Michel Barnier a fait ses comptes. La France doit trouver, 60 Mds € pour son budget 2025, dont deux tiers d’économies, le reste en hausses d’impôts. Le Premier ministre appelle les collectivités locales à contribuer à hauteur de 5 Mds : elles devront réaliser 12,5 % de l’effort d’économies de dépenses en 2025, alors qu’elles représentent 20 % de la dépense publique1. C’est cadeau en somme alors qu’elles ont été montrées du doigt par le ministère des Finances sortant pour avoir vu leurs dépenses déraper de 16 Mds € cette année !
« Que l’État nous dise où réduire nos dépenses ! »
Les mesures passent mal auprès des élus locaux. Pour Bertrand Hauchecorne, membre du Comité des finances locales, « dans 90 % des communes, on ne jette pas l’argent par les fenêtres ». Sur le personnel, il estime qu’avec les 16 ETP dont il dispose à Mareau-aux-Prés (1 629 hab., Loiret) dont il est maire, il n’a pas de marge de manœuvre : « Mes ATSEM, mon personnel de la garderie et de la cantine, mes 4 agents techniques, mes 3 secrétaires sont tous utiles ». Philippe Laurent, vice-président de l’Association des Maires de France ne dit pas autre chose : « Que l’État nous dise où réduire nos dépenses : faut-il moins d’espaces France Services, moins de crèches, moins de policiers municipaux, d’ATSEM… ? ». Même son de cloche chez François Sauvadet, président de l’Assemblée des Départements de France (ADF) : « Plutôt que de nous asphyxier, le gouvernement et le parlement doivent nous dire, clairement quelle politique nous devons abandonner ! ». À la réunion de présentation du budget 2025 au CFL du 8 octobre dernier, Jean-Léonce Dupont, président du Calvados, a expliqué que les Départements étaient complètement à l’os, sans contrôle sur les dépenses sociales. C’est donc plutôt d’aides dont ils auraient besoin, estime-t-on à l’ADF. Les régions ne sont pas en reste avec une Carole Delga, leur présidente qui déplore un impact direct des mesures de près d’1 Md €, soit le niveau de collectivité le plus impacté. Pour ces élus, les économies ont déjà été faites…
Retour du contrat de Cahors ?
Le principal dispositif pour réaliser ces économies est la création d’un fonds d’épargne imposé aux 450 collectivités les plus importantes, avec 2,8 Mds € espérés in fine. C’est en quelque sorte le retour du contrat de Cahors de 2018, qui imposait aux 322 collectivités territoriales les plus importantes2 de ne pas augmenter leurs dépenses de fonctionnement de plus de 0,75 à 1,65 %/an, avant d’être abandonné en 2023. Ici par contre, il y aurait restitution ultérieure selon des modalités à préciser… Cela s’apparenterait donc à un prêt des collectivités à l’État… Mais prêter 2,8 Mds € à l’État ne fait pas 2,8 Mds d’économies… Il n’est pas encore arbitré quand ces sommes seront reversées, ni si les collectivités les récupèreront à l’euro près ou si ces sommes alimenteront un fonds de péréquation. « Si c’est de la péréquation, pourquoi ne pas augmenter le fonds de péréquation sur la DGF ? », interroge Philippe Laurent. 20 départements sensibles ont déjà été écartés de l’effort : le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine-Saint-Denis, la Réunion, Mayotte… « Sur quels critères ? », demande Philippe Laurent. Laurent Saint-Martin, ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie, a rappelé à l’issue du Conseil des ministres de jeudi 10 octobre que « l’ensemble des collectivités locales seraient regardées à l’aune de leur santé financière, avec un regard particulier sur les Départements ».
Le deuxième effort réclamé aux collectivités porte sur les recettes de TVA3, augmentant habituellement avec la croissance économique. En 2025, cette revalorisation sera gelée, soit 1,3 à 1,5 Mds € d’économies estimées. « Le lien avec le territoire a disparu, s’insurge Philippe Laurent. Avant quand les entreprises allaient bien, la CVAE rapportait ».
L’investissement va trinquer
Enfin, troisième effort : diminuer les compensations de TVA versées aux collectivités dans le cadre du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA). Une mesure qui devrait rapporter 800 M €. Comment ? « À la réunion de présentation du CFL du 8 octobre, le gouvernement a expliqué que le taux de récupération du FCTVA passera de 16,4 à 14,4 % des sommes TTC, soit une baisse de 12,2 % du remboursement qui tombe de 98,4 % à 86,4 % », précise Bertrand Hauchecorne. « C’est une rupture de contrat », conclut Philippe Laurent.
Comment vont in fine réagir les collectivités ? À tous les niveaux, l’investissement va trinquer, estiment les élus. « Avec en plus la baisse du fonds vert de 50 %, le ralentissement de la transition écologique est à prévoir », déplore Bertrand Hauchecorne. Le jeu de dominos entre collectivités va s’accentuer, avec « des départements – en grande difficulté financière – et régions qui baisseront leurs aides aux communes et intercos, selon Bertrand Hauchecorne. La taxe foncière pourrait continuer à exploser dans les communes et intercos ».
Frédéric Ville
1. En 2023, les dépenses des administrations publiques locales (APUL) s’élevaient à 315,6 Mds €.
2. Celles dont les dépenses sont de plus de 60 M € (régions, départements, agglos et communes les plus importantes).
3. Des recettes de TVA compensent la CVAE non perçue depuis 2023, ceci pour les intercos, les départements et les régions.
Quelques bonnes nouvelles pour les Départements Une aide financière de 100 M € sera octroyée aux Départements, afin de soutenir les dépenses en mobilité des aides à domicile. La branche autonomie (personnes âgées et personnes en situation de handicap) sera revalorisée de 2,4 Mds €. Enfin, une hausse des recrutements dans les Ehpad de 6 500 personnes doit contribuer à aller vers la trajectoire de 50 000 emplois en plus à horizon 2030. |