Finances publiques, la pêche à la mouche au secours de Socourt

Publié le 3 avril 2025 à 14h30 - par

En exploitant en régie 2 des 13 étangs de sa commune pour satisfaire les exigences des pêcheurs venus de nombreux pays européens, Socourt (280 habitants), dans les Vosges, est parvenue à dépasser 160 000 € de recettes en 2024, soit presque le triple de sa DGF. Comment une si petite commune a-t-elle pu se mettre à l’abri des vicissitudes financières ? Explication avec son DGS, Jean-Louis Thomas.

Finances publiques, la pêche à la mouche au secours de Socourt
© Photo Droits réservés - Les étangs de Socourt dans les Vosges

Jean-Louis Thomas est DGS de la commune d’Uxegney, dans les Vosges (2 500 habitants). Il a des tas de choses à dire sur la réussite de la reconversion en cours d’achèvement de la friche industrielle de 5,5 hectares de cette commune mais un autre sujet le tient à cœur et nous mène vers Socourt, dans le même département, et ses 287 habitants, là où il officie, deux après-midis par semaine, comme DGS : la pêche à la mouche. L’histoire est belle à raconter. « En 2002, Jean-Luc Martinet, le Maire, recherchait un secrétaire de mairie de métier capable de l’épauler dans sa volonté de valoriser les plans d’eau de la commune qu’il avait identifié comme un possible vecteur de développement de la commune. Il avait connu mon grand-père, alors boucher-charcutier, au sortir de la guerre et s’en souvenait avec émotion. La magie a très vite opérée. Il m’a convaincu de le suivre dans l’aventure dès mars 2002 en pleine préparation du championnat du monde de pêche à la mouche sur la montagne vosgienne dont j’occupais le poste de co-président du comité d’organisation. Ces ballastières ont été creusées dans la plaine alluviale de la Moselle pour faire face aux besoins en granulats des entreprises du BTP et des travaux publics. Je lui ai suggéré d’en valoriser certaines autour d’un concept de complexe thématique. Deux plans d’eau gérés en régie directe dédiés à la pêche à la mouche et trois autres, via un partenaire associatif, dédiés à la pêche de la carpe (réservoir et carpodrome). Le principe d’une gestion exemplaire, spécifique à chaque plan d’eau, semblait à l’époque un peu nébuleuse pour le premier magistrat. Pour lui faire toucher du bout de la canne ce qu’étaient des eaux richement peuplées, je lui ai proposé de m’accompagner deux semaines en Irlande, patrie des pêcheurs et des poètes, avec Patrick Mennezin, l’incontournable président du foyer rural de Socourt. Ça a été le déclic. Depuis deux décennies, le village aménage ses plans d’eau pour en faire un complexe de pêche thématique. Un investissement rentable puisque la commune en dégage aujourd’hui d’incroyables dividendes financiers, sans compter la formidable aventure humaine qui l’accompagne sans laquelle les résultats ne seraient pas ce qu’ils sont », explique le DGS.

800 000 € investis

Car la pêche à la mouche, que pratique Jean-Louis Thomas, est une passion exigeante et les meilleurs plans d’eau les mieux bichonnés finissent par se tailler une si belle réputation que les pêcheurs n’hésitent pas à faire des kilomètres pour s’adonner à leur passion ; « Quand on sait qu’il existe deux millions de pêcheurs en France, on s’est dit avec le maire qu’il y avait un bon coup à jouer. À une condition toutefois : que la commune offre, un sens de l’accueil, un cadre de pêche et une qualité piscicole bien au-dessus de la moyenne, l’ADN de Socourt », sourit le DGS. Ce programme a été lancé en 2002. « Il s’est traduit par l’aménagement de gravières, une gestion piscicole voulue « exemplaire » afin de conférer à ces plans d’eau une vraie valeur ajoutée pour séduire des pêcheurs passionnés de l’hexagone et des pays voisins : Belgique, Suisse, Allemagne, Luxembourg, Italie, Slovaquie… la construction de trois lodges, l’aménagement d’une zone de camping-car, l’achat et l’aménagement d’une péniche transformée en hébergement atypique sur le canal des Vosges ». Pour une facture globale de 800 000 € répartie en trois tranches. Chaque année se déroulent à Socourt parmi les plus belles compétitions officielles de pêche à la mouche et de pêche de la carpe inscrites au calendrier de la Fédération Française de Pêche Sportive. Et en parallèle deux événements d’envergure internationale organisés conjointement par la commune et le foyer rural de réputation européenne désormais. « Il nous arrive de nous pincer pour nous persuader que cette réussite collective est bien réelle ».

Des aides et des savoir-faire locaux

Il a ensuite fallu aller à la pêche à la subvention : la tranche I, de 2005 à 2006, dédiée à la construction du chalet d’accueil, a mobilisé une subvention de 90 000 € du Département des Vosges et 54 000 € de la Région Grand-Est. La deuxième tranche (2017-2018) fait passer le projet dans une autre dimension, avec la construction de trois lodges bois de 4 personnes sur le site ; la répartition financière est la suivante : 79 700 € (DETR), 8 600 € (Europe Leader), 10 000 € (Département), Communauté d’agglomération d’Épinal (8 600 €). La troisième tranche, de 2021 à 2024, a permis l’achat d’une péniche et son aménagement en régie ainsi que la mise à disposition de 5 places de camping-car avec l’aide de l’agglomération à hauteur de 15 000 €. Soit des subventions atteignant 265 900 € pour une opération d’ensemble approchant 800 000 € HT, le reste étant financé par les recettes générés par l’activité. « Une partie des aménagements a été réalisée en régie par les agents communaux successifs et des bénévoles du Foyer Rural, raison pour laquelle le montant des aides n’est pas si conséquent », devance le DGS.

De sacrées retombées pour la commune

Le plus extraordinaire reste le fait que cette activité, organisée en régie, génère un chiffre d’affaire qui permet à la petite commune d’envisager l’avenir avec sérénité : « En 2024, nous avons dégagé un chiffre d’affaires de 163 000 €, soit 59 % des dépenses de fonctionnement du budget communal avec une progression sur l’année dernière de 30 % ». En comparaison, s’amuse Jean-Louis Thomas, la fiscalité locale et la DGF représentent une recette de 65 000 € en 2024. Cette manne permet à la commune de réaliser des investissements qui seraient inenvisageables sans la pêche. Jean-Louis Thomas liste les réalisations de 2024 avec gourmandise : « Aménagement d’une voirie caractérisée par une gestion exemplaire des eaux pluviales par déconnexion, vidéoprotection (11 caméras), enfouissement réseaux basse tension et modernisation de l’éclairage public et diverses petites opérations pour un investissement global de 492 000 € TTC. Et nous attendons avec un grand intérêt et émotion la concrétisation dans les semaines à venir du mémorial dédié à Jean Moulin, ce héros de la résistance qui a vécu à Socourt en 1918 lors de sa préparation militaire accélérée lorsque le front manquait d’hommes. ». Un record national sans doute au regard de la taille de la commune…

Fiscalité locale en baisse

Dans le même temps, la fiscalité locale, déjà en eaux basses, poursuit sa baisse : 10 % depuis 2020… « Grâce au choix fait en 2002, en sentant bien que nous allions faire des économies en faisant gérer un tel bien par la commune, nous avons tout de suite activé à la baisse le levier fiscal. » Aujourd’hui un groupe de quatre pêcheurs à la mouche laisse environ 300 € à la régie municipale entre la location et le droit de pêche sur un week-end, avec un taux de retour incroyable, sans oublier les effets induits positifs pour les commerces. « Sans être riche, Socourt ne connait pas la crise des finances publiques et continue de préparer l’avenir avec sérénité ». À d’autres communes de trouver une « pépite » de proximité équivalente. Le resserrement des budgets va naturellement obliger les maires à aller se mettre en quête de nouvelles ressources financières.

Stéphane Menu


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