Un « gap » comme on dit… Récemment interrogés par leur association sur l’épineux sujet du statut au sein de la FPT*, les DG des communautés de France ont massivement pointé le différentiel désormais flagrant entre les principes qui sous-tendent celui-ci et la réalité de sa pratique, voire la pratique de la réalité ! Neutralité et impartialité, continuité du service, égalité d’accès à l’emploi… Si telles sont bien, en effet, les valeurs que le statut a vocation à garantir pour respectivement 89 %, 87 % et 78 % des répondants, la rupture s’avère largement consommée dès lors que la théorie fait place au concret : ainsi, les DG sondés ne sont plus que trois sur quatre à saluer une fonction publique toujours neutre et impartiale dans les faits, 58 % seulement à estimer que les citoyens bénéficient effectivement d’un accès égalitaire à l’emploi public et à peine plus d’un sur deux (53 %) à considérer le statut comme préservant réellement les agents de l’arbitraire.
Au quotidien, les belles intentions du statut se heurteraient même désormais carrément aux exigences managériales nouvelles, notamment par une gestion trop égalitaire préjudiciable au développement de la méritocratie (76 %), un concours inadapté qui n’est plus le garant de la compétence et du professionnalisme des agents (79 %) et, de manière générale, une rigidité pesante au regard des besoins en recrutement (71 %).
Faire sens avec efficience
Cette vision, ce ressenti, ne sont pas nouveaux. Et s’ils ouvrent à l’ADGCF l’occasion aujourd’hui de formuler quelques propositions d’amélioration ou d’adaptation statutaires, ces résultats mettent aussi en exergue, pour la énième fois, l’explosive confrontation des valeurs traditionnelles du service public à celles portées par la nouvelle gestion de ce dernier… Une gestion aussi férue de performance qu’elle est attendue en termes de flexibilité, de transparence et d’autonomie. Comment donc, en effet, organiser et manager dans ce nouveau cadre ? Comment respecter les fondements publics tout en sachant les faire évoluer, et s’y appuyer, autant pour faire sens qu’efficience ? Autrement dit, comment aujourd’hui « Vivre les valeurs du service public » ?
Dès la couverture, la question est ainsi clairement posée par l’ouvrage qu’ont récemment conçu et coordonné Fabrice Larat, directeur du centre d’expertise et de recherche administrative de l’ENA, et Christian Chauvigné, psychosociologue consultant et ancien directeur de la qualité à l’EHESP**, professeur associé à l’Université de Rennes 2.
En quelque 200 pages au fil desquelles se succèdent cas pratiques, éclairages et perspectives, l’ouvrage a l’immense mérite d’offrir tout à la fois un large éventail d’exemples empruntés aux différents terrains et métiers publics (FPT, établissements scolaires, centres hospitaliers et sociaux, armée…), des analyses contextualisées très variées et l’ouverture de regards étrangers pour mieux passer, sans la dénaturer, la qualité de service au fin tamis de l’efficacité. Bref, des pistes, qui au-delà de la simple proclamation, permettent concrètement de « concilier les principes et les réalités et d’ancrer les premiers dans les secondes » afin de « donner sens et cohérence à l’action publique », comme le souligne le vice-Président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, en préface dudit ouvrage. Pour qu’enfin les valeurs voient leur traitement managérial porté au cœur de l’action de services publics et que, d’hier comme d’aujourd’hui, elles ne soient jamais réduites à devenir de commodes antiennes.
Laurence Denès
* Enquête qualitative et quantitative menée au sein des adhérents de l’ADGCF et réalisée à partir de plus de 700 réponses.
** École des hautes études en santé publique (EHESP)
Source : Vivre les valeurs du service public – Appropriations, pratiques et défis, Presses de l’EHESP / Collection « Profession cadre du service public », novembre 2016