Le 26 septembre 2024, 300 personnes étaient réunies à Cuers pour le premier salon Ville basse température l’été. Au programme, deux tables rondes, 20 exposants et des visites de site, avec l’idée de partager des points de vue et expériences sur l’adaptation au réchauffement climatique en milieu urbain. Parmi les invités, Clément Gaillard, urbaniste et designer dans le domaine de la conception bioclimatique, qui a accepté de répondre à nos questions.
Votre site s’ouvre sur la phrase « Je conçois avec le climat local pour nous adapter au changement climatique global ». Que voulez-vous dire ?
En France et dans le monde, il existe une diversité de climats locaux et une multitude de microclimats au sein d’une ville ou d’un village : par exemple, près des côtes, il y a des brises de mer qui n’existent pas dans les terres. Face au changement climatique, il n’est donc pas souhaitable de nationaliser des solutions sans tenir compte de cette diversité climatique. Parallèlement, je considère bien sûr que la lutte contre changement climatique global est nécessaire. Mais les résultats ne seront visibles que dans des dizaines d’années ! Or, au niveau local, on peut agir rapidement sur la transformation d’un microclimat. C’est pourquoi je pense que la ville est une bonne échelle pour s’adapter : les maires peuvent connaître leur climat, ses qualités et ses potentiels, les sols, comment l’eau s’infiltre.
Vous parlez aussi d’une culture de la chaleur et d’une culture climatique qu’il faudrait (re)développer.
En grossissant le trait, c’est au début du 20e siècle que l’architecture et l’urbanisme ont cessé de prendre en compte le climat, le sol, l’environnement : considérant que les ressources et l’énergie étaient illimitées, on construisait comme on voulait. Nous sommes encore dans cette logique : par exemple, certains architectes peuvent concevoir des projets à Avignon sans prendre en compte le mistral… Or, cette manière de penser a conduit à la perte d’un rapport au climat, au rythme des saisons. La plupart de nos métiers ne dépendent plus de la saison ou de la météo, et nous avons perdu la connaissance des microclimats – contrairement aux agriculteurs ou aux viticulteurs. Nous avons aussi perdu les modes de vie qui permettent de s’adapter à la chaleur : ouvrir ses fenêtres et fermer ses volets au bon moment, installer des brise-soleil sur les bâtiments…
La perte de cette culture climatique fait que nous avons un niveau assez bas de compréhension des climats. Or, pour s’adapter, il faut comprendre : quelles sont les qualités de notre climat ? Un vent régulier de même direction, une faible couverture nuageuse, ce sont par exemple des qualités et un potentiel climatique. J’insiste beaucoup sur cette notion de potentiel climatique : le vocabulaire, avec le mot de « lutte », me paraît parfois un peu déprimant… Alors que le climat peut aussi être une ressource pour nous adapter.
Pour vous, la première clef est donc la compréhension scientifique du climat auquel nous sommes soumis ?
Oui, mais par « science », je n’entends pas seulement « climatologie » : il y a aussi une composante de sciences humaines ! Le climat doit se comprendre par l’intermédiaire de graphiques et de données quantitatives, mais aussi par un aspect qualitatif : comprendre comment certains habitants se représentent les saisons, quel est leur rapport à la météo, leur comportement. Le mistral par exemple, il faut le vivre pour vraiment comprendre ce que c’est !
Face à tout ça, de quelles solutions disposent les villes, quel rôle peuvent-elles jouer ?
Elles ont un pouvoir extraordinaire. D’abord, un pouvoir d’impulsion : certaines villes prennent le sujet de l’adaptation au changement climatique à bras-le-corps et en font un projet politique. C’est le cas à Cuers, mais aussi dans d’autres villes comme Belleville-en-Beaujolais dans le Rhône. Elles disposent d’outils réglementaires : par exemple le PLU qui peut servir à imposer des coefficients de pleine terre, des plantations, des orientations, etc. Mais l’essentiel est surtout de se poser les bonnes questions. Car rafraîchir une ville peut passer par plein de solutions : créer des points de fraîcheur en journée, ou rafraîchir plus globalement, planter massivement… Or, certaines solutions sur un territoire ne sont pas bonnes sur un autre. D’autres, comme les chaussées peintes en blanc qui ont été appliquées dans plusieurs villes, s’avèrent finalement peu efficaces en termes de rafraîchissement, et inconfortables pour le piéton.
Au niveau local, il faut démêler ces enjeux et mettre en place une démarche cohérente. Pour ça, il faut aussi monter en compétences, partager des expériences… Cela passe aussi par la possibilité de se tromper – surtout dans ce domaine assez nouveau. Il faut que les villes trouvent un équilibre entre réalité de terrain et innovation.
Que diriez-vous à un élu pour le motiver à se lancer dans le rafraîchissement de sa ville ?
Qu’on soit de droite ou de gauche, le réchauffement est là. On peut discuter de la vitesse de ce changement, mais ça va se réchauffer. Et ça va tout bouleverser. D’une certaine manière, c’est positif : nous allons avoir de nouveaux défis, cela met en mouvement et invite à changer nos pratiques. C’est violent, mais ça fait partie du jeu.
Dans ce contexte, traiter du rafraîchissement des villes, c’est d’abord améliorer le bien-être des administrés. Mais c’est aussi prendre en compte leur santé, leur vieillissement… On sait par exemple qu’aux États-Unis, le taux de suicide augmente pendant les périodes de chaleur. Et surtout, c’est aussi une opportunité d’un point de vue patrimonial et d’identité de territoire : ce sujet peut recréer une culture ou une identité locale qui ont été malmenées par la standardisation de l’architecture. Avec la question du rafraîchissement, on peut donc faire converger quantité d’éléments d’attractivité des territoires et de marketing territorial. Ce n’est pas un sujet isolé.
Propos recueillis par Julie Desbiolles