Analyse des spécialistes / Commande publique

L’inflation des données de la commande publique à publier

Publié le 13 juin 2024 à 10h00, mis à jour le 13 juin 2024 à 10h00 - par

La dynamique d’ouverture des données (ou open data) de la commande publique vise à répondre, notamment, aux objectifs de prévention et de lutte contre la corruption, de bonne gestion des deniers publics, de pilotage des politiques d’achat et de développement économique des entreprises.

L'inflation des données de la commande publique à publier
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Si les acheteurs publics ont l’obligation de publier certaines données relatives aux marchés publics depuis 2004 (article 138 du Code des marchés publics de 2004 puis article 133 du Code des marchés publics de 2006), ces dernières étaient inexploitables car non normées et publiées sur une multitude de sites internet.
Aussi, dans le cadre de la transposition des directives européennes de 2014, la notion de « données essentielles » est apparue à l’article 107 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2006 (reprise à l’article L. 2196-2 du Code de la commande publique) avec l’obligation pour les acheteurs publics de publier certaines données dans un format ouvert, gratuit, réutilisable et sur une plateforme unique : le portail national des données ouvertes.

Si la France est classée en première place en matière d’open data en Europe pour la 3e année consécutive selon la Commission européenne, force est de constater qu’en matière de commande publique, certains acheteurs publics ne publiaient pas (encore) leurs données essentielles pour des diverses raisons. Or, à compter de 2024, l’Observatoire économique de la commande publique (OECP) va réaliser annuellement le recensement économique des achats publics (REAP) uniquement à partir des données essentielles de la commande publique (DECP).

Au-delà de la publication de ces données, les acheteurs publics ont également l’obligation de publier des données relatives à certains marchés publics (ex. : Loi Egalim, loi AGEC) mais également les données relatives aux indicateurs des schémas de promotion des achats socialement et écologiquement responsable (SPASER).

Aussi, les acheteurs publics doivent faire face à une multiplication de données relatives à la commande publique à publier et à déclarer.

1. La publication des données essentielles de la commande publique (DECP)

Le décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du Code de la commande publique et l’arrêté du 22 décembre 2022 ont modifié le cadre règlementaire des DECP. Ce nouveau cadre est entré en vigueur le 1er janvier 2024 pour les marchés publics notifiés à compter de cette date.

Plus précisément, pour les marchés dont le montant est supérieur à 40 000 euros HT, les acheteurs publics doivent publier jusqu’à 27 données et, notamment, la présence (ou non) de considération sociale, de considération environnementale et d’un marché innovant.

En outre, les acheteurs publics doivent également publier 7 données liées à la déclaration de sous-traitance, 6 données relatives à la modification des marchés et 5 données liées à la modification de l’acte de sous-traitance en cours de marchés.

Si l’arrêté du 22 décembre 2022 visait uniquement les données dont les marchés sont notifiés à compter du 1er janvier 2024, l’arrêté du 18 mars 2024 vient modifier le dispositif afin de préciser que les données essentielles relatives aux modifications de marchés, aux actes de sous-traitance, aux actes modificatifs de sous-traitance qui se rapportent aux marchés publics notifiés avant le 1er janvier 2024, doivent également être publiés en open data.

Au-delà de la publication de ces données, les acheteurs publics doivent également déclarer certaines données liées à l’exécution de certains marchés.

2. La déclaration de données relatives à l’exécution de certains marchés publics

Les premières données à déclarer sont relatives aux dépenses des denrées alimentaires destinées à entrer dans la composition des repas servis dans les restaurants collectifs. En effet, l’article L. 230-5-1 du Code rural et de la pêche maritime (issu de la loi Egalim de 2018) a été modifié par la loi Climat et résilience de 2021 afin d’imposer un reporting annuel de ces dépenses afin d’établir un bilan statistique annuel.

Plus précisément, l’arrêté du 14 septembre 2022 précise que les données relatives aux dépenses de produits durables et de qualité, des produits issus de l’agriculture biologique, des viandes et produits de la mer durables et de qualité et des produits issus d’un circuit court ou d’origine France doivent être déclarées annuellement sur la plateforme ma cantine avant le 31 mars de chaque année pour l’année N-1.

En plus des dépenses des denrées alimentaires, le décret n°2021-254 du 9 mars 2021 (abrogé et remplacé à compter du 1er juillet 2024 par le décret n° 2024-134 du 21 février 2024) impose aux acheteurs publics de déclarer les dépenses annuelles relatives à l’acquisition de produits d’occasion, reconditionnés et/ou intégrant des matières recyclées des produits visés à l’arrêté du 29 février 2024. À compter du 1er juillet 2024, ces données devront être publiées annuellement sur le portail data.gouv.fr (et non auprès de l’Observatoire économique de la commande publique) avant le 30 juin de l’année N+1.

Enfin, afin de rendre compte des obligations prévues aux articles L. 224-7 et suivants du Code de l’environnement en matière d’acquisition de véhicules propres, les acheteurs publics doivent publier annuellement les données relatives au renouvellement de leur parc de véhicules afin de déterminer la part de véhicules à faibles émissions (VFE) et à très faibles émissions (VTFE) qu’ils comportent. Ces données doivent être déclarées avant le 30 septembre de l’année N+1 sur le portail data.gouv.fr conformément à l’article D. 224-15-13 du même Code.

Outre la publication des DECP et la déclaration des données relatives à l’exécution de certains marchés publics, les acheteurs doivent également mettre en ligne les résultats de leur SPASER.

3. La mise en ligne des indicateurs du SPASER

L’article L. 2111-3 du Code de la commande publique dispose que le SPASER doit déterminer des objectifs de politique d’achat de biens et de services (et travaux) comportant des éléments à caractère social et des éléments à caractère écologique, d’une part, et des indicateurs précis (exprimés en volume ou en valeur) sur les taux réels d’achats publics, d’autre part.

Aussi, le SPASER doit fixer des objectifs en matière d’achats socialement responsables (ex. achats réalisés auprès des ESUS) et écologiquement responsables (ex. achats liés à l’économie circulaire) puis les indicateurs doivent être publiés tous les deux ans afin de permettre à toutes personnes (physiques ou morales) intéressées de les consulter.

À titre d’illustration, à la suite de l’adoption de son SPASER pour la période 2018-2022, la Région Bretagne a mis en ligne en mai 2022 son observatoire des données de l’achat public afin de publier les objectifs et indicateurs de chaque chantier déterminé dans son schéma.

Pour son nouveau SPASER pour la période 2023-2025, les nouveaux objectifs et indicateurs seront également publiés sur l’observatoire des données de l’achat public avec un rappel des objectifs et résultats du 1er SPASER.

Cet effort de transparence et de partage des données a été relevés par le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESER) de Bretagne dans son avis de 2018 puis dans son avis de 2022 en soulignant que « cette innovation unique en France […] facilitera le suivi des nouveaux indicateurs retenus dans le SPASER 2023-2025 ».

Conclusion

Si la non-publication des données en open data n’est pas sanctionnée, il convient de noter que le principe du « name and shame » peut trouver à s’appliquer en cas de non-respect de ces obligations.

En effet, à l’instar de la publication du délai global de paiement pour l’année 2023 des collectivités territoriales sur la plateforme des données ouvertes du ministère de l’Économie et des Finances, il est envisageable d’imaginer une publication de la liste des acheteurs publics n’ayant pas publié leurs DECP et/ou une autre liste des acheteurs n’ayant pas atteint les objectifs fixés par la loi AGEC, Egalim et/ou par le Code de l’environnement.

Au-delà des contraintes techniques (ex. données relatives aux modifications de marchés et aux actes de sous-traitance) et des moyens mis à disposition pour accomplir ces publications, il convient de sensibiliser tous les acteurs à l’acte d’achat de l’intérêt de compiler et partager ces données.

À défaut, la collecte puis la publication de toutes ces données ne seront pas et/ou mal réalisées car « trop de données, tue la donnée ».

Baptiste Vassor, Juriste, expert achat

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat


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