La protection de l’enfance « qui hier était à bout de souffle » est « aujourd’hui dans le gouffre », alerte dans son rapport final publié mardi 8 avril 2025 la commission d’enquête de l’Assemblée nationale lancée au printemps 2024, quelques mois après le suicide de Lily, une adolescente de 15 ans placée dans un hôtel. « Il ne s’agit plus seulement de constater mais d’agir vite », ajoute-t-elle.
Selon le dernier bilan officiel, 396 900 jeunes sont suivis par la protection de l’enfance en France, compétence des départements depuis les années 80. Mais sur le terrain, la dynamique s’enraye : les mesures de protection sont en hausse de 44 % depuis 1998 quand le nombre de personnels sur le terrain est lui en « baisse constante » sur la dernière décennie. Résultat, souligne la commission parlementaire, les enfants sont accueillis en « sureffectif », des mesures de placement ne sont pas exécutées faute de place suffisante et les professionnels sont « en perte de sens ».
Pour « sortir de la crise », la commission préconise d’« adopter une loi de programmation » et de mettre en place un « nouveau fonds de financement » de la protection de l’enfance.
Face à des demandes de placement en déshérence, la commission recommande également d’« augmenter le nombre de juges et de greffiers » pour permettre un suivi efficace. Elle appelle par ailleurs à créer « une commission de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitance dans les institutions » et à renforcer le nombre de contrôles, « à raison d’au moins une inspection tous les deux ans » pour les établissements et les assistants familiaux.
Écartant l’option d’« une recentralisation », elle recommande plutôt de mettre sur pied sans délai « un comité de pilotage » réunissant État, départements et associations à même de relancer une stratégie ministérielle.
« Scandale d’État »
« Les rapports ne peuvent plus se permettre de prendre la poussière, on est face à une urgence absolue », déclare à l’AFP la rapporteure de la commission, la députée socialiste Isabelle Santiago. « On est sur un enjeu de santé publique, on impacte le devenir de centaines de milliers d’enfants », ajoute-t-elle, évoquant les conséquences « dramatiques » de la situation sur la santé physique et mentale des jeunes ainsi que sur leurs parcours scolaires. « C’est un scandale d’État, il faut passer à l’action maintenant. »
S’exprimant avant la publication du rapport, la ministre des Familles, Catherine Vautrin, a présenté dimanche 6 avril 2025 des pistes pour améliorer la protection de l’enfance (prévention, réflexion sur l’adoption, santé…), mais sans s’avancer sur les moyens financiers, admettant une situation budgétaire « difficile ». Elle a notamment évoqué des mesures pour mieux prévenir le placement des enfants, aider les assistants familiaux ou mieux suivre la santé des jeunes placés.
Ce sont « des premiers pas » mais « on ne dit pas comment, où et avec quel budget », a déploré Isabelle Santiago mardi 8 avril lors d’une conférence de presse.
Avant la commission d’enquête, des dizaines de rapports (Cour des comptes, Conseil économique, social et environnemental, Défenseure des droits…) et d’alertes (Unicef, syndicat magistrature, associations…) se sont succédé ces dernières années.
Tout en reconnaissant les défaillances du système actuel, gouvernement et départements se renvoient régulièrement la balle, les seconds estimant ne plus être en mesure de remplir leur mission compte tenu des coupes budgétaires et du nombre croissant de mineurs étrangers non accompagnés.
Brandissant des pancartes, une dizaine d’anciens enfants placés se sont réunis mardi 8 avril près de l’Assemblée nationale pour appeler l’État à reconnaître « ses défaillances » et à agir sans délai. « L’urgence est d’apporter une bonne fois pour toutes du crédit aux rapports », estime Déborah, ex-enfant de l’ASE et travailleuse sociale. « On est dans la répétition de constats accablants et pendant ce temps-là, quel avenir pour ces enfants ? »
Face aux « promesses non tenues », un appel à la mobilisation nationale pour le 15 mai 2025 a par ailleurs été lancé par le « collectif des 400 000 » qui réunit une soixantaine d’associations et de fédérations.
Copyright © AFP ; « Tous droits de reproduction et de représentation réservés ». © Agence France-Presse 2025