L’inflation normative perdure selon une enquête du Sénat

Publié le 13 février 2025 à 9h45 - par

Le ras le bol des élus locaux à l’encontre des normes est toujours aussi vivace. Ils continuent de dénoncer leur profusion, complexifiant voire empêchant bon nombre de projets locaux, souligne une nouvelle étude de la délégation aux collectivités du Sénat menée auprès des élus locaux. Autre constat : ils connaissent très peu le pouvoir de dérogation aux normes du préfet, et quand c’est le cas, ils en disent le plus grand bien.

L'inflation normative perdure selon une enquête du Sénat
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53 % des élus locaux ressentent une aggravation des normes depuis trois ans, le chiffre grimpant à 59 % pour les maires et même à 67 % pour les présidents d’EPCI. Tel est l’un des résultats de l’enquête de la délégation aux collectivités territoriales et à laquelle 2 613 élus locaux ont répondu.
« Il s’agit d’un chiffre préoccupant qui concerne toutes les catégories d’élus », a estimé Rémy Pointereau, premier vice-président de la délégation sénatoriale, en charge de la simplification des normes, lors de la présentation des résultats à l’occasion d’une matinée, organisée le 30 janvier dernier, par la délégation sur la simplification des normes pesant sur les collectivités.
Parmi les items les plus cités par les répondants figurent la lourdeur administrative ou la complexité liée à la dématérialisation et à la numérisation.

Impact négatif fréquent sur les projets

« Sondage après sondage, les élus nous disent que ce sujet figure en tête de leurs priorités », rappelle le sénateur du Cher. Mais il veut donner « une lueur d’espoir » en rappelant qu’à la même question, posée dans une précédente étude réalisée en 2023, les élus locaux avaient répondu à 80 %.
Néanmoins, les normes, par leur complexité ou leur contradiction, ont impacté négativement des projets pour 66 % des élus (69 % des maires et 78 % des présidents d’EPCI). Avec pour conséquence, sur certains projets, de supporter un coût plus élevé (59 % des élus. 61 % des maires et 82 % des présidents d’EPCI), de devoir les modifier (44 %) voire les reporter (40 %). 26 % des élus ont même dû abandonner certains projets.
Lors d’expériences négatives, seulement 20 % des élus affirment avoir été bien accompagnés par l’État pour résoudre les difficultés rencontrées liées aux normes. De façon surprenante, ce ne sont pas les élus des plus petites communes qui se sentent les moins bien accompagnés (21 % de oui) mais ceux des plus grandes communes de 20 000 habitants ou plus (13 %).

Renforcer le pouvoir de dérogation local des préfets

Seulement 16 % des élus (38 % des présidents d’EPCI) connaissent le pouvoir de dérogation du préfet, l’autorisant à déroger à des normes de l’État dans ses domaines de compétences. Pour ce droit institué en 2020, le préfet ne peut déroger qu’à des règles réglementaires et non pas législatives. Parmi les élus connaissant ce droit, pas plus de 14 % l’ont utilisé alors que 72 % de ceux l’ayant fait l’ont jugé efficace.
Dans les domaines pour lesquels le pouvoir de dérogation est jugé prioritaire par les élus, la construction, le logement et l’urbanisme arrivent en tête (29 %). À ce sujet, le verbatim pour le moins critique d’un élu est éclairant : « les dernières normes applicables au PLU sont indigestes, très complexes à comprendre et intégrer et donc à expliquer, ce que multiplie les recours ». Un autre pointe « trop de normes supra communales qui s’imposent à la collectivité et brident la libre administration ».
Les autres domaines jugés prioritaires par les élus pour l’exercice de ce droit sont les subventions, les concours financiers et les dispositifs de soutien (25 %) ou l’aménagement du territoire et la politique de la ville (14 %). À noter que l’emploi et l’activité économique n’atteignent que 4 %.

« Signal d’alerte sur des normes trop complexes ou inefficaces »

Sur le sujet du pouvoir de dérogation des préfets, la délégation sénatoriale doit remettre un rapport et une série de propositions, le 13 février 2025, pour le renforcer. En premier lieu, elle juge impératif de faire mieux connaître cette procédure. « Il est essentiel d’associer étroitement les élus locaux au pouvoir de dérogation », ajoute Guylène Pantel, co-rapportrice de la mission flash avec Rémy Pointereau, en rappelant que 90 % des arrêtés de dérogation concernent les collectivités. Et d’appeler à « la création d’une conférence de dialogue dans chaque département ». De plus, selon la sénatrice de la Lozère, le pouvoir dérogation doit servir de « signal d’alerte sur des normes trop complexes ou inefficaces ». Elle cite ainsi certains décrets apportant des précisions que le législateur n’a pas souhaités comme par exemple sur les conditions de versement de la DETR.
Dans un souci de simplification, 79 % des élus se disent favorables à la mise en place d’un guichet unique en préfecture pour faciliter leurs démarches.

Logement et urbanisme : une mission du Conseil d’État

Par rapport aux fortes attentes des élus sur la simplification des domaines de la construction, du logement et de l’urbanisme, le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) veut se mobiliser. Son président, Gilles Carrez, a annoncé aux sénateurs qu’un travail spécifique allait être engagé sur ce sujet par le Conseil d’État, suite à une saisine du Premier ministre. La première tâche sera de définir un périmètre sur l’élaboration des différents schémas (Scot, PLU, certaines ZAC complexes…).
« Sur cette base, le Conseil d’État va mener une mission rapide de deux ou trois mois afin de formuler une série de propositions », indique Gilles Carrez. Ensuite, le CNEN, les associations d’élus et les délégations parlementaires aux collectivités formuleront à leur tour des propositions de simplification réglementaire de certaines dispositions. « Il y aura aussi une approche de « délégalisation » qui nécessite de saisir le Conseil constitutionnel, lequel donne son accord rapidement dans 90 % des cas », souligne le président du CNEN. Selon Gilles Carrez, l’objectif est « de ne pas repartir dans un processus législatif compliqué et long ».
Le programme des Assises de la simplification, devant se tenir début avril, s’annonce bien chargé.

Philippe Pottiée-Sperry


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