Analyse des spécialistes / Achats

Comment organiser la « fonction achats » au sein des Groupements hospitaliers de territoires (GHT) au regard du droit des marchés publics ?

Publié le 28 octobre 2016 à 13h54, mis à jour le 28 octobre 2016 à 13h54 - par

Les récentes réformes du droit des marchés publics1 et du droit de la santé créant les Groupements hospitaliers de territoires (GHT) conduisent à analyser le nouveau cadre de la fonction achats au sein des établissements publics de santé. État des lieux et perspectives par Alexandre Le Mière, Avocat associé chez Redlink.

Alexandre Le Mière, Avocat associé chez Redlink

Alexandre Le Mière

 

La finalité du GHT et le cadre juridique

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a créé les Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Ils sont régis par les dispositions des articles L. 6132-1 à R. 6132-7 du Code de la santé publique (CSP), ainsi que par les dispositions des articles R. 6132-1 à R. 6132-24 du même Code, issus du décret n° 2016-524 du 27 avril 2016 relatif aux groupements hospitaliers de territoire.

La création des GHT s’inscrit dans le cadre, large, de la modernisation du système de santé dont les objectifs sont d’améliorer la santé des Français, de faciliter les parcours de santé, d’innover pour garantir la pérennité du système de santé et de renforcer l’efficacité des politiques publiques et la démocratie sanitaire.

Le GHT a été politiquement conçu comme un (des) moyen(s) permettant d’atteindre ces objectifs au regard d’un diagnostic essentiel : la nécessité de développer, effectivement et concrètement, les coopérations hospitalières2.

Le GHT a été pensé comme un outil de coopération3 reposant sur quatre éléments clés : l’adhésion obligatoire (des établissements publics de santé), l’absence de personnalité morale (art. L. 6132-1 I du CSP), la mise en œuvre d’une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient, l’élaboration d’un projet médical partagé, la mise en commun des fonctions (art. L. 6132-1 II du CSP)4.

La mise en commun de la fonction achat

La création et l’organisation des GHT impliquent l’adoption d’une convention constitutive qui doit définir et arrêter le projet médical partagé, son organisation et ses modes et modalités de fonctionnement (art. L. 6132-2 CSP5).

Les établissements parties à la convention doivent désigner un « établissement support » qui doit assurer diverses fonctions listées par la loi (art. L. 6132-3 I du CSP), dont notamment « la fonction achats ».

Notons que l’établissement support peut également assurer d’autres fonctions de gestion, pour le compte des établissements parties, et notamment « des activités administratives, logistiques, techniques et médicotechniques » (art. L. 6132-3 II du CSP) qui ne sont pas, par nature, dépourvues de lien avec la « fonction achats ».

Ces diverses fonctions sont visées sous la dénomination « fonctions mutualisées » dans la partie réglementaire du Code de la santé publique (cf. Section 4, art. R. 6132-15 et suivants).

L’article R. 6132-16 du CSP dispose ainsi :

« I.- La fonction achats comprend les missions suivantes :

  • 1° L’élaboration de la politique et des stratégies d’achat de l’ensemble des domaines d’achat en exploitation et en investissement ;
  • 2° La planification et la passation des marchés ;
  • 3° Le contrôle de gestion des achats ;
  • 4° Les activités d’approvisionnement, à l’exception de l’approvisionnement des produits pharmaceutiques.

II.- Un plan d’action des achats du groupement hospitalier de territoire est élaboré pour le compte des établissements parties au groupement6. ».

La mise en œuvre concrète de la « fonction achats » au regard des règles de la commande publique

  1. L’article 10 de l’ordonnance n° 20115-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics dispose que les acheteurs publics sont – notamment – « les personnes morales de droit public ».Rappelons également qu’en vertu de l’article 4 de la même ordonnance, les marchés publics sont les marchés conclus par les acheteurs avec des opérateurs (publics ou privés) pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, fournitures et services.

    Or, comme indiqué ci-avant, les GHT n’ont pas la personnalité morale. Ils ne peuvent donc, par eux-mêmes, par avoir la qualité d’acheteur public.

    La prise en compte de cet aspect est absolument fondamentale pour structurer et organiser la « fonction achats » dans le cadre des GHT.

    En effet, l’établissement support désigné, qui va assurer la « fonction achats », ne devient donc pas l’acheteur public à la place des autres établissements parties (étant rappelé qu’il est lui-même « par ailleurs » établissement partie).

  2. L’établissement support va en effet d’abord initier la politique et la stratégie d’achat (en cohérence et en convergence avec la « stratégie de prise en charge commune graduée du patient » [art. L. 6132-1 du II CSP] et le « projet médical partagé » [art. L.6132-2 II 1° du CSP]). À partir de cela, il pourra planifier les marchés, ainsi que leur passation.Du point de vue du droit de la commande publique l’établissement support va donc avoir la mission de déterminer et définir « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire » au sens de l’article 30 de l’ordonnance du 23 juillet 2015.

    Une telle mission implique nécessairement un travail commun de tous les établissements parties (et donc y compris de l’établissement support pour lui-même) tant au regard des aspects techniques et administratifs de l’achat public, qu’au plan financier. Car, en effet, chaque établissement partie reste l’acheteur, le bénéficiaire7 et donc le « payeur » des prestations fournies par l’opérateur titulaire du marché public.

    L’établissement support va ensuite pouvoir mettre en œuvre une politique de suivi de l’exécution des marchés au titre du contrôle de gestion des achats et des activités d’approvisionnement.

    Une telle mission, très importante puisqu’elle permet de faire en sorte que les engagements pris lors de la conclusion du marché, sur la base des prévisions établies, sont respectés à tous les points de vue (technique, opérationnel, administratif et financier), implique là aussi une coopération forte entre l’établissement partie bénéficiaire du marché public et l’établissement support qui a la charge d’en assurer le suivi « contractuel ».

  3. L’architecture juridique et fonctionnelle décrite ci-avant permet de structurer et d’organiser la « fonction achats » de façon plus précise au regard d’une part de la notion de personnalité morale et d’autre part de la coopération et de la mutualisation qu’impliquent le GHT.Relevons au préalable que cette coopération-mutualisation de la « fonction achats » peut trouver son support juridique « miroir » au sein de l’ordonnance du 23 juillet 2015 dans l’article 18 qui, précisément, prévoit la « coopération entre pouvoirs adjudicateurs ».

    Dans ce cadre, il appartient au GHT de définir les modalités et conditions de fonctionnement et d’organisation de sa « fonction achats » et au regard des règles applicables aux marchés publics8 tout en pouvant s’inspirer des schémas proposés par l’ordonnance du 23 juillet 2015 concernant les « centrales d’achats » (article 26 de l’ordonnance) et les « groupements de commande » (art. 28 de l’ordonnance)9.

    À cet égard, la mise en œuvre de la « fonction achats » implique de réfléchir et penser en amont la façon dont l’établissement support sera habilité à agir vis-à-vis des « tiers » (candidats et le cas échéant titulaires) pour les établissements parties et, partant de mettre en place des délégations d’attributions et/ou de signatures afin de sécuriser les processus mis en œuvre10 (en gardant à l’esprit que l’acheteur « responsable » reste toujours l’établissement partie). Néanmoins, compte tenu du support qu’offrent les articles L. 6132-1 et suivants du Code de la santé publique d’une part et des outils habituels et connus des établissements de santé en matière d’habilitation et de délégation, ces sujets relèvent plus d’une analyse prospective pour déterminer le bon support juridique que d’une réelle difficulté juridique qui pourrait exister.

  4. Le GHT apparait ainsi constituer une véritable opportunité pour créer et organiser une « expertise achats » combinant à la fois l’expertise des « utilisateurs » ou « clients internes » (c’est-à-dire les bénéficiaires de la prestation au sein de chaque établissement partie), l’expertise des « acheteurs » (c’est-à-dire les personnes chargées de l’élaboration la documentation précontractuelle pour la passation et la documentation contractuelle pour l’exécution du marché) et l’expertise des « stratèges » (c’est-à-dire de ceux qui pensent, animent et portent la « stratégie de prise en charge commune graduée du patient » [art. L. 6132-1 II du CSP] et le « projet médical partagé » [art. L. 6132-2 II 1° du CSP]).

Si l’on peut s’autoriser un néologisme pour tenter de caractériser et de comprendre d’un mot ce qu’est le GHT du point de vue de la commande publique on pourrait dire qu’il s’agit là d’un outil de « coopéralisation » en ce qu’il combine à la fois la « coopér-a-tion » des établissements et la « mutu-a-lisation » de la gestion de leurs besoins et d’une de leurs besoins.

 

Alexandre Le Mière, Avocat associé chez Redlink

 


Notes :

1. Il est préalablement précisé que la « commande publique » renvoie ici restrictivement aux seuls « marchés publics » régis par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ; il est souligné que la « commande publique » est une notion plus large qui renvoie notamment aux « concessions » régies par l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016.

2. Ce que les outils juridiques créés précédemment ont imparfaitement réussis à susciter.

3. Remplaçant les « communautés hospitalières de territoires ».

4. Pour des indications détaillées et pratiques, voir le vade-mecum « GHT – Mode d’emploi » établi par le ministère de la Santé.

5. Les conventions constitutives de GHT ont normalement dû être signées au 1er juillet 2016.

6. Il convient ici d’indiquer que conformément à l’article 5 VI du décret n° 2016-524 du 27 avril 2016, le plan d’actions des achats doit être élaboré au plus tard pour le 1er janvier 2017.

7. Hormis les cas éventuels ou un marché sera passé par l’établissement support pour les besoins de sa fonction achats.

8. Il est rappelé à cet égard que les marchés publiques ne sont qu’un aspect de la « fonction achats » à organiser au sein d’un GHT ; d’autres missions pouvant relever de la « fonction achats » (en tant qu’elle devient un expert de la « contractualisation » au sein du GHT) peuvent être appréhendées concernant les « concessions » (qui relèvent de la commande publique) ou encore la gestion des « propriétés publiques », des mécénats ou de partenariats (qui ne relèvent pas de la « commande publique »).

9. Tout en réfléchissant dans le même temps aux différents techniques d’achat offertes par le droit des marchés publics adéquates au regard de l’organisation en GHT (on pense bien évidemment en premier lieu aux accords-cadres [art. 78 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016]).

10. La réflexion pouvant être, à ce titre, étendue à des mécanismes de type « mise à disposition » qui pourraient permettre d’impliquer le « représentant » de l’établissement partie au sein de l’établissement support, lequel pourrait ainsi avoir la connaissance « locale » et « support ».


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