Qu’auraient selon vous à gagner ou à perdre les collectivités locales d’une majorité parlementaire Nouveau Front populaire, ou Renaissance ou bien Rassemblement national… ou encore d’une absence de majorité ? La question est simple, mais les représentants d’élus sont restés prudents… À Intercommunalités de France, « on n’a pas de commentaire à faire ». France Urbaine n’a pas le temps. Au Comité des finances locales, c’est silence radio. Pareil à l’Association des Maires de France (AMF)… sauf pour le vice-président Philippe Laurent, passionné par les enjeux nationaux.
« Les réformes projetées seraient stoppées »
Pour ce dernier, « si les extrêmes arrivent au pouvoir, on ne va pas produire de la richesse en raison de la défiance des marchés et d’un problème d’image, au moins à court terme. Donc les collectivités locales perdront des moyens pour proposer des services, aménager le territoire… ». Pour lui, un gouvernement technique, sans majorité donc, ne serait pas plus mal : « Que autre choix alors que de faire confiance aux élus locaux pour gérer le pays ?… À condition que cela ne dure pas. Il faut quand même passer quelques textes, voter la loi de finances… ».
En matière de finances locales, Michel Fournier, président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), estime que certaines avancées proches sont menacées : « Alors qu’on subit en secteur rural le développement des énergies renouvelables qui ne fait pas l’unanimité, ceci sans retour financier conséquent, la réforme de l’Imposition forfaitaire des entreprises en réseau (IFER) allait augmenter la part communale perçue pour rendre l’acceptabilité meilleure »(1). En matière de dotation globale de fonctionnement (DGF), Michel Fournier se félicitait d’un rééquilibrage souhaité par Éric Woerth(2) dans son rapport récent. Pour Philippe Laurent, les collectivités n’auraient rien à gagner de n’importe lequel des scenarii : « Revoir les dotations ou plafonner les dépenses nécessite de la confiance, pareil pour la fiscalité locale. En plus, Bercy ne changera pas sa philosophie et sa culture, c’est plutôt l’administration qui prendrait alors le pouvoir ». Concernant l’appui aux politiques publiques, le RN est-il à craindre ? Philippe Laurent n’en est pas sûr : « Élus, ils auraient besoin des collectivités locales, chercheraient à prendre des mairies ».
Et côté décentralisation ? « Le RN aurait d’autres priorités, rien ne changerait dans l’immédiat, assure Philippe Laurent. Dans l’hypothèse NFP, je ne sais pas : en tout cas, LFI ne décidera pas seul, ils n’y connaissent rien… Les réformes projetées comme celle sur la décentralisation (ndlr : suite à la mission Woerth) ou de la Fonction publique (ndlr : du ministre Stanislas Guérini) seraient stoppées au moins dans l’immédiat ».
Patatras, tout est à refaire !
Quant au statut de l’élu local, la proposition de loi du Sénat n’a pas été examinée à ce jour par l’Assemblée nationale : « Élu, le RN pourrait reprendre le texte assez consensuel, le NFP cela m’étonnerait, LFI s’en fiche… », note Philippe Laurent. Pour Michel Fournier, la déception est grande : « Juste avant la dissolution, on s’était accordé avec les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat : meilleure reconnaissance des élus (indemnités, formation, validation des trimestres pour la retraite, etc), dotation forfaitaire de l’État pour reconnaître le rôle de représentation de la République joué par l’élu local… Désormais, c’est le grand point d’interrogation ». Pareil pour le scrutin avec panachage dans les communes de moins de 1 000 habitants : « Avec ces mêmes présidents, on aurait aligné ces petites communes sur le scrutin proportionnel. Pour pouvoir intégrer la parité, plus difficile dans les petites communes où les volontés sont plus rares, on s’était accordé pour baisser le nombre des conseillers municipaux, Éric Woerth nous a suivis ». Mais là aussi, patatras !…
Pourtant, les associations d’élus ont chacune leurs griefs envers le gouvernement actuel. Toutes regrettent la perte d’autonomie fiscale. À l’AMRF, on déplore que la dotation biodiversité récompensant les aménités rurales n’ait pas été étendue des communes en Parcs naturels régionaux aux autres, ou les atermoiements du gouvernement sur la construction de France ruralités revitalisation (ex-zones de revitalisation rurale – ZRR) à l’échelle intercommunale, ce qui exclut des communes pauvres. Mais sur cela ou sur la DGF, cela ne changerait-il pas avec une majorité RN qui revendique la défense de la ruralité et y obtient ses meilleurs scores ? LFI de son côté ne milite-t-il pas clairement pour le maintien des services publics en ruralité ? « Ni le RN ni LFI n’ont jamais exercé le pouvoir », rétorquent Michel Fournier et Philippe Laurent. « LFI, dont la réussite électorale est en ville, mesure-t-il la réalité ?, poursuit Michel Fournier. En cas de majorité RN ou LFI, ce serait comme avec les députés En Marche de 2017 ne connaissant rien à la réalité locale. Tout serait à reprendre à zéro ». Et de préconiser, pour pouvoir être élu national, d’avoir exercé un mandat local. Michel Fournier pointe toutefois ce décalage entre le local et le national que le pouvoir en place n’a pas réussi à juguler : « Ce ne sont pas l’immigration ou la sécurité qui posent problème en ruralité, mais les déserts médicaux, le sentiment de déclassement, qui entraînent un rejet du national ». Des réalités partagées avec les quartiers prioritaires de la ville. Cela fait beaucoup de monde.
Propos recueillis par Frédéric Ville
1. Aujourd’hui, l’IFER est réparti à 20 % pour la commune, 50 % pour l’interco et 30 % pour le département.
2. Actuellement, la DGF varie de 1 pour les communes les moins peuplées à 2 pour celles les plus peuplées.