Deux points essentiels relatifs à la mise en œuvre de cette réforme ont été récemment évoqués par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) à savoir le maintien du dispositif spécifique de gratuité des soins (1) et la mise en place d’une couverture « unique » au niveau national (2).
1. Vers un maintien du dispositif des soins gratuits ?
L’« abstention du pouvoir réglementaire », dans la mise en œuvre, en 20072, des premiers dispositifs de protection sociale complémentaire (PSC), a notamment été justifiée par l’existence, dans le versant hospitalier, du dispositif de gratuité des soins qui est « financé par l’employeur et [qui prend] en charge une partie des besoins relevant habituellement de la PSC »3.
À date, la DGOS envisage de maintenir ce dispositif, dans le cadre des futurs régimes de « frais de santé »4. bien que ce « dispositif de soins gratuits est de moins en moins et très inégalement appliqué » et que les agents « recourent largement à l’assurance complémentaire »5.
Pour mémoire, ce dispositif permet aux fonctionnaires hospitaliers mais aussi aux praticiens hospitaliers6, de bénéficier, dans l’établissement où ils sont en activité, de la gratuité des soins médicaux et des produits pharmaceutiques7, mais également de la prise en charge pendant une durée de six mois des frais d’hospitalisation non remboursés par les organismes de sécurité sociale8.
Mais, en cas de maintien, des aménagements seraient-ils nécessaires pour le rendre efficient9 ?
En effet, ce dispositif est restrictif dans son champ d’application et dans le niveau de couverture proposé. Dès lors, plusieurs questions se posent : sera-t-il étendu aux contractuels de droit public qui n’en bénéficient pas ? Ou, entrainera-t-il la mise en place de régimes catégoriels au bénéfice des fonctionnaires hospitaliers, et des contractuels de droit public ? Or, il est utile de rappeler que dans plusieurs décisions relativement récentes, le Conseil d’État a jugé, au sujet de l’application du principe d’égalité entre fonctionnaires et agents contractuels, que si celui-ci « ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général », « la différence de traitement [doit être] en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne [doit] pas [être] manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier (…) »10.
Enfin, le maintien de ce dispositif conduira vraisemblablement à la mise en place de niveau de couvertures complémentaires « frais de santé » différents selon la situation des agents.
2. Vers une « désignation » des organismes assureurs au niveau national ?
La DGOS a également donné quelques éléments de réponse concernant les modalités concrètes de mise en place des futurs dispositifs « frais de santé ». Cette dernière indique souhaiter que tous les agents hospitaliers bénéficient d’un « panier soins au même prix et avec les mêmes garanties » et évoque la « mise en place d’une complémentaire santé unique sur l’ensemble du territoire », notamment pour « éviter une forme de concurrence entre les établissements »11.
Concrètement, la DGOS envisage-t-elle une forme de désignation des organismes assureurs au niveau national ? Cela permettrait une forte mutualisation des risques, mais aurait pour conséquence d’ôter toute liberté de choix aux établissements de santé et aux agents.
Et, la voie empruntée serait donc différente de celle retenue dans la fonction publique de l’État. En effet, même si les principales caractéristiques des futurs dispositifs de « frais de santé » (garanties et financement), ont été définies au niveau interministériel, les employeurs publics de l’État conservent la main, à leur niveau, pour négocier avec leur organisations syndicales, un accord collectif formalisant le régime et pour lancer un appel d’offres en vue de la sélection du ou des organismes assureurs.
Les modalités envisagées par la DGOS rappellent les clauses de désignation, mises en œuvre dans les branches professionnelles du secteur privé, qui permettaient d’imposer à toutes les entreprises un ou plusieurs assureurs pour la couverture du régime de protection sociale complémentaire qu’elles mettaient en place. Le Conseil constitutionnel a mis fin à cette pratique en déclarant ces clauses contraires à la Constitution au motif qu’elles portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, au regard de l’objectif poursuivi de mutualisation des risques12. Même si les fondements juridiques sur lesquels le Conseil constitutionnel s’est appuyé pour invalider ces clauses ne sont pas nécessairement applicables dans le secteur public, la question de la validité du schéma envisagé par la DGOS se pose notamment au regard de l’autonomie administrative et financière dont disposent les établissements de santé.
Pascale Baron, avocat associé, Anne Seguin, avocat counsel du cabinet Rigaud Avocats
2. Loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique (article 39).
3. Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juillet 2019 intitulé « Protection sociale complémentaire des agents publics – Rapport spécifique à la fonction publique hospitalière ».
4. Compte-rendu des auditions du 2 mai 2024 menées dans le cadre de la Mission d’information sur les complémentaires santé, en présence notamment de Charles Bourdeaud’Hui, chef du bureau des politiques sociales de la DGOS.
5. Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juillet 2019 précité.
6. Article L. 6152-2 du Code de la santé publique.
7. Article L. 722-1 du Code général de la fonction publique.
8. Article L. 722-2 du Code général de la fonction publique.
9. Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juillet 2019 intitulé « Protection sociale complémentaire des agents publics – Rapport spécifique à la fonction publique hospitalière ». Le rapport souligné que ce « dispositif de soins gratuits est de moins en moins et très inégalement appliqué » et que les agents « recourent largement à l’assurance complémentaire ».
10. CE, 12 avril 2022, décisions n° 452547, 456068, 456069, 456072.
11. Compte-rendu des auditions du 2 mai 2024 menées dans le cadre de la Mission d’information sur les complémentaires santé, en présence notamment de Charles Bourdeaud’Hui, chef du bureau des politiques sociales de la DGOS.