Même en procédure adaptée avec négociation, l’acheteur ne peut attribuer le marché à une offre irrégulière
Une société demandait au juge administratif de condamner un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à lui verser une somme en réparation de son manque à gagner résultant de son éviction irrégulière d’un marché relatif à la préparation et au service de repas aux résidents, personnel et personnes extérieures de l’établissement. Après information du rejet de son offre, la société arrivée seconde a sollicité la communication des motifs du rejet de son offre. L’établissement public a transmis au candidat non retenu le tableau de notation des offres, duquel il ressort que l’offre de la société retenue, sa concurrente, était la mieux classée. Estimant que le marché avait été attribué dans des conditions irrégulières, la société requérante a adressé à l’établissement public, une réclamation indemnitaire en réparation du préjudice causé par son éviction irrégulière. Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation. Aux termes de l’article L. 2152-1 du Code de la commande publique, l’acheteur doit écarter les offres irrégulières. Ces dispositions sont applicables tant aux procédures formalisées qu’aux procédures adaptées. Ainsi, si le règlement de la consultation peut prévoir, dans le cadre d’une procédure adaptée, le recours à une négociation, y compris avec des candidats ayant présenté une offre irrégulière, l’acheteur public doit cependant, à l’issue de la négociation, rejeter sans les classer les offres qui sont demeurées irrégulières.
En l’espèce, lors de la négociation, la société attributaire a présenté une « contre-proposition ». Or cette contre-proposition, qui a permis à la société attributaire de proposer une économie substantielle par an, liait cette économie à une modification des prestations par rapport aux spécifications prévues par le cahier des clauses techniques particulières. Peu importe que cette « contre-proposition » de la société attributaire qui constituait une version modifiée de son offre, n’aurait pas été contractualisée. Ce motif est sans influence sur l’obligation, pour l’acheteur, de rejeter sans classement ni notation les offres qui, à l’issue de la négociation, sont irrégulières.
Une perte de chance sérieuse d’obtenir le marché ouvre un droit à indemnité
Lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché. Dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique. En l’espèce, si l’acheteur avait, comme il en avait l’obligation, écarté l’offre de la société attributaire comme irrégulière, l’établissement public aurait normalement été conduit à retenir l’offre de la société Nature Collective, classée seconde, avec, d’ailleurs, une note voisine de 77 sur 100 contre 79 sur 100 pour la société retenue. Il en résulte que la société non retenue est fondée à soutenir que l’irrégularité ainsi commise lui a fait perdre une chance sérieuse de remporter le marché. Concernant l’indemnisation de son manque à gagner, pour un marché reconductible, le manque à gagner ne revêt un caractère certain que s’agissant de la première période d’exécution. Il en résulte que la société requérante n’est fondée à demander l’indemnisation de son manque à gagner qu’au titre des deux années de la période initiale d’exploitation du marché. Ce manque à gagner correspond au résultat net supplémentaire qu’elle aurait réalisé si elle avait remporté le marché.
Texte de référence : CAA de Marseille, 6e chambre, 14 octobre 2024, n° 22MA01469, Inédit au recueil Lebon