Est-ce actuellement aisé de mettre en œuvre une politique favorisant l’achat public durable ?
Cela dépend de quel côté on se place, celui du donneur d’ordre « politique » ou celui chargé de la mise en œuvre de ses directives. Par exemple, au sein d’une commune, un maire pourra fort légitiment axer une partie du programme de son mandat sur des actions et décisions vertueuses en termes de protection de l’environnement, contenant par exemple des objectifs chiffrés de réduction de CO2. Et ce sera donc son équipe, son responsable des achats notamment, qui devra traduire de tels objectifs au sein de l’action publique communale. Cela pourra s’avérer sinon aisé du moins faisable si les équipes en cause disposent de suffisamment de moyens, avant tout humains, pour le faire avec efficacité. Cela le sera évidemment moins dans le cas contraire, sachant que la mise en œuvre d’une telle politique, d’achats verts par exemple, concerne toute une chaîne d’étapes, du sourcing au suivi de l’exécution des contrats en passant par leur rédaction.
On peut d’ailleurs s’interroger sur ce caractère « aisé » – ou non – pour les acheteurs publics… sachant que les obligations de la loi Climat et résilience d’août 2021 approchent à grands pas, les dernières statistiques montrent que moins de la moitié en moyenne des acheteurs que ce soit de l’État ou des autres structures publiques et para publiques utilisent à ce jour des critères ou conditions d’exécution relatifs à la protection de l’environnement…
Sur quels outils et dispositifs les acheteurs peuvent-ils s’appuyer ? Sont-ils suffisants ?
Ils peuvent utiliser et des critères et des conditions d’exécution. Les critères peuvent porter sur différents aspects en fonction de l’objet de l’achat en cause. S’agissant par exemple de l’achat de denrées alimentaires, et au-delà du critère spécifique de l’approvisionnement direct de produits de l’agriculture, les critères pourront porter sur la qualité et la fraîcheur des produits, leurs délais et modalités d’acheminement et de livraison, mais aussi sur la politique menée par les candidats en matière de RSE et notamment d’emploi de personnes au chômage…
Il conviendra dans chaque cas de bien travailler la pondération de ces critères et le cas échéant des sous-critères associés, pondération qui devra être modérée et proportionnée en fonction à nouveau de l’objet du marché. Par exemple, toujours dans un marché de denrées alimentaires, un critère délai et modalités de livraison des produits pondéré à 30 voire même 20 % pourra apparaître trop important au regard des autres critères.
S’agissant des conditions d’exécution, la logique est différente : il s’agit d’engagements à prendre de la part des candidats et donc des attributaires des marchés, engagements qui devront par conséquent faire l’objet de vérifications voire de sanctions de la part des acheteurs.
Là encore, il convient de limiter le contenu et l’impact de telles conditions, sous peine de faire fuir les candidats et de rendre les procédures en cause infructueuses.
Comment évaluer et comparer les offres des soumissionnaires sur ces aspects de développement durable ?
Il s’agit là d’un exercice délicat, qui revient à trouver un équilibre entre critères et conditions d’exécution environnementaux et traitement égalitaire des candidats. Il convient notamment, en les modérant donc en termes de pondération, de ne pas favoriser tel ou tel opérateur au travers de tels critères et/ou conditions d’exécution. Par exemple, des critères délais de livraison ou produits directement issus de l’agriculture fortement pondérés favoriseront évidemment les producteurs locaux au détriment des autres.
Comment contrôler efficacement que les prestataires des acheteurs publics respectent leurs engagements en matière de conditions environnementales et sociales ?
On touche là au « contract management », et donc au contrôle de l’exécution des contrats par les acheteurs. S’il se développe de façon exponentielle, le contract management dans l’achat public est encore très éloigné de ce que l’on trouve au sein des opérateurs privés. Mais sans un vrai contrôle, qu’il soit interne à la structure publique ou externalisé, les conditions d’exécution environnementales et sociales dans les marchés publics – et les concessions – resteront lettre morte.
Notamment, tout en adoptant en la matière des politiques de plafonnement et de contradictoire, les acheteurs ne doivent pas hésiter à sanctionner via des pénalités adaptées les opérateurs qui ne jouent pas le jeu et ne remplissent pas leurs obligations s’agissant de ces conditions.
Comment les acheteurs publics peuvent-ils envisager des propositions innovantes dans le domaine du développement durable ?
Comme dans d’autres domaines, l’innovation peut être un vecteur de portage intéressant en faveur du développement durable… les idées des opérateurs spécialisés, que ce soit en fournitures, travaux ou services, pouvant se révéler particulièrement adaptées aux attentes des acheteurs. Sachant que l’innovation peut être en soi, parmi d’autres, un critère de choix, les voies de l’innovation dans l’achat public sont nombreuses, des variantes aux achats de moins de 100 000 euros en passant par le fameux mais encore peu utilisé partenariat d’innovation.
Quelles sont les bonnes pratiques pour communiquer et sensibiliser les fournisseurs aux enjeux de durabilité ?
La meilleure des choses consiste en effet à communiquer et échanger entre acheteurs et opérateurs afin d’une rencontre optimale entre l’offre et la demande. C’est là qu’un sourcing efficace et bien cadré peut s’avérer fort utile. Rencontres dans le cadre de salons professionnels, rédaction et diffusion neutres de modèles de CCAP et de règlements de consultation, organisation de journées achat public avec des speed datings entre acteurs publics et privés… à chacun d’organiser le sourcing qui lui convient, le tout bien évidemment dans le respect des grands principes de la commande publique… mais sans nécessairement craindre de commettre un délit de favoritisme lors de chaque contact avec un fournisseur potentiel.
Jérémy Paradis, Rédacteur en chef de WEKA Le Mag