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Réserve, neutralité : quelles libertés et obligations pour les agents publics pendant les élections législatives ?

Publié le 28 juin 2024 à 10h15, mis à jour le 28 juin 2024 à 10h15 - par

Le 14 juin 2024, une pétition de plus de sept cents « cadres de l’Éducation nationale pour la République » a annoncé qu’ils n’appliqueraient pas la politique du Rassemblement National en cas d’arrivée au pouvoir à l’issue des législatives1. Cette prise de position pose la question de savoir jusqu’où va la neutralité et la réserve des agents publics ?

Réserve, neutralité : quelles libertés et obligations pour les agents publics pendant les élections législatives ?
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Un agent public peut-il servir l’intérêt général en prenant compte ses opinions politiques ? En d’autres termes, un agent public peut-il refuser d’obéir aux règles mises en place par un gouvernement dont il ne partage pas les idées politiques ?

La dissolution de l’assemblée nationale a provoqué des craintes et certains agents publics se sont déjà manifestés pour indiquer qu’ils feraient barrage à une potentielle arrivée du Rassemblement National au pouvoir. Si l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise que : « Nul ne doit être inquiété pour ses  opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi », ces prises de positions ne sont pas sans poser problème avec certaines obligations des agents publics, en période électorale, dont il est nécessaire de faire, aujourd’hui, un rappel.

1. La liberté d’expression et d’opinion des agents publics

L’article L. 131-1 du Code général de la fonction publique dispose qu’ : « Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les agents publics en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sous réserve des dispositions des articles L. 131-5, L. 131-6 et L. 131-7 ». Dans sa vie privée, en dehors de l’exercice de ses fonctions, l’agent public bénéficie de la liberté d’expression qui peut l’autoriser à prendre part à une campagne électorale, à manifester et à critiquer ou à soutenir un candidat.

2. Les devoirs de neutralité et de réserve des agents publics pendant l’exercice de leurs fonctions

L’article L. 121-2 du Code général de la fonction publique dispose que : « Dans l’exercice de ses fonctions, l’agent public est tenu à l’obligation de neutralité. Il exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s’abstient notamment de manifester ses opinions religieuses. Il est formé à ce principe. L’agent public traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité ».
L’agent public ne peut pas exprimer ses opinions politiques pendant l’exercice de ses fonctions. En dehors de ses fonctions, l’agent public bénéficie de la liberté d’expression, mais il est soumis à une obligation de réserve car il doit observer une certaine retenue dans l’expression de ses opinions. Par exemple, en période électorale, l’obligation de réserve de l’agent public se traduit par le fait de montrer que l’Administration n’est pas au service d’un candidat ou d’un parti.

3. L’obligation d’obéissance des agents publics

L’article L. 121-1 du Code général de la fonction publique ajoute que : « l’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ».

En cas d’arrivée au pouvoir d’un parti politique dont les agents publics ne partageraient pas l’opinion, ils pourraient refuser d’obéir uniquement à leur hiérarchie uniquement si les demandes sont illégales et contraires à l’intérêt public. Néanmoins, le refus d’obéissance ne peut pas se fonder sur des intentions ou des déclarations de programmes.

4. La protection par le grade en cas de désaccord politique pour les fonctionnaires

L’article L. 411-5 du Code général de la fonction publique précise que : « Le grade est distinct de l’emploi. Le grade est le titre qui confère à  son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui lui correspondent ».

En cas d’arrivée au pouvoir d’un parti politique dont les agents publics ne partageraient pas l’opinion, les agents publics seraient également protégés car ils ont vocation à occuper tout emploi du grade dont ils sont titulaires et ne pourraient pas perdre leur emploi sur le seul motif de leur opinions politiques opposées à celle du parti au pouvoir.

Chaque agent public est donc libre d’avoir une opinion – et même un engagement – politique, mais cette liberté est assortie d’obligations afin de garantir l’intérêt général et le bien vivre ensemble.

Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public

1. « Fonctionnaires d’État, nous n’obéirons pas » : avant les législatives, des cadres de l’Éducation nationale assurent qu’ils n’appliqueront pas les éventuelles mesures du RN (dernière consultation le 27 juin 2024).

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