Le président du réseau, Dominique Royoux, professeur de géographie à l’Université de Poitiers et ancien directeur territorial au Grand Poitiers, nous explique l’enjeu de cette approche pour les collectivités locales.
WEKA : Pourquoi les collectivités devraient-elles intégrer la notion du temps dans leurs politiques ?
Dominique Royoux : La dimension du temps interroge toutes les dimensions des modes de vie en société. Mais je mesure la difficulté d’introduire de manière large cette thématique dans les collectivités, tant nous vivons désormais des temps enchevêtrés. En effet, dans la pratique des différents services, la dimension la mieux développée n’est pas celle des politiques transversales. Or, comment avoir par exemple une politique de mobilité, s’il n’y a pas en même temps une réflexion sur l’habitat et les équipements en fonction des mobilités, et donc du temps. Conséquence, on étale dans l’espace habitat et emplois. Nous nous sommes ainsi penchés sur la synchronisation des activités. Toutes les enquêtes montrent que les gens ont besoin de disposer d’un accès simultané aux ressources. Nous avons aussi travaillé sur l’évolution des nouveaux services. Les salariés aux horaires atypiques sont très nombreux. 37 % des salariés sont en horaire atypique au moins une fois par semaine. Ils ont donc besoin de services, de mode de garde, permettant de concilier vie privée et professionnelle. Enfin, nous avons abordé l’aménagement.
WEKA : Selon quelle modalité abordez-vous cette question de l’aménagement ?
Dominique Royoux : Tout d’abord, nous considérons l’étalement des flux. Par exemple, Rennes décale le début des cours à la faculté pour lisser l’heure de pointe dans le métro. En 2002, Poitiers avait déjà aménagé les horaires des transports. Ce sujet ne doit pas être appréhendé seulement sous l’angle de la construction d’infrastructures, mais de l’organisation, avec une concertation entre les générateurs de temps, en amont de l’aménagement. Travailler l’étalement des flux permet d’éviter de construire une rocade, ou investir toujours plus dans les transports publics. Nous proposons donc d’expérimenter sur les différentes façons dont les entreprises gèrent les arrivées de leurs salariés. À Plaine Commune, qui aura 46 000 salariés, le sujet est sur la table.
WEKA : Vous soulignez que la périurbanisation, l’habitat diffus, sont sources de déplacements et donc de perte de temps.
Dominique Royoux : Oui, les périphéries urbaines sont désormais définitives. Il faut maintenant les structurer en y amenant plus de ressources de façon à réduire les flux. Nous développons donc le thème de la polycentralité. N’est-il-pas temps de mettre en place de modèle de répartition de pôles de centralité regroupant activités et résidences ? Une meilleure gestion du temps suppose une meilleure gestion des pôles de ressources. Limiter les contraintes de mobilité passe par un remaniement en profondeur des périphéries en mini pôles de centralité. Cela apparaît dans les SCOT actuels. Et la loi NOTRe, en élargissant les intercommunalités va aussi dans ce sens. Par exemple, l’agglomération de Poitiers passe de 13 à 42 communes, et son rayon de 15 à 40 kilomètres. Impossible de l’organiser sans véritable pôles de centralité. La gestion du temps donne des arguments pour aller vers cette démarche.
WEKA : L’embellissement des espaces publics est un enjeu pour les collectivités. Les politiques temporelles trouvent-elles à s’exercer là-aussi ?
Dominique Royoux : Oui, on constate, de manière empirique, que l’occupation de l’espace public évolue. Naguère, jusqu’au début des années 2000, lors des périodes de non travail, il était occupé par des catégories de population homogènes. Depuis, avec les aménagements du temps de travail, sa fragmentation, le chômage, les modalités d’occupation de l’espace public changent. Elle est plus continue, fait cohabiter diverses catégories sociales. Pour rendre cette cohabitation entre différents usages possible faut-il aller, sur un même espace, vers des usages successifs ou simultanés ? Où aménage-t-on des espaces plus propices à tel ou tel usage ? À Poitiers, le nouvel espace devant l’Hôtel de ville a attiré de nouveaux usages, skate, déambulation rapide des jeunes, stationnement de personnes plus âgées… Cette cohabitation a dû se réguler. L’espace public est de plus en plus revendiqué comme espace commun. Faudra-t-il l’organiser pour faciliter plusieurs rythmes d’usage ? Cette question n’est pas neutre pour les politiques d’aménagement.
WEKA : Tempo territorial développe aussi une réflexion sur la polyvalence des bâtiments.
Dominique Royoux : Si l’on veut réduire les mobilités contraintes, la polyvalence des usages doit conduire à concevoir des bâtiments polyvalents, à leur imaginer une malléabilité en fonction des usages. Par exemple, des parkings qui deviennent commerces ou logement, des locaux pour start-up qui peuvent facilement s’agrandir, des écoles ouvertes en dehors des heures de classe. Certes, cela pose le problème du gardiennage. Mais on peut concevoir des bâtiments avec plusieurs entrées permettant des usages successifs ou simultanés. Cela limite des déplacements et les coûts de construction.
WEKA : Quel impact de la temporalité sur l’évolution des projets urbains ?
Dominique Royoux : Il faut prendre le temps de l’évaluation, de la concertation, pour concevoir la réorientation du projet, son évolution dans le temps. Par exemple, la recherche montre qu’en 2025, en Poitou-Charentes, il faudra de petits logements sociaux en périphérie des villes. Pourquoi ? Parce que les jeunes couples d’aujourd’hui divorceront mais ne voudront pas retourner en centre-ville, là où sont les logements sociaux. Cela signifie qu’un ou deux tiers d’un projet conçu aujourd’hui doit pouvoir être réorienté, modulé. Par exemple avec des tranches conditionnelles dans les appels d’offre.
Propos recueillis par Martine Kis
Source : « Prendre en compte le temps dans l’aménagement », Tempo territorial, 2017