable et inefficace
© Ville de Sceaux

Depuis le 1er mars 2025, une évolution réglementaire, issue de la loi de finances pour 2025, impose à l’ensemble des employeurs publics de limiter le maintien de la rémunération de leurs agents titulaires et contractuels en arrêt maladie à hauteur de 90 % de leur traitement (contre 100 % auparavant), et ce, dans la limite des trois premiers mois (sachant que le 1er jour est un jour de carence).
Cette disposition, présentée comme visant à rationaliser les dépenses publiques, soulève plusieurs problématiques majeures en matière d’attractivité, d’équité et de reconnaissance du travail des agents publics territoriaux, d’autant plus que toute compensation est interdite aux employeurs publics et aux régimes de prévoyance.

Un impact très négatif sur l’attractivité de la FPT

Dans un contexte où la fonction publique territoriale (FPT) peine déjà à recruter, notamment sur certains métiers en tension, la diminution de la rémunération en cas d’arrêt maladie constitue un facteur supplémentaire de désincitation. L’une des motivations essentielles à l’engagement des agents dans la fonction publique est la stabilité et la reconnaissance de leur engagement. Or, cette nouvelle disposition affaiblit davantage l’attrait du statut d’agent public, déjà mis à mal par l’absence d’évolution salariale significative depuis plusieurs années.

Une mesure pénalisante et injuste pour les agents de catégorie C

Les agents de catégorie C, qui représentent plus de 75 % des effectifs de la fonction publique territoriale, sont particulièrement affectés par cette mesure. Ces agents, aux revenus modestes, verront leur pouvoir d’achat encore diminué en cas d’arrêt maladie, ce qui peut les placer dans des situations financières très précaires. Or, on ne choisit généralement pas d’être malade.
Qui plus est, ces agents sont nombreux à occuper des postes à forte pénibilité (et notamment dans le domaine social, en contact permanent avec les usagers), entraînant un plus grand risque d’usure professionnelle, et donc d’absentéisme, ce d’autant plus que l’âge de départ à la retraite a été repoussé. La comparaison entre les trois versants de la fonction publique trouve ainsi une limite, qui pourrait inviter à considérer différemment la situation des agents territoriaux.
En sus de la diminution du maintien de la rémunération des agents en congé maladie ordinaire, d’autres primes, basées sur le montant du traitement de base, seront également affectées, ce qui diminuera encore davantage leurs rémunérations, et pourra nécessiter des dispositifs d’accompagnement social par les collectivités locales : ainsi, les éventuelles économies réalisées sur la rémunération pourraient être annulées par des dépenses supplémentaires en matière de soutien social.

Par ailleurs, il est important de souligner que, dans une immense majorité des cas dans le secteur privé, les conventions collectives, voire même des décisions propres à chaque employeur, permettent le maintien intégral de la rémunération en cas d’arrêt maladie. L’interdiction faite aux employeurs par la loi de compenser cette perte de revenus crée donc une nouvelle inégalité avec le secteur privé, ce qui, là encore, nuit à l’attractivité de la fonction publique territoriale.

Une mesure très largement inefficace

Bien que cette réforme issue de la loi de finances pour 2025 ait été présentée comme ayant avant tout un enjeu économique, il est à noter que la logique serait de lier l’économie à la lutte contre l’absentéisme.
En effet, plusieurs causes peuvent aujourd’hui expliquer l’absentéisme en congé maladie ordinaire, sur lesquelles la mesure de réduction de la rémunération aura soit peu d’effets, soit même des effets négatifs.
L’arrêt de complaisance existe sans aucun doute. Mais ce phénomène reste une faible minorité sur le volume des arrêts de travail, et sur lequel la mesure aura au mieux un léger impact de diminution de l’absentéisme. Du reste, ces arrêts de complaisance sont de la responsabilité de médecins peu scrupuleux, dont il est de la responsabilité des ordres professionnels et du système de l’assurance-maladie de mieux repérer et contrôler.
La mesure pourrait même avoir un effet négatif concernant les arrêts maladie survenant à la suite d’un état qui le nécessite ponctuellement (exemples : grippe, gastro…) et pour lesquels le risque de contagion sera plus grand si l’agent vient au travail avec ce foyer infectieux plutôt que de demander un arrêt de travail, avec un risque subséquent de rupture de service public.
Enfin, la mesure s’appliquera aux arrêts courts liés à l’usure professionnelle et aux risques psychosociaux, qui sont les plus nombreux, et pour lesquels il apparaît nettement préférable de développer des axes de travail pour accompagner les agents, travailler sur le maintien dans l’emploi et ainsi diminuer l’absentéisme.

Une économie marginale et de nouvelles difficultés administratives

Si l’objectif affiché de cette mesure est une réduction des dépenses publiques, son impact financier pour les collectivités sera faible, probablement bien moins que les 300 millions d’euros affichés par le gouvernement pour la seule fonction publique territoriale. Elle risque d‘ailleurs d’être annulée par le recours croissant au mi-temps thérapeutique, que nous constatons déjà sur le terrain, et qui permet aux agents de conserver l’intégralité de leur traitement.
Plus encore, la nécessité d’édicter un arrêté spécifique de mise en congé de maladie ordinaire pour chaque agent considéré (pièce exigée par le comptable public lorsque la rémunération est modifiée), de le faire signer et de le transmettre au comptable public emportera des surcoûts administratifs. Cela complexifiera donc cette lourdeur administrative que regrettent déjà vivement l’ensemble des employeurs territoriaux.

Reconnaissance et soutien de l’ensemble des agents

Face à ces constats, les employeurs locaux, consultés au sein du Conseil commun de la fonction publique, se sont prononcés en février contre les projets de texte mettant cette mesure en application.
En outre, les employeurs territoriaux ont estimé qu’en application du principe de libre administration des collectivités territoriales, les employeurs publics qui souhaitent rester à 100 % de traitement pour les trois premiers mois de l’arrêt maladie puissent le faire par délibération, ce qui a été refusé par le gouvernement et le Parlement. Ce droit d’option semble pourtant naturel en terme d’autonomie de gestion et, de surcroît, n’irait pas dans le sens d’une aggravation de la dépense publique, puisque les collectivités payaient jusqu’à présent les agents à 100 % pendant ces trois premiers mois d’arrêt de travail.
Plusieurs collectivités, dont la ville de Sceaux, ont pris ou prendront prochainement un vœu en ce sens. Ce vœu constitue également un signal fort de reconnaissance et de soutien à l’ensemble des agents publics territoriaux, comme une volonté de lutter contre les conséquences négatives sur l’attractivité de la fonction publique territoriale et la motivation des agents. Il signifie aussi l’expression de notre conviction que l’investissement dans le bien-être, la qualité de vie au travail et la reconnaissance des agents contribue bien davantage à diminuer l’absentéisme et à améliorer la qualité du service public rendu aux usagers que la mesure brutale, injuste et inefficace que le pouvoir central, aveuglé par le court-termisme, veut nous faire appliquer.

Philippe Laurent, Maire de Sceaux et Président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT)

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