Quelles sont les raisons ou les circonstances qui font que vous êtes aujourd’hui DGS de Saint-Denis ?
Un projet passionnant, celui de la transformation d’une ville, la troisième d’Île-de-France, et surtout une ville emblématique des banlieues qui constitue sans hésiter la raison majeure. Une transformation à l’aune d’un basculement électoral qui s’est produit à l’été 2020 avec l’élection de Mathieu Hanotin et qui porte un projet ambitieux, mais très pragmatique, d’une ville équilibrée, solidaire, résiliente, émancipatrice. Une transformation aussi avec l’accueil des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) qui va de pair avec un projet urbain de grande envergure, lié à la fois aux livraisons des infrastructures des JOP, mais aussi à la transformation de l’image de la ville.
Les circonstances sont intimement liées à mon parcours. Il est fait d’engagement au service des politiques publiques, mais aussi d’une bonne connaissance du territoire puisque je suis originaire d’une ville limitrophe, Épinay-sur-Seine, qui a été mon terrain de thèse de doctorat en sciences politiques. Cela a été le cas aussi quand j’ai décidé, après des années dans l’enseignement supérieur et la formation, de rejoindre les collectivités territoriales, à la fois dans le champ des politiques publiques et dans celles de l’éducation et des services à la population. C’est en Seine-Saint-Denis, d’abord au Conseil départemental, que j’ai eu envie de travailler. Il s’agit d’un territoire et d’une population qui combinent une immensité de besoins et une énergie sans égale, avec des élus volontaristes et des dynamiques locales exceptionnelles. Pour exercer des missions de service public, c’est le plus beau des territoires.
Quand Mathieu Hanotin, devenu maire de Saint-Denis, m’a permis de devenir directrice générale des services de la ville, ce fut l’occasion exceptionnelle d’occuper à la fois un poste stratégique et opérationnel, de conduire des politiques publiques tout en réformant l’administration.
Ce fut aussi l’occasion de participer à un projet de ville auquel je croyais profondément. Celui d’une ville équilibrée et au-delà du slogan de campagne, de porter haut des valeurs d’égalité, d’équité et de transparence. L’occasion, enfin, de travailler pour Mathieu Hanotin, dont je connaissais les valeurs et la confiance qu’il accorderait à la direction générale pour porter avec efficacité et énergie les réformes.
Mathieu Hanotin et vous-même avez pris vos postes à la ville en même temps. Sur quoi se fonde cette expérience réciproque ?
Elle se fonde sur plusieurs années de collaboration au Conseil départemental, puisqu’il avait été mon vice-président sur deux de mes fonctions, l’éducation puis les sports. De cette collaboration sont nées une confiance réciproque et une certitude que nous savions travailler ensemble efficacement et en franchise.
Connaître déjà nos modes de fonctionnement, en termes de prise de décision et de posture managériale, nous a permis de gagner plusieurs mois, de mettre tout de suite sur les rails la mise en œuvre du programme, et de la transformation de l’administration…, ces premiers mois si cruciaux d’un début de mandat. Et particulièrement à un moment cumulant un basculement municipal de grande ampleur, déstabilisant pour l’administration, et une période de pandémie. Dans ce contexte très particulier, nous avons réussi à poser à l’agenda dès le mois de septembre les principales réformes qui nous ont permis d’avoir à la fois un rapport d’orientation sur la police municipale et les grandes réformes RH.
Comme souvent dans ces périodes, certains DGA ont exprimé le désir de rester et d’autres d’aller vers d’autres horizons professionnels. Et j’ai pu très vite, comme le souhaitait le maire, reconstituer toute une équipe de direction générale.
Quels sont les atouts de Saint-Denis pour accueillir les JOP alors qu’elle n’est précisément pas identifiée comme une ville d’accueil, mais plus de passage, voire de relégation pour certains ?
Je ne sais vous dire s’il s’agit d’une fausse ou d’une vraie image. C’est plus l’une des expressions souvent reprises d’être « la ville monde qui accueille le monde » que je retiens. Quoi de plus symbolique que cette ville faite de mixité, de vagues successives de migrations, où l’on parle toutes les langues du monde, puisse être accueillante pour l’événement qui lui-même accueille l’intégralité des pays du monde et porte les valeurs de paix et d’universalité ?
Au-delà, les grands atouts de Saint-Denis sont à la fois ses équipements et ses transports, ceux qui existaient déjà et ceux qui sont livrés avec les JOP. Sa proximité de Paris, sa desserte et la réalité de ses équipements font d’elle la ville du Stade de France et du centre aquatique olympique. À cela s’ajoute notre capacité à accueillir de grands événements.
Reconnaissons que nous avons su démontrer depuis des années, et particulièrement l’année dernière avec la Coupe du monde de rugby, la capacité de la ville et de Plaine Commune d’organiser un accueil des spectateurs et des touristes par une sécurisation de l’espace public, une qualité des événements et des animations, ou une qualité des fan-zones. Il faut aussi citer la qualité de la relation partenariale que nous avons su construire avec les organisateurs des grands événements sportifs, en particulier aujourd’hui avec Paris 2024 et bien sûr avec l’État, qui tous participent de notre légitimité à porter ces enjeux et la qualité de l’accueil.
Le dernier atout est la fierté de la population d’accueillir ces grands événements et de participer à cette fête. Les associations et les commerçants se montrent très soucieux de montrer cette image positive de la ville.
Comment un tel événement impacte-t-il l’organisation de l’administration que vous dirigez ?
Cela change avant tout la temporalité d’un mandat, puisque le maire avait posé dès le départ que si un mandat électoral dure six ans, nous avions une exigence, celle d’être prêts pour 2024, voire pour septembre 2023, parce qu’il existait une continuité entre la Coupe du monde de rugby et les JOP. Ce qui voulait dire que 2024 serait l’année d’accueil des JOP et donc plus une année de réforme et de transformation de l’administration. Il allait falloir conduire des réformes structurelles RH, d’organisation, de mode d’exercice du service public. Nous savions que le dernier budget de réforme serait celui de l’année 2023.
En d’autres termes, nous devions avoir organisé nos services pour que l’organisation événementielle soit la plus fluide et la plus efficace possible. Il nous a fallu structurer une direction en charge des grands événements couvrant à la fois la conception des fan-zones, la relation partenariale et la logistique événementielle du quotidien, en lui dédiant des moyens RH et financiers.
Quel a été votre plan de mobilisation ?
Au-delà de cette organisation, il fallait mettre en mouvement l’administration autour de la mobilisation sur les JOP. Nous avons ainsi adopté dès 2021 un plan de mobilisation, réactualisé à la fin de l’année 2023 dans une forme de feuille de route de 2024, pour que l’administration soit prête à le porter dans toutes ses dimensions. Ce furent des chantiers, sur lesquels nous n’avions pas le droit à l’erreur en termes de délais de livraison : le stade annexe, stade d’échauffement du Stade de France, et le parc des sports Delaune, qui sera l’un des principaux stades d’entraînement de France, tous deux rénovés en maîtrise d’ouvrage de la ville.
Ce sont aussi tous les enjeux d’apaisement de l’espace public dans le cadre du programme d’une ville équilibrée, avec une montée en puissance de la police municipale. Si elle venait répondre aux besoins quotidiens des habitants, elle s’inscrivait aussi dans ce contexte des JOP, notamment pour construire un continuum de sécurité avec l’État. Cela va de pair avec une volonté de livrer un hôtel de police municipale avec un centre de supervision urbaine complètement rénové, livré en juin 2024.
Cela nous a donc obligés à conduire des réformes plus rapidement et à réaliser des projets dans une temporalité qui n’aurait pas été possible dans le cycle d’un mandat » normal ». Objectivement, ce fut un rythme soutenu, demandant une très forte mobilisation de l’encadrement.
Quelle a été la place du dialogue social pendant toute cette période ?
Il a été forcément vif, et cela pour deux raisons. D’une part, parce que nous avons mis beaucoup de réformes à l’agenda en même temps du fait de cette temporalité réduite du mandat. Et, d’autre part, parce que la ville avait beaucoup de retard et de nombreux dossiers étaient dans les cartons administrativement, mais sans être traduits politiquement. Nous devions appliquer les 1 607 heures et ce n’était pas encore le cas. Il n’y avait pas de RIFSEEP et nous devions effectivement l’appliquer. Il y avait donc une urgence à agir, légale et réglementaire, mais aussi une urgence politique.
J’ajoute à cela un changement important dans la modalité de gestion. Très vite, le principe de délégation des élus à l’administration et, en particulier, à la direction générale sur le fonctionnement de l’administration, a été clairement posé et notamment sur les RH. Aux élus, la définition de la stratégie et des objectifs à l’administration, à la direction générale, la gestion du personnel dans sa quotidienneté.
Cela a été une vraie rupture de fonctionnement et de culture par rapport à ce qui prévalait auparavant dans la collectivité, pour les agents, mais aussi pour les organisations syndicales. Le dialogue social a donc pu être difficile et vif, et cela également lorsqu’il y a eu des réformes d’ampleur, des externalisations du ménage ou de l’entretien dans les écoles élémentaires par exemple. Mais ce dialogue social s’est toujours poursuivi avec des instances qui se sont tenues et une confiance qui se construit.
Quel impact sur les politiques publiques, et particulièrement sur le sport ?
Il concerne, en effet, avant tout le sport, mais dans une logique d’avoir une direction des sports forte dans le portage de la stratégie, la gestion des équipements et la relation avec les partenaires. Le sport vient aussi irriguer chacune des autres politiques publiques. À titre d’exemple, sur le savoir rouler, on travaille bien sûr sur la pratique cyclable, mais aussi sur l’autonomie, la santé, la mobilité et l’amélioration de l’espace public.
Notre politique sportive cible également les publics plus éloignés avec la Maison des seniors et les maisons de quartier dans le cadre de sorties famille. Nous avons ainsi organisé les Olympiades de la solidarité, où des personnes en situation d’errance se retrouvent ensemble dans le cadre de compétitions sportives. C’est aussi un développement conséquent du savoir nager, pour que les livraisons de lignes d’eau soient suivies d’un changement de pratiques.
Il s’agit encore d’assumer un regard lucide sur ce que sont les grands événements, avec notamment un engagement sur la lutte contre la prostitution dans ces manifestations. Pendant la Coupe du monde de rugby, nous avons fait toute une campagne d’information et de sensibilisation sur la pratique prostitutionnelle. En prenant à bras le corps ce sujet, il s’agissait d’avoir un regard à la fois positif, impatient et joyeux sur ces grands événements, mais aussi lucide sur leur face plus sombre.
Vous avez également un projet important de commune nouvelle. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le maire, dans ses ambitions transformatrices du territoire, a souhaité porter celle de la création d’une commune nouvelle avec la ville limitrophe de Pierrefitte-sur-Seine. C’est un projet politique qu’il a fallu traduire administrativement. Annoncé au printemps 2023 pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2025, ce projet signifie 18 mois à un rythme extrêmement intense et productif pour construire une nouvelle entité qui viendra suppléer nos deux communes.
Il s’agit d’une construction administrative particulièrement importante qui remet à plat l’intégralité des politiques publiques, mais aussi des enjeux de fiscalité, de construction de la masse salariale, de construction budgétaire et de construction de l’organigramme. Les agents, et en particulier l’encadrement, sont forcément très interrogatifs sur leur positionnement dans l’organigramme. Tout cela nécessite donc un fort accompagnement du changement.
Après les JOP, il s’agira de la suite logique des premières années du mandat en termes d’ambition et de transformation. Une transformation qui se poursuivra à une échelle différente par une augmentation de la légitimité d’agir en devenant la deuxième ville d’Île-de-France après Paris, incontournable dans le paysage institutionnel.
Vous faites partie des (trop) rares femmes DGS de grandes collectivités. Quel message faire passer aux femmes qui peut-être n’osent pas ?
Nous sommes heureusement un peu moins rares qu’avant, une bascule s’est faite à l’aune des élections de 2020, comme par exemple à Montreuil. Même si le chemin est encore long, une femme qui a envie d’aller s’inscrire dans le programme Talentueuses ou qui s’engage à rejoindre Dirigeantes et Territoires se sent aujourd’hui plus légitime à le faire. Parce que nous sommes plus nombreuses et qu’un écosystème et une dynamique extrêmement positive se sont créés. Il faut continuer d’oser !
Quand je suis devenue DGS de Saint-Denis, une chose m’a profondément surprise. On m’a fait d’autres propositions dont je suis sûre qu’elles n’auraient pas eu lieu trois semaines avant. Comme si le fait de devenir DGS me rendait plus légitime. Et comme si, quand on a commencé à briser le plafond, on le brise définitivement.
Le fait que je sois une femme DGS était source de fierté pour le maire et l’exécutif, et je crois pour beaucoup d’agentes, mais cela n’a pas réellement été un sujet. D’ailleurs, ça m’a étonnée de n’entendre ni des « elle est courageuse pour une femme », avec une fausse bienveillance, ou « elle peut être dure, même si c’est une femme ». En tous cas, cela n’a jamais été dit publiquement.
Bien sûr, une femme est particulièrement attendue sur sa posture managériale et son rapport aux autres. On accorde beaucoup plus de place à l’intelligence émotionnelle, je ne dis pas que cela favorise la place des femmes, mais cela libère la parole sur les différentes postures managériales et manières d’exercer son management. Ce qui me paraît primordial est de conserver son identité et son caractère, et de construire son équilibre de vie comme on le souhaite. Au-delà, il faut oser candidater sur des postes.
Propos recueillis par Hugues Perinel