En résumé, une réforme qui vise à donner à un acheteur public plus professionnel et plus responsable davantage d’autonomie et de possibilités d’actions en amont (consécration du sourcing), pendant les procédures (simplification des démarches, rattrapage d’offres et négociation) mais davantage de contraintes en phase d’exécution (évolution des avenants et clauses d’évolution), phase la plus à risques en matière de corruption.
La négociation, de quoi parle-t-on ?
Définition
La négociation se définit couramment comme la recherche d’un accord, centrée sur des intérêts matériels ou des enjeux quantifiables entre deux ou plusieurs interlocuteurs (on ne négocie pas avec soi-même, on délibère), dans un temps limité. Cette recherche d’accord implique la confrontation d’intérêts incompatibles sur divers points (de négociation) que chaque interlocuteur va tenter de rendre compatibles par un jeu de concessions mutuelles. C’est en résumé surmonter des intérêts contradictoires par une action concertée.
Une négociation désirée par les acheteurs mais mal maîtrisée
Si la négociation est tant désirée par les acheteurs, c’est qu’elle comporte une dose d’adrénaline, voire l’exercice d’un certain pouvoir de décision. Le danger est donc dans cette phase de passer très vite de la stratégie à la tactique.
L’enquête 2015 sur l’évolution du métier d’acheteur public conduite par Décision Achats et l’UGAP avait révélé cette appétence pour la négociation. Mais à la question portant sur les raisons du non-recours à la négociation lorsque la procédure le permettait, la moitié des interrogés évoquait le manque de temps et l’autre moitié le manque de compétences !
Les limites intrinsèques liées à la commande publique
Les réelles possibilités de négociation
Liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement, transparence, tels sont les piliers de la commande publique qu’il ne faut jamais oublier lorsque l’on parle de négociation. L’achat public est donc davantage un concours qu’un duel. C’est l’offre économiquement la plus avantageuse qui est recherchée et seul le marché négocié sans publicité ni mise en concurrence permet une négociation de l’intégralité du contrat. Le droit de la commande publique met ainsi l’ensemble des candidats sur un même pied d’égalité ne permettant ainsi pas une réelle négociation en « tête à tête ».
La négociation est donc finalement prévue en droit de la commande publique pour répondre à des situations déterminées :
- L’immaturité du besoin : dialogue compétitif, procédure concurrentielle avec négociation et procédure négociée avec mise en concurrence préalable.
- La fatalité: les marchés prévus à l’article 30.
- Le sauvetage de l’appel d’offres .
- Les sujets secondaires : les services de l’article 28 (secteur peu concurrentiel), le partenariat d’innovation, les marchés de recherche, les marchés complémentaires et similaires, et enfin les procédures adaptées avec peu d’investissement justifié en matière de négociation.
Les risques liés à la négociation
Si les situations de négociation en phase de procédure restent rares, les risques eux sont bien présents mais surmontables en encadrant cette phase (collégialité, préparation, traçabilité, encadrement des étapes clés telles que l’élimination et la conclusion des négociations). La relation intra-personnelle entre l’acheteur et le fournisseur introduit en effet objectivement un risque de traitement inégalitaire qu’il faut absolument encadrer.
D’autres risques sont également identifiés. Le recours à la négociation peut aussi être perçu comme le moyen d’approfondir l’expression des besoins ou de traiter une certaine immaturité du cahier des charges, étapes clés normalement réalisées davantage en phase de sourcing.
La négociation n’a pas vocation à permettre la maîtrise de son besoin, ni à finaliser un DCE mal préparé ou lancé hâtivement ! Enfin, il faut rappeler qu’un dossier de consultation est souvent la résultante d’arbitrages au sein de la collectivité et que 80 % de l’optimisation de la dépense publique a pour origine l’expression du besoin !
Les illusions
La pratique témoigne souvent de deux cas majoritaires rencontrés en phase de négociation :
- La régularisation d’offres en raison d’erreurs grossières (par exemple dans les marchés de travaux) ou de non-conformités techniques des réponses initiales. Le rapport qualité/prix n’est donc, dans ce cas, pas optimisé !
- La diminution d’une marge commerciale jugée excessive par l’acheteur. Attention dans ce cas à ne pas générer d’économies artificielles qui seront récupérées par le fournisseur lors de l’exécution (exemple : marchés de services ou prestations intellectuelles).
En résumé, un gain qui n’est souvent le fruit que de la diminution d’un prix artificiellement majoré en phase initiale ! Et des résultats qui sont souvent le fruit des circonstances et des talents individuels.
Une performance achat non reproductible, tout le contraire d’une bonne maîtrise régulière de la procédure d’appel d’offres ouvert !
La puissance sous-estimée de la procédure d’appel d’offres ouvert !
L’appel d’offres ouvert est, rappelons-le et eu égard aux montants d’achats, l’outil traditionnel des groupements de commande et des centrales d’achat. Des structures qui aujourd’hui démontrent par leur professionnalisme et leur maîtrise des phases amont, procédures et aval une performance achat sur la durée. Ses atouts : intangibilité du DCE, contrat immédiatement opérationnel, autorégulation des candidats, maîtrise des délais, mise en cause difficile des acteurs et qui plus est désormais plus facile à régulariser.
En conclusion, la négociation est un processus permanent qui de manière informelle commence le premier jour où vous rencontrez un fournisseur potentiel !
La phase de sourcing désormais consacrée va permettre à l’acheteur de progressivement faire se rapprocher l’offre et la demande, rapprochement qui se traduira par un dossier de consultation pertinent et appelant à des réponses performantes et précises. La négociation veillera davantage à préciser certains points techniques. Convaincue que sa tâche est accomplie, l’acheteur professionnel n’oubliera pas de consacrer du temps à l’exécution et suivi de son contrat, phase où le fournisseur cherchera à récupérer tout sacrifice éventuellement concédé pour remporter la mise ou satisfaire l’acheteur en phase de négociation.
Ainsi la performance de l’achat ne se mesure pas à un gain ponctuel à un instant T mais bel et bien sur la durée et toujours en coût complet ! La négociation la plus efficace serait-elle ainsi probablement la plus informelle ?
Sébastien Taupiac,
Directeur délégué à l’innovation à l’UGAP