Assurance des collectivités : comment sortir vite de la crise ?

Publié le 10 février 2025 à 13h50 - par

Les primes d’assurance et franchises pour dommages aux biens s’envolent. Insoutenable pour les collectivités. Un plan d’action collectif est urgent.

Assurance des collectivités : comment sortir vite de la crise ?
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Les collectivités locales peinent de plus en plus à obtenir une couverture d’assurance. « Les prestataires ne répondent pas aux appels d’offres ou proposent des tarifs exorbitants, rendant la protection contre les risques de dommages insoutenable », assure-t-on à l’Association des Maires de France (AMF). Selon un rapport de la CRC de Bourgogne-Franche-Comté, entre 2018 et 2024, les primes d’assurance ont augmenté de 90 %, avec + 147 % pour l’assurance des dommages aux biens. Vesoul par exemple est passé de 100 000 à 300 000 euros en deux ans. À Poitiers, la ville n’assure plus ses bâtiments depuis le 1er janvier dernier ! À Breil-sur-Roya (06), en juin dernier, alors que la SMACL venait de régler 6 M € suite aux dégâts de la tempête Alex de 2020 à la commune, le maire Sébastien Olharan apprend que l’assureur suspend ses contrats fin 2024. Selon l’AMF, « certaines collectivités, sans garantie dommage aux biens, reportent projets structurants, recrutements ou valorisations salariales, pour faire face à certains sinistres : une forme d’auto-assurance forcée ».

10,6 Mds € de dégâts climatiques

Comment en est-on arrivé là ? « Entre 2012 et 2017, la concurrence entre assureurs a fait baisser les prix au bénéfice des collectivités, mais a aussi entraîné une rétractation de l’offre. La SMACL et Groupama pèsent aujourd’hui à eux deux 60 % du marché », explique Alain Chrétien, maire de Vesoul, coauteur avec Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama, d’un rapport sur l’assurabilité des collectivités locales remis au gouvernement en septembre 2024. Puis, « les dégâts climatiques se sont envolés à la fin des années 2010 à 4, puis 6 Mds €/an, avec un pic à 10,6 milliards en 2022, contre 2 Mds €/an auparavant », continue Alain Chrétien. À la SMACL, on précise « un coût des sinistres multiplié par 4 entre 2021 et 2022 et un niveau 2024 restant supérieur aux années moyennes ». Là-dessus sont arrivées les émeutes de juin-juillet 2023 (ndlr : bâtiments publics incendiés, dégradés). Aujourd’hui, le marché assuranciel est très hétérogène, « avec parfois des explosions de franchises et de faibles hausses de cotisations ou bien l’inverse », selon l’élu.
La mission Chrétien/Dagès a fait 25 recommandations. Il s’agit notamment de charger l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) d’une vigilance accrue sur l’équilibre global du marché de l’assurance des collectivités territoriales. « En 2012-2017, elle aurait dû vérifier qu’il n’y avait pas sous-tarification… », commente Alain Chrétien. La mission préconise aussi de sécuriser le recours à la procédure avec négociation de marché public, ce que ne permet pas aujourd’hui le Guide pratique pour la passation des marchés publics d’assurance de 2008. « Il faut de la souplesse. Parfois, on s’interdit lors de marchés des visites sur sites pour éviter une rupture d’égalité entre candidats : faisons-le en proportionnant le temps passé », préconise Alain Chrétien. Pour lui, il n’y a pas besoin de modifier le Code des marchés publics, mais les pratiques : « Utilisons les réserves, les variantes, les visites sur place ». Un nouveau guide pratique, en cours de rédaction entre France Assureurs, Bercy et l’AMF devrait sortir cet été.

La prévention s’impose

La connaissance du patrimoine doit aussi progresser. Il faut savoir précisément quelles surfaces on assure, si les bâtiments sont rénovés ou non, si tel bien assuré est réellement en votre possession, etc. « Il faut se voir régulièrement avec l’assureur. Tel bâtiment isolé et peu utilisé n’aura pas besoin d’être assuré, tel autre nécessitera une garantie XXL… », suggère Alain Chrétien.
Par ailleurs, concernant les émeutes, il faudrait une définition juridique claire et la création d’un dispositif de mutualisation du risque social exceptionnel, sur le modèle du régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles (Cat Nat) ou de la Gestion de l’assurance et de la réassurance des risques attentats et terroristes (Gareat).
Les collectivités ont aussi à balayer devant leur porte : « Il faut arrêter de déclarer tout et n’importe quoi : une portière enfoncée ou un agent qui casse une fenêtre, c’est à nous de payer », s’emporte Alain Chrétien. Pour la SMACL, « chacun doit prendre sa part de responsabilité : assureurs, collectivités et État ». La prévention s’impose. Sébastien Olarhan précise que « des formations sont obligatoires en matière d’équipements sécurité – incendie ». À Breil-sur-Roya par exemple, les services techniques, même s’ils avaient résisté à Alex, on été déplacés. Des matelas spécifiques ont été achetés pour calfeutrer les portes en cas de Cat nat. Les collectivités doivent aussi s’acculturer au risque. Des managers de risques peuvent être recrutés dans les plus grandes, comme déjà à Niort ou Nice. Ailleurs, « on désignera un agent de la collectivité pour travailler sur le risque, l’anticiper de manière à éviter des ruptures de service, conseille Alain Chrétien. Les collectivités doivent progresser sur la protection des biens. Pour un ERP, le PV de la commission de sécurité ne suffit pas : l’assureur a besoin d’une attestation Q18, qui lui garantit l’absence d’échauffement électrique dans les murs ».

Un plan d’action du gouvernement imminent ?

Mais il faut faire vite ! Breil-sur-Roya, qui avait publié dès cet été un marché à procédure adaptée, sans recevoir aucune offre, a été déboutée de sa demande au Tribunal administratif de prolonger son contrat d’assurance d’un an avec la SMACL pour les dommages aux biens, non sans que celle-ci ne lui accorde stratégiquement juste avant l’audience protection fonctionnelle des élus et responsabilité civile des agents. Saisi par la commune, le Bureau central des tarifications a obligé 5 assureurs (Allianz, Axa, Generali, Groupama, Swiss Life) à assurer la commune… pour 100 000 €/an au lieu de 15 000 auparavant, avec des franchises à la hausse (500 000 € sur les Cat nat, 100 000 € sur l’incendie) et certains sinistres non garantis (vandalisme, vol, dégâts des eaux et électriques, émeutes). Après discussion, la commune a accepté… Alain Chrétien rencontre les cabinets du Premier ministre et de François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire, cette semaine. Il insiste sur la convergence entre son rapport, celui du Sénat et le dernier avis de l’ACPR sur la situation concurrentielle dans le secteur assurance dommages aux biens des collectivités. La SMACL indique elle être à 80 % d’accord avec les recommandations du rapport Chrétien. Les 20 % restant risquent de poser problème. Le gouvernement pourrait présenter un plan d’action fin février.

Frédéric Ville

Une assurance publique pour les collectivités ?

Pour Sébastien Olharan, maire de Breil un moment sans assureur, la crise ne se résoudra pas avec les assureurs privés : « Il faut un système public où toutes les collectivités mettent la main au pot », préconise-t-il. Alain Chrétien ne partage pas cet avis : « Précisément, la SMACL a été créée par des élus pour des élus : avec 80 % des collectivités dans son portefeuille, elle n’a survécu que par sa reprise par la Maif. Il ne faut pas concentrer les risques sur un seul acteur, mais au contraire faire revenir les assureurs auprès des collectivités pour partager les risques. Le système public – Cat nat – existe déjà, en complément d’une auto-assurance des communes et de l’assurance des communes ».


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