Dès 2018, dans son rapport « Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne », Cédric Villani soulignait que « de la même façon que les acteurs privés doivent se saisir des problématiques de l’IA et en devenir des acheteurs, la puissance publique devra également y avoir recours pour ses propres besoins ». À la suite de ce rapport, la France s’est dotée d’une stratégie nationale pour l’IA avec plus de 2 milliards de financement public sur plusieurs années.
Malgré cette dynamique, nous avons tous pris conscience des opportunités (et des risques) de l’IA avec ChatGPT en novembre 2022. Depuis, les termes « Intelligence artificielle » sont évoqués tous les jours dans la presse, dans les entreprises et dans les administrations. À ce titre, l’État vient de lancer en 2024 Albert, un agent conversationnel (chatbot) qui est un assistant d’information juridique qui vise à épauler les agents publics sur des questions pratiques.
Très rapidement, cette nouvelle technologie pose la question de l’impact sur l’emploi ; selon une étude des élèves de l’INET « Quel impact de l’IA sur les métiers dans les collectivités ? » publiée en avril 2024, le métier d’acheteur public sera impacté par l’IA sans plus de précision.
Dans son rapport « La digitalisation de la commande publique » publié en décembre 2023, la Chaire de droits des contrats publics de l’Université de Lyon III identifiait que les algorithmes étaient susceptibles d’être mobilisés dans la commande publique pour réaliser certaines tâches dans le cadre d’une procédure de marchés publics.
En réalité, l’IA aura des impacts sur les acheteurs publics mais également sur les opérateurs économiques en modifiant les pratiques actuelles sans qu’il soit possible de mesurer les impacts concrets à ce jour.
1. Vers une révolution pour les opérateurs économiques ?
Dans sa « Grande Enquête sur les marchés publics 2024 », la société TENGO relève que « la moitié des sondés n’ont pas encore utilisé l’intelligence artificielle pour les aider dans leurs réponses à appels d’offres mais aimeraient s’initier. 12 % n’y voit pas d’intérêt et autant pense que l’IA peut servir avant tout à l’analyse des documents ».
Au-delà de ce sondage, le co-fondateur de la société considère que « l’intelligence artificielle transforme radicalement la gestion des appels d’offres, offrant des avancées majeures tant dans l’analyse des opportunités que dans l’élaboration des réponses ». Plus précisément, il précise que « l’IA permet aux entreprises de filtrer et d’évaluer rapidement les appels d’offres, identifiant ceux qui correspondent le mieux à leurs capacités et à leurs objectifs stratégiques », d’une part, et que « l’intelligence artificielle a un énorme potentiel pour l’aide à la réponse, en aidant les entreprises à surmonter le défi majeur de créer des propositions non seulement convaincantes mais aussi parfaitement alignées sur les besoins spécifiques de l’acheteur », d’autre part.
Au regard du nombre de procédures publiées chaque année (environ 200 000 procédures pour plus de 450 000 lots) et du volume de données dans chaque DCE, de telles solutions utilisant l’IA peuvent effectivement être intéressantes pour filtrer rapidement les procédures auxquelles les entreprises peuvent / veulent répondre au regard de leur stratégie.
Ainsi, si la stratégie de l’entreprise est de ne plus répondre aux consultations qui n’intègrent pas de révision des prix lorsque la durée du marché est supérieure à 12 mois, l’outil de veille identifiera automatique que ce critère n’est pas rempli.
Demain, il sera surement possible d’aller encore plus loin en ajoutant des critères externes tels que la qualité de « mauvais payeurs » (au regard des données ouvertes publiées par le ministère de l’Économie). Dans un tel cas, l’outil de veille vous informera que le délai global de paiement (DGP) annuel moyen est supérieur au seuil que vous vous êtes fixés (ex. : 45 jours).
Ces exemples mettent en exergue que les candidats auront à disposition des outils qui révolutionneront leur prise de décision (GO/noGO) au regard de critères (internes et externes aux DCE) prédéfinis dans un seul outil. En revanche, l’expertise de l’Homme sera toujours déterminante pour répondre aux différentes questions mais aussi assurer le relationnel avec les donneurs d’ordre dans le cadre de l’exécution.
Enfin, il convient de relever que l’essor de l’IA arrive dans un contexte où il y a de moins en moins de concurrence dans les marchés publics comme l’a constaté la Cour des comptes de l’Union européenne sur la période 2011-2021.
Dans un tel contexte, les acheteurs seront contraints d’adapter leurs pratiques contractuelles afin de continuer d’intéresser les opérateurs économiques. En outre, ils pourront également recourir à l’intelligence artificielle pour optimiser leurs procédures d’achat.
2. Vers une évolution pour les acheteurs publics ?
Selon le rapport « La digitalisation de la commande publique » précité, il est envisageable d’imaginer un traitement automatisé et informatique de l’appréciation des capacités des candidatures dans la mesure où l’algorithme ne réaliserait qu’une appréciation objective au regard des critères prédéfinis par l’acheteur public (ex. chiffres d’affaires et effectifs). En revanche, pour les données telles que l’expérience des candidats ou les références, l’algorithme ne sera pas pertinent car l’appréciation est plus subjective.
Si cette solution peut être considérée comme une évolution, la véritable révolution serait très certainement de libérer les acheteurs publics de l’analyse des candidatures par la mise en place d’un robot conversationnel disponible sur les profils acheteurs et connecté aux différentes API (URSSAF, DGFIP, INPI, BODACC, RBE, Ademe…). Ce robot devrait permettre de l’interroger sur la capacité des candidats, d’une part, et sur les motifs d’exclusion prévus par le Code de la commande publique, d’autre part sur la base des données officielles.
En tout état de cause, la décision finale appartiendra toujours à l’acheteur public car il est le seul à pouvoir apprécier les mesures d’auto-apurement mises en œuvre pour certains motifs d’exclusion (articles L. 2141-6-1 et L. 2141-11) et/ou de décider de (ne pas) recourir à un motif d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur public (articles L. 2141-7 et suivants).
En tout état de cause, à ce jour, la solution MA-IA propose, notamment, un chatbot permettant de poser des « prompts » (ou questions) relatives au Code de la commande publique, aux CCAG, à la jurisprudence, à la rédaction d’une clause contractuelle ou encore de générer les courriers de rejet en quelques secondes (sur la base de vos données préalablement renseignées). Contrairement aux solutions généralistes, cette solution est entrainée et s’appuie uniquement sur des bases de données dédiées à la commande publique et actualisées en continu (guide, circulaire, DCE, jurisprudence…).
Conclusion
La véritable interrogation que les acheteurs publics devront se poser dans les prochaines années est comment collaborer avec des solutions basées sur l’IA. En effet, bien qu’il ne soit pas évident d’identifier les impacts sur les acheteurs publics, il est certain que l’IA viendra modifier les missions actuelles en les libérant de certaines actions à faibles valeurs ajoutées.
Dès lors, le développement de l’IA aura des impacts sur l’emploi comme le souligne, notamment, l’étude des étudiants de l’INET et un rapport de France Stratégie.
Cette évolution doit être l’occasion de s’interroger sur les pratiques et l’organisation des acheteurs publics afin de se concentrer sur les phases critiques d’une procédure de marchés publics à savoir l’expression du besoin et l’analyse des offres puis sur l’exécution des marchés.
Au-delà des changements pour les acheteurs publics, l’IA aura également des impacts sur les autorités de contrôle des marchés publics (AFA, DGCCRF, Cour des comptes) si ces dernières imaginent et investissent dans de telles solutions capables de traiter, croiser et restituer un grand volume de données.
Baptiste Vassor, Expert achats publics et administrateur de l’APASP
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