Jérôme Grolleau, sociologue : “Il faut ouvrir la période de préparation au reclassement aux agents qui sont exposés à des risques d’inaptitude”

Publiée aujourd'hui à 10h00 - par

Les agents reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions bénéficient d'un dispositif d'accompagnement spécifique, la période de préparation au reclassement (PPR). D'une durée maximale d'un an, ce dispositif vise à les accompagner dans une transition professionnelle, jusqu'à leur reclassement : formations, stages d'immersion, entretiens avec des psychologues du travail... Entretien avec Jérôme Grolleau, sociologue.
Jérôme Grolleau, sociologue : “Il faut ouvrir la période de préparation au reclassement aux agents qui sont exposés à des risques d'inaptitude”

En pratique, la démarche s’avère souvent complexe à appliquer, avec des succès mitigés et un coût important pour les collectivités, précise l’Observatoire MNT dans une étude publiée fin novembre 2024 : « Le reclassement, vers une nouvelle culture ? » Son auteur, le sociologue Jérôme Grolleau, décrypte pour WEKA les pistes d’amélioration du dispositif de préparation au reclassement (PPR).

Quel regard portez-vous sur le dispositif de préparation au reclassement actuel ?

On ne prend pas suffisamment en compte ce qu’il se passe avant. Le processus d’inaptitude-reclassement s’étale souvent sur des années avant d’en arriver à la déclaration d’inaptitude proprement dite. Cette période intense est extrêmement dangereuse pour la personne, qui subit à la fois la maladie et l’arrêt de travail. Ce couplage produit des effets à long terme très profonds. La maladie vous altère personnellement, elle réduit vos capacités non seulement professionnelles mais aussi personnelles. Sans compter l’incapacité à se projeter, notamment sur l’évolution de la maladie et la possibilité de retrouver un boulot. L’avenir devient alors un immense point d’interrogation. L’agent subit la situation, et ce sont les instances administratives et médicales qui décident de sa vie. S’y ajoute un isolement social car, en ne travaillant pas, son quotidien n’est plus rythmé ; en quelque sorte, ce quotidien se délite. Cette période crée une pente glissante, une menace d’effondrement, une chute. Toutes les personnes que j’ai interviewées, du cadre A+ dirigeant à l’agent de catégorie C, utilisent les mêmes mots. Même si la pente est variable, bien sûr, selon les parcours et la maladie.

Quelle est, selon vous, l’efficacité de ce dispositif ?

Lorsque l’on évalue la réussite d’un dispositif qui récupère des gens qui sont déjà dans un état de fragilisation extrême, avec des dégâts qui peuvent être importants, c’est normal qu’il y ait des échecs. Avoir des résultats chiffrés est très compliqué… Selon les informations que j’ai pu obtenir, environ la moitié des périodes de préparation au reclassement peuvent être estimées comme réussies — tout au moins, les agents ont retrouvé un poste. Toutefois, cela nécessiterait un examen plus approfondi, sachant qu’ensuite la période d’intégration est longue, elle aussi, et qu’il peut y avoir des rechutes. Ce qui est intéressant pour les agents dans le dispositif actuel, c’est qu’ils ont enfin quelqu’un qui les écoute vraiment, à qui ils peuvent faire part de leurs désirs, de leurs aspirations, ce qui les aide à se confronter ensuite à la réalité. Car, s’il n’y a pas de désir, je ne vois pas comment il peut y avoir de reconversion possible. Au sein des collectivités, le sujet du reclassement est traditionnel, mais il est surtout perçu comme un problème. On minimise son impact sur les gens : l’atteinte de soi extrême, l’atteinte de soi en tant qu’acteur social, extrême également, tout ça dans la durée.

Quelles seraient vos préconisations pour améliorer le dispositif ?

Il y a d’abord une question de temps. Le délai d’un an est assez contraint. Il faudrait l’assouplir car tout le monde ne chemine pas à la même vitesse et il y a des aléas, sur la recherche de stage d’immersion, par exemple ; selon le secteur et la région, trouver un stage peut être difficile. Alors que le dispositif se veut sur mesure, il doit l’être aussi sur le temps, car le cheminement est un processus : il ne s’accélère pas. Ensuite, il faut sécuriser l’intégration. Aujourd’hui, le dispositif d’accompagnement s’arrête au moment où l’agent est intégré dans un nouveau poste et c’est alors uniquement le manager qui gère la situation. C’est un peu brutal. Tout s’arrête même si, souvent, les psychologues entretiennent un lien de manière informelle. À mon avis, il faudrait un tiers pour suivre les relations entre l’agent, l’équipe et l’encadrement. Et pour aider les équipes d’accueil afin que l’intégration se passe bien. Elles peuvent être de bonne volonté, mais pour autant maladroites, aller trop vite sur ce qu’elles demandent à l’agent qui a vécu un parcours difficile et qui est fragile…

Vous dites qu’il faut aider les agents les plus exposés avant même qu’ils ne soient déclarés inaptes ?

Oui, je pense qu’on devrait ouvrir la période préparatoire au reclassement à ceux qui sont, non pas déclarés, mais exposés à des risques d’inaptitude. On connaît la quinzaine de métiers les plus exposés au risque psycho-social et aux trouble musculo-squelettiques, et le nombre d’années où le risque devient majeur. À ce titre, il vaudrait mieux l’appeler « période préparatoire à la reconversion », ce qui implique un parcours et du temps. Dans ce cas, la personne qui se reconvertit devient le sujet qui agit, elle n’est pas l’objet d’un « reclassement » – un terme d’un autre âge… Il faudrait anticiper sans attendre que la situation soit très dégradée. Pour ces métiers les plus exposés, il pourrait y avoir très tôt – dès qu’apparaissent des soucis médicaux – un signalement, un suivi, des temps partiels thérapeutiques… Il faut aussi organiser de vraies actions de prévention et non simplement une demi-journée de sensibilisation aux gestes et postures. La prévention doit donner à l’agent l’occasion de parler de l’organisation du travail, pour détecter les facteurs de risque, afin de voir ce qu’il est possible de changer. L’idée est de permettre aux gens d’agir sur leur milieu de travail pour qu’il soit moins usant. De nombreuses expériences existent aujourd’hui pour concilier maladie et travail. Le maintien au travail d’une personne malade, en particulier pour les maladies chroniques, les cancers, peut s’appuyer sur le dispositif congé longue maladie fractionné, qui permet de suivre des soins tout en continuant à exercer un métier. Un dispositif très ajustable : la personne peut ne pas travailler si elle ne se sent pas bien. Certaines personnes ont besoin de continuer à travailler, donc à vivre, pour aller mieux, même si ce n’est pas le cas de tout le monde.

Propos recueillis par Martine Courgnaud – Del Ry

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