« Nous ne voulons plus être flattés au congrès et tapés au budget ! ». David Lisnard, le président de l’AMF (Association des Maires de France), a répété plusieurs fois la formule durant le dernier Congrès des maires, qui s’est tenu du 18 au 21 novembre 2024, notamment en clôture devant le Premier ministre, Michel Barnier. Et cela risque de rester le sentiment dominant à l’issue de ce 106e congrès de l’AMF. D’autant que le locataire de Matignon, qui a reconnu à plusieurs reprises la forte précarité de son bail dans le contexte politique actuel, tout en formulant une longue liste d’amabilités à l’endroit des maires, a joué cartes sur table avec une pointe d’humour : « Il n’y a aucune chance que je sois flatté au budget et je vous remercie de ne pas trop me taper au congrès ».
Crainte d’un « effet récessif »
Tout au long des quatre jours du congrès, les élus ont dénoncé les restrictions budgétaires pour les collectivités contenues dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, s’élevant à 10 Md€ et non pas à 5 Md€ comme annoncé par le gouvernement, insiste l’AMF. « Il faut notamment ajouter la hausse de quatre points du taux de cotisation retraite des employeurs territoriaux à la CNRACL (Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales) sur trois ans, ce qui ne représente pas moins de 1,3 Md€ pour la seule année 2025 », pointe Emmanuel Sallaberry, co-président de la commission des finances de l’AMF. Selon le maire de Talence (Gironde), cette mesure prévue par le PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) pour 2025 « fait partie des plus douloureuses et des plus pérennes dans le temps ».
S’affirmant responsable et soucieux du rétablissement des comptes publics, David Lisnard réfute le terme « d’économies sur le bloc communal » qu’il préfère qualifier de « ponctions qui s’attaquent à nos capacités d’investissement et qui auront un effet récessif », en rappelant que les collectivités portent 70 % de l’investissement public. Très remonté, le président de l’AMF a attaqué des « mesures purement technocratiques qui ignorent les réalités du terrain ». Et d’ajouter : « Raboter n’est pas réformer et imposer n’est pas économiser ».
Des écharpes noires en signe de protestation
Sur la même ligne, l’ensemble des associations du bloc communal (AMF, AMRF, APVF, France urbaine, Intercommunalités de France, Villes de France, Ville & Banlieue et UNCCAS) ont fait front commun en se réunissant sur le congrès, le 20 novembre, pour présenter une motion commune dénonçant « des mesures injustes dont l’ampleur est inégalée ». Objectif affiché de la démarche : demander au gouvernement et au Parlement de modifier les PLF et PLFSS pour 2025 afin de « rétablir la confiance et le dialogue indispensables avec les maires et les présidents d’intercommunalité pour surmonter la crise des finances publiques que notre pays traverse ».
Autre signe de colère : des centaines de maires se sont réunis dès le début du congrès en revêtant une écharpe noire au-dessus de leur écharpe tricolore. Une action forte, en présence des élus du bureau de l’AMF, pour dénoncer les économies budgétaires imposées aux collectivités dans le PLF. Selon David Lisnard, il s’agissait d’alerter sur le risque de « mort des communes » en pointant les coupes budgétaires mais aussi l’excès de normes ou les blocages administratifs. Et de lancer « laissez-nous travailler ! ».
Très peu de concessions budgétaires
Dans un exercice classique de câlinothérapie, Michel Barnier, présent en clôture du congrès des maires, s’est fait le défenseur de la commune. « Certains pensent qu’elle est dépassée, moi, je pense le contraire. Vos communes sont une institution profondément moderne », a-t-il ainsi affirmé en les définissant comme « un élément de stabilité et une façon de prendre l’époque à rebrousse-poil contre l’individualisme, le fatalisme ambiant et le sectarisme sous toutes ses formes ».
Une fois passées ces amabilités, le Premier ministre n’a fait que très peu de concessions sur le plan financier et budgétaire. Tout en reconnaissant les inquiétudes des élus, il a martelé de nouveau le message de « l’extrême urgence » de la « situation budgétaire du pays » avec une dette de 3 228 Md€ et des intérêts s’élevant à 60 Md€. Affirmant que les collectivités doivent « prendre leur part » au redressement des finances publiques, le chef du gouvernement s’est contenté de redire, comme devant le congrès de Départements de France quelques jours plus tôt, que la baisse du taux du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) ne sera pas rétroactive. « C’est une mesure qui aurait conduit à revenir sur des sommes que vous aviez intégrées dans vos budgets et ce ne serait pas juste », a-t-il reconnu.
Autre petite concession sur le fonds de réserve (article 64 du PLF), suscitant le courroux des élus en ponctionnant 3 Md€ aux 450 plus grandes collectivités, qui ne sera pas utilisé pour faire de la péréquation. « Les sommes prélevées seront reversées à la collectivité contributrice au fonds », a promis Michel Barnier. Ces prélèvements permettront de freiner les dépenses de fonctionnement car « nous en avons besoin pour réduire le déficit », a-t-il répété.
Création d’un « fonds territoires »
Sur la hausse annuelle de quatre points des cotisations des employeurs territoriaux à la CNRACL, il a redit qu’elle s’effectuera sur quatre ans et non plus trois comme prévu initialement. En clair, sur cette période, l’augmentation ne sera plus de 4 % par an mais de 3 %. L’appel lancé, la veille, par Coordination des employeurs territoriaux (CET), n’aura donc pas été entendu. Elle plaide pour que l’apport des collectivités « à la solidarité nationale, qui s’est traduit, depuis les années 1970, par une contribution de la CNRACL vers les autres régimes de retraite de plus de 100 Md€, soit pris en compte dans l’effort qui leur est aujourd’hui demandé, au profit d’une remise à plat du système dans sa globalité ».
Dans un souci de simplification, le Premier ministre a annoncé la création, dès le début 2025, d’un nouveau « fonds territoires » fusionnant les dotations de soutien à l’investissement local (DETR et DSIL). Et cela avec « une enveloppe sanctuarisée, équivalent à la DETR actuelle, dans le nouveau fonds ». Il sera aussi créé « un guichet unique pour ne plus avoir à déposer trois dossiers différents pour financer le même projet ». De plus, les calendriers de notification des subventions seront harmonisés. « Tout cela sera moins de temps et d’énergie perdu pour vous et des projets qui pourront se concrétiser plus rapidement », a assuré Michel Barnier.
L’AMF dénonce des propos « contradictoires »
À l’issue du congrès, David Lisnard a pointé, sur le plateau de Public Sénat, une contradiction dans les propos du chef du gouvernement qui promet « d’augmenter les marges de manœuvre des collectivités » tout en maintenant des prélèvements supplémentaires sur elles. Selon lui, « le Premier ministre doit trancher entre les principes et les constats qu’il a fait devant nous, et qui sont les nôtres, et ce que propose le budget qui est en contradiction avec cela ». Le président de l’AMF l’appelle donc à « trancher dans le bon sens des communes, et pour ne pas être dans une logique régressive » qui confirmerait « l’expression des technocrates qui s’imposent aux politiques et sortent toutes les mesures castratrices de l’action des collectivités ».
Sans surprise, André Laignel, premier vice-président délégué de l’AMF délégué, est sur le même registre : « Le Premier ministre a été aimable. Mais sur le fond, malheureusement, les maires repartent avec autant d’inquiétudes qu’ils en avaient en arrivant au congrès. Sur le plan financier, rien n’a été annoncé ». Et de dénoncer « une faute majeure » en « mettant en panne la capacité d’investissement des collectivités dans un moment où le pays rentre en récession économique ».
Chargé comme chaque année de lire, lors de la séance de clôture, la résolution finale, adoptée « à l’unanimité » par le bureau de l’AMF, le maire d’Issoudun en a profité pour tacler « un État détaillant et impotent ». Il appelle aussi à refondre « les relations entre l’État et les collectivités » passant notamment par « une concertation nationale sur la répartition des compétences et des financements ».
Redonner plus de liberté aux collectivités
Le chef du gouvernement aura été plus bavard sur les sujets non financiers, en annonçant une série de mesures pour « redonner plus de liberté aux collectivités » avec des règles pouvant « être appliquées différemment ». Promettant « des lois moins bavardes, qui s’en tiennent aux objectifs généraux et qui ne cherchent pas à régler tout dans le détail », il plaide aussi pour « que l’État s’astreigne à ne prendre des normes que lorsque c’est strictement nécessaire et à ne pas surtransposer les directives européennes ».
Au nom d’une « liberté retrouvée » et de la « confiance », il veut « donner substance au pouvoir réglementaire local, aujourd’hui inusité », en s’inspirant du rapport d’Éric Woerth. Pour cela, il va demander aux administrations « de proposer en priorité des lois d’orientation ou des lois cadres qui fixent des objectifs plutôt que les moyens et qui laissent aux autorités locales des marges pour interpréter les règles et les mettre en œuvre de manière adaptée ». Publiée avant la fin de l’année, une circulaire « fera la chasse aux lois trop complexes ou trop détaillées ». Pour sa part, le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) évoluera pour devenir un « organe de conception et de vérification, bien en amont de la présentation des lois et des règlements » dans un souci « de clarté et d’intelligibilité des lois ». En outre, les études d’impact devront intégrer « l’analyse des effets de la loi sur les collectivités ».
Évaluer et simplifier le stock des normes
Autre engagement pris : « une démarche résolue d’évaluation et de simplification du stock des normes » en s’appuyant sur le Conseil d’État et dans des domaines choisis comme l’urbanisme ou l’environnement. Il promet ainsi dès la fin de cette année le lancement de ce travail « dans une logique de sobriété normative et procédurale ». Le chantier doit démarrer rapidement avec pour finalité de laisser aux élus locaux la possibilité « d’interpréter et d’adapter les règlements, en fonction des besoins de chaque territoire ». En guise d’exemple, il a redit, sous les applaudissements, que le transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes ne serait plus obligatoire.
Sur l’autre sujet sensible du ZAN (zéro artificialisation nette), il a réaffirmé le maintien de l’objectif mais avec des adaptations possibles. Cela passera par la voie réglementaire comme législative en soutenant la proposition de loi des sénateurs Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier. Le Premier ministre plaide pour « renverser la pyramide : « le ZAN ne doit pas se décliner en cascade et de manière mécanique de la région jusqu’à la plus petite commune (…). Il faut partir du terrain et laisser s’organiser, d’abord dans chaque département, la discussion qui permettra d’atteindre l’objectif au niveau de la région ». La méthode passera donc par « une trajectoire », en mettant fin à « des dates couperets » et en gardant l’objectif d’atteindre le ZAN en 2050. Là aussi applaudi, Michel Barnier a annoncé que dans le cadre d’une loi modifiée, « cette nouvelle liberté sera opérationnelle dès le premier semestre 2025 ».
Promesse de plus de simplification
« Il y a des gisements extraordinaires d’efficacité et d’économie dans l’action publique à travers la simplification », estime le chef du gouvernement. « Nous allons aussi simplifier par le bas en partant des projets », a-t-il indiqué en soulignant que déjà « 50 projets locaux ont été débloqués ». Il veut aussi assouplir le pouvoir de dérogation des préfets « qui pourront désormais en user plus librement ».
De plus, il souhaite créer « un régime juridique de la dérogation législative qui permettra dans un cadre précis d’adapter les règles applicables à des projets quand c’est justifié par l’intérêt du territoire et sans avoir à repasser systématiquement par une modification de la loi ». Enfin, dans un souci de « plus d’efficacité », il a annoncé la publication prochaine d’un décret « pour renforcer considérablement le pouvoir des préfets de département, notamment dans la coordination de tous les services de l’État ». Une mesure applaudie sans surprise par les maires.
Reprise du chantier sur le statut de l’élu
Il a aussi promis la reprise du chantier du statut de l’élu avec le soutien du gouvernement, en février prochain à l’Assemblée nationale, de la proposition de loi de Françoise Gatel, déjà adoptée par le Sénat. Elle sera complétée par celle des députés Violette Spillebout et Stéphane Delautrette. « Ce texte consacrera enfin, après tant d’attentes, un statut de l’élu, en bonne et due forme, qui figurera en tête du Code général des collectivités territoriales », assure Michel Barnier.
Par ailleurs, toujours dans un souci de simplification, il s’est dit « prêt à des évolutions » en cas de consensus sur l’extension du scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1 000 habitants et sur la taille des conseils municipaux. Enfin, le Premier ministre a réaffirmé son ouverture « sans tabou et sans idéologie » à « des évolutions » sur l’interdiction du cumul des mandats « si cela s’avère nécessaire pour rapprocher nos élus des citoyens et des territoires ».
Philippe Pottiée-Sperry