En pleine discussion à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic », les élus des grandes villes ont débattu mardi 18 mars 2025 de cette « matrice d’une part majeure de la délinquance », selon Johanna Rolland, présidente de l’association France urbaine et maire PS de Nantes, qui soutient le texte sans réserve dans son esprit initial.
« Le trafic gangrène des quartiers entiers de grandes villes mais dorénavant aussi les villes moyennes et les petites communes », a-t-elle rappelé, soulignant que les maires « n’ont pas à proprement parler de prérogatives » en la matière, sans évoquer l’armement des policiers municipaux.
C’est vrai notamment de la lutte contre les petits commerces qui servent de façade au blanchiment d’argent issu de la drogue, phénomène contre lequel la proposition de loi prévoit des fermetures temporaires à l’initiative des préfets.
Dans une tribune publiée mercredi 19 mars dans Le Point, 250 maires de villes moyennes ont également appelé « solennellement » les parlementaires à voter le texte.
« Il en va de la sécurité de nos villes, du respect de l’État de droit et de l’avenir de la France », écrivent ces élus dont Gil Averous, président de l’association des villes moyennes, qui disent ne pas pouvoir se « résigner à voir des parties de [leurs] territoires se transformer en zones de non-droit ».
Face à l’ampleur du narcotrafic, France urbaine avait appelé en septembre 2023 à un « plan de lutte national et européen ».
« Il y a une menace d’une très grande gravité, mais une asymétrie de moyens. L’État se défend avec des pistolets à eau contre des gens qui sont à l’âge du satellite », a reconnu le sénateur PS Jérôme Durain, co-auteur de la proposition de loi.
Modèle en panne
Alors qu’il y a « un très fort enjeu sur la capacité de l’État à assurer la sécurité de tous », les questions de sécurité retomberont pourtant selon lui « dans l’escarcelle municipale » à l’occasion des élections de 2026, obligeant les maires à « justifier des choses qui ne leur appartiennent pas ».
Avec un chiffre d’affaires issu de la drogue évalué entre 3,5 et 6 milliards d’euros par an, le risque de corruption ne se limite par ailleurs plus seulement à « quelques maillons du bas de la chaîne administrative », a par ailleurs observé le sénateur LR Étienne Blanc, co-auteur du texte de loi.
« Ce qui nous a frappés, c’est que les entreprises de narcotrafic sont devenues aussi complexes que Lidl ou Carrefour » avec des chefs d’entreprises présents « sur l’ensemble de la planète » et des « moyens techniques exceptionnels », a-t-il ajouté, relevant que les narcotrafiquants font « fabriquer des sous-marins guidés par satellite ».
Devant tant de sophistication, les maires s’avouent souvent démunis. C’est le cas aux Antilles, par où transite plus de la moitié de la cocaïne saisie en métropole.
« On assiste à une très forte poussée des violences liées au narcotrafic en Martinique avec une augmentation exponentielle d’armes à feu et une criminalité de plus en plus organisée », a déploré Didier Laguerre, maire PPM de Fort-de-France.
À Rennes, également confrontée à une vague de violences inédite, la maire PS Nathalie Appéré avait déclaré en décembre que « malheureusement, les maires n’ont pas la capacité d’arrêter des trafiquants ».
Répondant aux critiques sur l’absence d’armement létal des policiers municipaux, l’édile avait expliqué que « ce n’est pas à l’échelle d’une ville que l’on peut démanteler des filières internationales ».
Pour David Marti, maire PS du Creusot (Saône-et-Loire), la lutte contre le narcotrafic nécessite aussi des « moyens ambitieux sur la prévention et la santé », autres prérogatives de l’État.
Après trente ans de politiques répressives, force est de constater que « le modèle français ne fonctionne pas », a reconnu la sociologue Marie Jauffret-Roustide, l’Hexagone étant « l’un des plus gros pays consommateurs de cannabis en Europe ».
Or, la littérature scientifique montre selon elle que « des modèles de légalisation du cannabis, quand ils sont très régulés d’un point de vue étatique, ou des modèles de dépénalisation de l’usage, ont des effets tout à fait intéressants sur la prévention et la lutte contre le narcotrafic ».
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